Comment l’alimentation des fontaines de Versailles a contribué à l’identité du plateau de Saclay

Les arcades de Buc, construites par Thomas Gobert, inaugurées en 1686 et classées depuis monument historique. © Jacques de Givry.
Les arcades de Buc, construites par Thomas Gobert, inaugurées en 1686 et classées depuis monument historique. © Jacques de Givry.

Le prestige du château de Versailles doit beaucoup à ses jardins et aux fontaines et bassins qui ornent ses parterres et ses bosquets. Ces fontaines étaient alimentées par des eaux de surface, à partir d’étangs naturels et de “rigoles” artificielles, et prélevées sur de vastes territoires. Ce fut l’occasion de quelques ouvrages d’art remarquables et aussi de patrimoine plus modeste mais très spécifique. Ces réalisations hydrauliques ont aussi grandement conditionné le paysage et l’identité du territoire concerné, ce qu’illustre le réseau des étangs et rigoles du plateau de Saclay.

Brève histoire des aménagements hydrauliques dédiés aux bassins et fontaines de Versailles

On le sait, l’alimentation des fontaines de Versailles a été progressive1 . L’aventure a commencé avec l’étang de Clagny, proche du château, avec une pompe de l’ingénieur fontainier Claude Denis sous Louis XIII. Les grands travaux commencent avec Louis XIV : l’ingénieur fontainier Denis Jolly propose la construction d’une “tour d’eau” alimentant des réservoirs. Elle sera dessinée par l’architecte Le Vau lui-même et sera flanquée de deux salles octogonales où seront placés les manèges. Denis Jolly confectionne une pompe à piston. L’eau part ensuite de la tour vers un réservoir de plomb de cinq cents mètres cubes, très vite insuffisant, ce qui nécessite la construction de vastes réservoirs, tapissés d’argile, d’où le nom donné de “réservoirs de Glaise”. On passe à cinq mille mètres cubes avec l’appoint de trois moulins, assurant une rehausse successive, et de pompes à godets. On connaît cette élégante construction par les innombrables croquis qui en ont été faits avant sa démolition. Par contre, les grands réservoirs réalisés par le grand fontainier Francine sous la terrasse du château, en maçonnerie et voûtes en plein cintre, sont encore visibles et en fonctionnement.

L’étape suivante a consisté à utiliser l’eau de la rivière Bièvre. Colbert fait construire une digue, rehaussant alors le niveau de l’étang du Val. Le passage de la montagne de Satory s’effectuait encore par une succession de moulins de rehausse et une canalisation avec siphon. L’abbé Picard, érudit et membre de l’Académie royale des sciences (fondée en 1666), déjà célèbre pour avoir donné, le premier, le périmètre de la terre, avait réussi les mesures topographiques permettant de s’assurer de l’intérêt des étangs de Trappes et Bois d’Arcy à quelques kilomètres de Versailles. C’est encore lui qui proposera les eaux de Saclay. Il aura aussi écarté, après des mesures précises, le projet de Riquet consistant à amener les eaux de la Loire sur cent quarante kilomètres depuis Briare. Cela aurait sans doute conduit à des prouesses architecturales et de beaux ouvrages d’art mais se révélait impossible. Le projet plus tardif de dérivation de l’Eure et ce qu’il en reste, notamment l’aqueduc de Maintenon, inachevé, donne une idée de l’ambition des architectes ; les ruines “romantiques” de cet aqueduc franchissant l’Eure sont imposantes et encore visibles.

Entretemps donc, toujours grâce à l’abbé Picard, on aura entrepris le premier réseau, dit des “étangs supérieurs” (sous-entendu “bassins supérieurs” de Versailles) » de Trappes et Bois d’Arcy, totalement gravitaire, sur huit kilomètres de distance et neuf mètres de dénivelé, jusqu’au réservoir dit du “carré de Trappes” permettant d’atteindre les plus hauts bassins, les parterres d’eau nord et sud, la montagne de Satory étant cette fois percée et l’eau canalisée. Puis, commencera la réalisation de la “machine de Marly” sur la Seine et le long aqueduc de Louveciennes, qui était encore en fonctionnement au début des années cinquante, ensuite le réseau des “étangs inférieurs” à partir des rigoles creusées alimentant les étangs de Saclay, enfin le prolongement du réseau des “étangs supérieurs” avec les étangs de Mesnil St Denis, de la Tour et de Rambouillet (Saint-Hubert). Ce dernier ensemble était conçu pour former un “lit de rivière”, que borde aujourd’hui un agréable chemin de randonnée.

Patrimoine architectural des “étangs et rigoles” du plateau de Saclay

Extrait du Plan général des étangs et rigoles (1812).

Cet ensemble de constructions liées à l’eau emprunte d’abord aux sciences de l’ingénieur, que ce soit pour les tracés des voies d’amenée d’eau, aériennes ou souterraines (rivières partiellement détournées, rigoles, aqueducs souterrains, semi-aériens ou aériens, réservoirs etc…)2 Mais ce sont des architectes qui “signent” les constructions de surface : on l’a signalé avec la “tour d’eau” ; on le retrouve sur le réseau de Saclay avec les arcades de Buc, construites dans les années 1683-84 (MH) par Thomas Gobert, intendant des Bâtiments du Roi et responsable du projet de Saclay dans son ensemble, et avec le pavillon de chasse, dit “Pavillon de l’Étang” (MH) ou “Pavillon du Roi”, entre les deux étangs de Saclay, construit par l’architecte Ange-J. Gabriel en 1756.

Les arcades de l’aqueduc de Buc, côté ouest, le long de la route. © ℍenry Salomé — Clché personnel, own picture, CC BY-SA 3.0. Source : commons.wikimedia.

Le remblaiement de la première rangée d’arcades de l’aqueduc, qui supporte la D 938 (route établie dès la construction de l’ouvrage), empêche d’appréhender les dimensions totales de celui-ci, régulièrement comparées à celles du pont romain du Gard : ici cinq cent quatre-vingt mètres de long et quarante-cinq de hauteur. Il est en parfait état et peut être remis en service dès demain. C’est un atout majeur pour la restauration en cours de l’ensemble du réseau, tant souhaitée par les associations locales.

Ponceau. © Jacques de Givry.
Le réseau offre par ailleurs des éléments architecturaux relevant de ce qui est dorénavant considéré comme du “patrimoine de pays” : il s’agit ici des ponceaux en pierre enjambant les rigoles, du jalonnement en bornes “fleurdelysées” ou dites “à la couronne royale” sous Louis XVIII, de l’emprise publique (six toises, soit environ onze mètre soixante-dix de largeur totale), des aqueducs souterrains avec leurs “puits de visite” encore utilisables bien entendu, de la longue digue entre les deux étangs. Le tracé des rigoles et des aqueducs souterrains était souligné souvent par un alignement de poiriers et certains existent toujours !

Aujourd’hui, sous l’égide d’un syndicat de rivière3 , les travaux de restauration du réseau hydraulique sont poursuivis. Les rigoles de Corbeville et de Favreuse ont été coupées lors de la construction de la N 118, mais il est dorénavant décidé de rétablir celle de Corbeville. Les chemins le long des rigoles sont restaurés. Des associations locales se mobilisent pour organiser la découverte de ce réseau au travers des circuits à pied, à vélo, en car4 . Un agrément supplémentaire apparaît aujourd’hui avec l’ouverture imminente d’un “observatoire ornithologique” au nord de l’étang Vieux5 .

L’étang Vieux et le Pavillon du Roi. © Jacques de Givry.
Dans ce cadre, le modeste “Pavillon du Roi” retrouve tout son intérêt. C’est le ministère de la Défense qui en est l’utilisateur et qui a devoir de l’entretenir. Une étude en vue de sa restauration est en cours avec le CETID, le Centre d’études techniques des immobilisations de la Défense. Elle doit logiquement aboutir à la définition d’un usage pour sa partie supérieure, actuellement désaffectée : ADER a proposé d’en faire un lieu pédagogique et touristique d’accueil et d’exposition. À trois cents mètres de l’observatoire et d’un parking prévu à proximité, et d’où l’accès serait facile à pied le long de la digue, la situation est idéale. Pour ce bâtiment MH, l’architecte en chef des monuments historiques, Maël de Quelen, est actuellement à la manœuvre avec le CETID.

La “marque paysagère” du réseau hydraulique

Au XVIIe siècle, le plateau était marécageux ; la pluie s’infiltrait mal. Gobert fut lui-même surpris du grand débit des rigoles, qui assainissaient donc les espaces cultivés. Les terres sont ainsi devenues cultivables et de grandes fermes ont prospéré. À la fin du XIXe, elles étaient à la pointe des innovations. Par exemple, elles furent les premières en France à construire des granges avec des poutres en lamellés à étrier nommés “charpentes à arcs”, que l’on retrouve encore à la ferme d’Orsigny ou celle de la Martinière. Cette dernière reçut en 1905 La Prime d’Honneur récompensant tous les huit-neuf ans la meilleure ferme de Seine-et-Oise6 . Les quatorze fermes du plateau contiennent d’autres trésors architecturaux comme le pressoir à pomme du Grand Viltain, construit lorsqu’il fallut remplacer le vin par du cidre après l’invasion de la vigne par le phylloxera. À Petit Viltain fut créée la première installation circulaire de traite ; la ferme fut d’ailleurs tenue par Marcel Dupré, longtemps président des éleveurs d’Île de France ; cette ferme-cueillette, avec boutique et accueil de scolaires, joue un grand rôle dans la vie locale.

Aujourd’hui, un financement LEADER a été attribué au plateau de Saclay pour rendre l’agriculture locale plus “ouverte” au public. Les agriculteurs participent activement au GAL, Groupe d’Action Locale, organisant la concertation entre acteurs par collèges : agriculteurs, associations, élus locaux, société civile. Ce GAL est lui-même animé par une association dynamique Terre et Cité qui compte aujourd’hui vingt ans d’expérience dans le développement territorial. Depuis trente ans déjà, l’Agence des espaces verts, organe ad hoc de la Région île-de-France, a racheté cinq cent soixante hectares de terres agricoles en vue d’en protéger l’usage. Enfin une loi du 3 juin 2010 a sanctuarisé une ZPNAF, zone de protection naturelle de l’agriculture et de la forêt, de quatre mille cent quinze hectares dont deux mille quatre cent soixante-neuf agricoles.

Ces éléments devraient permettre de mettre en évidence, sur un territoire assez homogène, le patrimoine bien singulier que constituent les étangs et rigoles, et cela, malgré l’ampleur prise par les constructions planifiées de l’OIN (opération d’intérêt national) de Paris-Saclay. Cela demande, on l’a signalé avec le Pavillon du Roi, la “bienveillance” et la participation active de la Défense qui a la main sur une grande partie du réseau. La meilleure “chance” de maintien et de valorisation de ce patrimoine si particulier viendrait bien entendu de la réutilisation du “réseau” qui a fonctionné jusque dans les années 1950. Ce patrimoine entrerait alors dans le “périmètre culturel” du château et appartiendrait ainsi, avec ce dernier, au… patrimoine de l’humanité. ADER a fait son objectif de cet enjeu.

Bibliographie de base

  • ADER : De l’eau du Plateau de Saclay aux fontaines de Versailles, Ed.ADER 2013
  • Jacques de Givry et Pascal Lobgeois Versailles, Les grandes eaux GDG Publications 2000
  • Jean Siaud, Trois siècles d’eau à Versailles pour le château et la ville Imprim’Vert 2009
  • (fac similé de) Thomas GOBERT : Traité des forces mouvantes…1702 (ADER, 2017)
    Sites à consulter
  • ADER www.ader-saclayversailles.com
  • Gilles Montambaux www.gilles.montambaux.com diaporama « Les eaux de Versailles »
  1. Cet historique est développé dans la brochure ADER « De l’eau du Plateau de Saclay aux fontaines de Versailles » éditée en 2013.
  2. ADER a surchargé cette carte pour indiquer le tracé de la rivière Bièvre.
  3. Le SIAVB, Syndicat Intercommunal d’Assainissement de la Vallée de la Bièvre 9.
  4. ADER a élaboré une plaquette présentant six petites randonnées thématiques.
  5. Projet vieux de plus de vingt ans et relancé par ADER.
  6. Martine Debiesse : Terres précieuses témoignages d’agriculteurs Ed.Grand carroi 2015.
Dans le même dossier