L’eau, un défi pour Malte (comme pour Madère)

Malte vue du ciel… début juin, quand viennent de cesser les dernières pluies. Plutôt aride… © C. Fouque.
Malte vue du ciel… début juin, quand viennent de cesser les dernières pluies. Plutôt aride… © C. Fouque.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, sur l’archipel maltais, il n’existe ni lac, ni rivière ! Si l’on rajoute qu’il ne tombe selon les années que deux à huit cents millimètres de pluie1 , Malte est l’un des pays les plus secs au monde. Ces précipitations se concentrent sur une soixantaine de jours, on comprend dès lors l’importance que revêt sa collecte ou son stockage ! La rareté de cette ressource était déjà un souci pour ses premiers habitants au néolithique qui durent déployer des trésors d’ingéniosité pour survivre et s’accommoder de cette terre aride et de ce climat extrême. À ces causes naturelles, sont venues s’ajouter récemment la croissance démographique, l’essor du tourisme, l’épuisement des nappes phréatiques, tandis qu’une nouvelle menace se profile : la montée des océans et le réchauffement climatique.

Un problème ancestral et crucial

On estime à plus de cinq mille ans l’arrivée des premiers occupants de l’archipel qui s’étaient aventurés depuis les côtes siciliennes… Les fouilles ont révélé l’extrême habilité et le génie bâtisseur de ces peuplades néolithiques. Ils édifièrent des temples mégalithiques impressionnants (la plupart gérés par Heritage Malta et inscrits sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco) et creusèrent, et les Phéniciens après eux, imités par les Romains, d’innombrables (et parfois gigantesques) réservoirs et citernes pour récupérer et stocker les eaux de pluie.

Taillées dans la roche, les citernes de Misqa, situées non loin du temple et du site archéologique de Hagar Qim et datant sans doute de la période néolithique. © Wikimedia by Ethan Doyle Blanc.

Bien plus tard, ce sont les Arabes qui firent profiter l’île de leur immense savoir en matière de gestion de l’eau : ils développèrent les cultures en terrasses, construisirent des murs en pierre sèche et, surtout, importèrent l’art de l’irrigation, tout en favorisant les cultures adaptées à ce climat avare en eau.

Au Moyen-âge, on imagina aussi de creuser des tunnels, puis de puiser directement dans les aquifères, autrement dit dans les réserves d’eau naturelles, en jouant avec les couches géologiques et en profitant de l’imperméabilité des zones argileuses afin de créer des galeries et des réserves d’eau permanentes. Ces réseaux souterrains, qui assuraient l’irrigation des cultures même en (longue) période de sécheresse, sont malheureusement abandonnés de nos jours.

À La Valette, beaucoup de bâtiments ont été constuits au-dessus de vastes citernes pour récupérer les eaux de pluie dans des réservoirs souterrains… ici, celui de la Casa Rocca Picolla, à La Valette, sans doute le plus impressionnant. Il servit d’abri anti-aérien pendant la Seconde Guerre mondiale. © Casa Rocca Picolla.
À gauche, l’hôtel de ville et l’aqueduc de Wignacourt à Triq il-Kbira San Ġużepp à Santa Venera , Malte. © Frank Vincentz, Commons Wikimedia. À droite, la tour et la fontaine de Wignacourt, vestige du même aqueduc construit par le Grand Maître de Wignacourt au début du XVIIe s. © C. Fouque.

Puis ce fut au tour des chevaliers de l’Ordre de Malte de prendre les choses en main… L’eau devenait un enjeu majeur, une nécessité d’autarcie et de santé publique, les eaux stockées en citerne, et donc stagnantes, favorisant maladies et épidémies, alors que la population croissait. Dès lors, le Grand Maître Alof de Wignacourt eu l’idée d’un aqueduc qui acheminerait l’eau depuis les collines.

Après cinq ans de travaux, menés par l’ingénieur Bontadino de Bontadini, de Giovanni Attard et de Tuma Dingli, l’aqueduc, long de plus de cinq kilomètres (entre Balzan et Hamrun, et prolongé d’un réseau souterrain), fut inauguré en 1615 par Wignacourt, son commanditaire. On peut encore admirer ses belles arches maçonnées à Santa Venera, ainsi que les vestiges d’une tour et d’une fontaine à Furjana, les anciens faubourgs de La Valette. Le système fut exploité jusqu’au XX e siècle.

Une urgence contemporaine

Au XIXe, on tente la technique de la distillation d’eau de mer ; ici vestige d’une usine à Triq Ix-Xatt ta’ Tigné à Sliema , Malte. © Frank Vincentz, Commons Wikimedia.
Les toits de La Valette… Partout des citernes pour capter les rares précipitations. © C. Fouque.

Malte est le plus petit état de l’Union européenne (trois cent seize kilomètres carrés), il connaît pourtant l’une des densités de population les plus fortes au monde ! Densité renforcée en haute saison, lorsque les touristes multiplient par quatre la population maltaise. Ce qui augmentent d’autant (sinon plus) la consommation d’eau et accentue dramatiquement le déséquilibre hydrique de l’archipel.

Plusieurs solutions ont donc été mises en œuvre.

Malte a par exemple misé sur la désalinisation de l’eau de mer pour la transformer en eau potable. Trois usines ont vu le jour depuis les années 1980. Cela consiste à pomper l’eau de mer et la purifier grâce à l’osmose inverse : l’eau, sous pression, passe au travers de filtres très fins, de membranes, qui retiennent sel et autres particules et ne laissent passer que les molécules d’eau… Ce processus a le mérite de rendre potable l’eau de mer, une ressource à priori inépuisable (pour autant, potable ne veut pas dire buvable !), il est malheureusement très énergivore et finalement polluant puisque gourmand en énergies fossiles 2 et parce que les résidus saumurés sont le plus souvent rejetés à la mer.

La vieille technique, la plus évidente, malgré un sol calcaire qui rend difficile les forages, revient à puiser l’eau douce dans les nappes phréatiques. Malheureusement, ces nappes phréatiques, épuisées, surexploitées, sont de plus en plus polluées par l’eau de mer ou les eaux usées qui s’infiltrent .

Avec l’urgence, certaines solutions de bons sens semblent s’imposer : traiter et récupérer ces eaux usées pour l’irrigation des champs ; inciter, comme par le passé, les agriculteurs et les particuliers à capter les eaux pluviales ; privilégier une agriculture plus respectueuse de l’environnement, moins gourmande en eau et plus adaptée au climat (vigne, olivier, grenadier, élevage caprin…) ; réserver les eaux les plus pures au réseau d’eau potable…

Cette urgence est d’autant plus criante que la montée des océans annoncée pourrait, dans un futur très proche, accélérer la salinisation des nappes phréatiques déjà bien fragiles. Et d’ailleurs, de nouvelles recherches étudient la possibilité d’aller chercher, sous la mer, de nouvelles sources d’eau douce (ce qui pourrait répondre à la pénurie que connaissent de nombreuses régions côtières dans le monde, sachant que l’on estime à un million de kilomètres cubes les réserves d’eau douce sous-marine dans le monde !). Mais ceci est une autre histoire…

Le cas de Madère : citernes contre “levadas”

L’île de Madère, au relief escarpé et à la végétation bien plus luxuriante qu’à Malte, a pourtant, elle aussi un réel problème pour retenir l’eau. © Piqsels.

L’île de Madère, qui a une physionomie radicalement différente de celle de Malte, souffre autant de difficultés pour capter et diffuser l’eau douce. Que son origine soit souterraine ou provenant du ruissellement, les occupants de l’île, avec une grande maîtrise technique, ont su mettre au point un système sophistiqué de canalisation dont le principe est resté permanent depuis ses origines au XVe siècle. Il constitue un des plus merveilleux exemples de la façon dont une intervention humaine liée à l’eau a radicalement façonné un paysage.

Levadas anciennes. © Ph. Cieren.

Si Madère est issue d’une éruption volcanique, Malte provient des soubresauts d’un ensemble de roches sédimentaires. Pas plus de sources, lacs ou rivières à Madère qu’à Malte mais un relief très marqué entraînant des pluies abondantes. L’île culmine effectivement à mille six cent trente-quatre mètres pour une largeur d’à peine vingt-trois kilomètres, ce qui donne une altitude moyenne de sept cents mètres. C’est cette configuration particulière qui a provoqué le développement depuis le XVIe siècle de plus de trois mille kilomètres de rigoles (levadas en portugais) de récupération des eaux de ruissellement le long des courbes de niveaux. Le système qui est gravitaire permet d’une part de mieux répartir l’eau entre le versant nord-ouest, plus arrosé, et celui situé au nord-est, plus habitable. D’autre part, il permet de répartir ces eaux entre agriculture, village et industries. Ces levadas, qui font environ cinquante centimètres de profondeur et de large, sont toujours longées d’un passage ou d’un sentier.

Exemple de levada récente, en tout cas entretenue. © Piqsels.

Il s’agit non seulement d’une réalisation technique exceptionnelle dont l’empreinte sur le paysage est très forte au regard de son importance (trois mille kilomètres sur sept cent cinquante kilomètres carrés) mais qui a également été poursuivie, modernisée et entretenue dans la durée (les derniers canaux datent du XXe siècle). L’inscription dans le temps de cette gestion et de la répartition de l’eau lui confère également une dimension sociale.

À Madère, la préservation de ce patrimoine vivant est fondamentale car, s’il est fonctionnel, il constitue également une richesse touristique importante par les innombrables possibilités de randonnées qu’il procure. Si ce système particulier n’est pas unique au monde (il existe des systèmes comparables en Micronésie, aux Canaries, à Oman), c’est à Madère qu’il est le plus développé, le plus abouti, et il constitue de ce fait un ensemble unique. Il fait d’ailleurs partie de la liste indicative des biens proposés par le Portugal pour une inscription sur la liste du patrimoine mondial.

À Madère, cultures et villages s’organisent en terrasses… Ici, Porto Moniz. © Piqsels.
  1. Soit une moyenne de cinq cents millimètres de précipitations annuelles
  2. Malte ne semble pas encore avoir amorcé sa révolution éolienne ou solaire.
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