Sous la ville, les racines de la mémoire urbaine

La connaissance des architectures enfouies permet de mieux appréhender l’évolution urbaine des centres historiques, les modes de vie des habitants et les savoir faire des générations successives qui ont façonné les villes, dans le temps et dans l’espace.

L’analyse des stratifications des sédiments et des maçonneries révèle la genèse de l’espace bâti et non bâti.

Au travers des études portant sur les centres historiques, notre rôle d’urbaniste consiste, sur la base de la connaissance, à fixer les conditions et les limites de la protection, de la mise en valeur et de l’intervention dans l’existant, afin d’assister les décideurs dans leurs choix de politique urbaine.

Le temps de la connaissance

La cartographie et les repérages de terrain permettent de mettre en évidence les phases chronologiques de la division de l’espace (parcellaire), de l’exploitation du sol et du sous-sol, comme les carrières souterraines de Paris où de Laon. L’analyse du parcellaire et des caves conforte généralement la perdurance des tracés sur leurs fondements les plus anciens, comme à Paris, dans le Marais, où, malgré les regroupements parcellaires le long des voies médiévales, les traces de cette époque sont fossilisées dans les sous-sols et dans les murs mitoyens des rez-de-chaussée. Dieppe constitue un contre-exemple car la ville, reconstruite après le grand bombardement anglais de 1694 sur les caves médiévales préexistantes, s’affranchit du parcellaire pour se caler sur le rythme des modèles de façades de l’ingénieur
Ventabren. Le repérage des caves, pendant l’étude de la ville ancienne. du périmètre de restauration immobilière faisant suite à dont les vestiges la ZPPAUP, a permis de comprendre les désordres strucsont visibles dans tureis des bâtiments en élévation.

Les mesures de préservation et les conditions du projet

Nous ne pouvons que constater la limite des moyens réglementaires dont nous disposons pour intervenir sur les sous-sols. En dehors du champ de l’archéologie et de la protection au titre des monuments historiques, seul le secteur sauvegardé permet d’avoir un regard sur les intérieurs des immeubles et ainsi de s’intéresser aux caves. Lors des études pré-opérationnelles des OPAHRU (opérations programmées d’amélioration de l’habitat de
renouvellement urbain) et des PNRGAD (programme national de requalification des quartiers anciens dégradés), il est envisageable d’établir des diagnostics d’immeubles. Ce n’est toutefois que dans le cadre d’opérations de restaurations immobilières (ORI) que peuvent être rendues obligatoires des prescriptions concernant l’intérieur des bâtiments, en particulier les caves. En secteur sauvegardé, nous pouvons donc établir des règles portant sur la préservation des caves d’intérêt patrimonial, mais aussi sur les modes d’entretien et de restauration, comme les divisions des volumes, les ventilations naturelles, la respiration des murs et des sols ou le maintien du niveau d’hygrométrie nécessaire à la salubrité des structures. Nous pouvons également limiter les usages admis dans les caves. Cependant, au-delà de l’aspect réglementaire, se pose le problème de la gestion des projets et des moyens dont disposent les services des villes et de l’État pour gérer et protéger ce patrimoine souvent méconnu, peu ou pas visible et qui, de fait, est fragile et menacé.

Quelques menaces et espoirs

Les menaces portent, d’une part, sur les interventions dans les immeubles existants, d’autre part, sur les opérations de renouvellement urbain. Nous ne nous attacherons ici qu’à l’existant, le second sujet pouvant en soi faire l’objet d’un article. L’une des menaces les plus importantes est représentée par la pression foncière, conduisant à utiliser les caves pour des usages inadaptés. Ceci constitue un facteur de risque de dégradation à long terme des structures. Les secteurs sauvegardés parisiens portent sans doute les exemples les plus flagrants avec, en caves, des extensions de commerces, des cuisines de restaurants, des boîtes de nuit, des piscines ou des spas, ou encore des “souplex”, logements pouvant être à 90 % en sous-sol, en totale illégalité selon les réglementations sur l’habitabilité des logements.

Un autre type de menace est représenté, dans le cas d’interventions lourdes sur un ensemble immobilier, par l’inadéquation, en dépit parfois d’une réelle qualité architecturale, du programme envisagé, conduisant à reporter en sous-sol tout ce qui ne peut être inclus
en élévation. De nombreux locaux, semi-enterrés ou enfouis, sont peu respectueux des conditions de travail et de la santé des employés. Ces projets troglodytiques posent, dans le temps, d’importants problèmes techniques, même si les études sont satisfaisantes au moment du projet. Ainsi la décompression des sols engendre, à plus ou moins long terme, des désordres sur les immeubles voisins, ou encore la multiplication en élévation, dans les cours et jardins, d’ouvrages destinés à ventiler les parties enterrées, induit des nuisances sonores (le matériel se détériore et l’entretien fait souvent défaut). Il arrive même que les reprises en sous-œuvre conduisent à poser les bâtiments anciens sur dalle. La prise en compte du développement durable devrait nous permettre d’imposer des économies de moyens consistant, a minima, à ne pas dépasser les limites de capacité des transformations acceptables pour un bâtiment patrimonial. Si les villes ont et bénéficient encore d’une fièvre de transformation, se posent pour les sous-sols les questions de la connaissance, de la transmission et de la préservation du patrimoine.

L’insertion de tout projet dans le contexte urbain de la ville ancienne doit permettre de créer une nouvelle strate architecturale sans dénaturer les caractères fondamentaux, visibles ou enfouis, produisant la richesse de nos villes et leur donnant du sens. Il ne tient qu’à nous de les préserver et de les faire évoluer harmonieusement en transformant la “matière” que l’on nous lègue en générateur d’émotions pour les habitants.

Daniel DUCHÉ
Architecte, urbaniste

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