Les cités minières, une protection nécessaire

L’exploitation du charbon a profondément et durablement transformé le paysage du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

Au-delà des grands sites d‘exploitation, des réseaux d’infrastructures, des terrils, les compagnies minières ont laissé au territoire un héritage social exceptionnel. En effet, les cinq cent soixante-trois cités minières -plus de soixante-dix mille logements- qui ponctuent encore cette terre sont non seulement un livre ouvert sur l’histoire de l’habitat patronal, de la naissance de l’hygiénisme à l’avènement de l’architecture moderne en passant par l’invention des cités-jardins, mais encore l’une des composantes fondamentales de l’attractivité du territoire1 .

La colonne vertébrale d’un paysage culturel

Le territoire du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais s’est développé selon une logique d’optimisation de la production minière, s’appuyant en partie sur les structures préexistantes par économie de moyens (axes de communication), sans contrôle de la croissance urbaine. L’émergence du paysage minier s’est caractérisée par une forte densification urbaine née de l’implantation de structures productives et de l’arrivée d’une main-d’œuvre importante qu’il fallait loger. Cette dépendance entre le logement et la production fonde l’urbanisme résultat d’une accumulation de sites d’extraction répartis sur le territoire au gré de la découverte de nouveaux gisements.

Chaque site était structuré à l’identique :

  • une fosse comprenant plusieurs puits couronnés par les chevalements qui permettaient l’accès au gisement Charbonnier,
  • un/des terrils, lieu de dépôt des minerais non exploitables,
  • un réseau de voies ferrées pour le transport du matériel et du charbon en surface (cavaliers),
  • une/des cités minières pour loger les ouvriers, ingénieurs et responsables.

L’apparente uniformité des cités minières ne doit pas cacher une réalité beaucoup plus complexe et les mutations profondes des structures de l’habitat ouvrier sur près de cent cinquante ans. Derrière un souci de norme et de rationalité, cet habitat offre une grande diversité de choix urbanistique et de traitement formel du bâti et des espaces qui lui sont immédiats. Ainsi, près de huit cents types de logements différents ont été dénombrés dans le Bassin minier. Cette diversité architecturale est encore accentuée par une grande variété de formes urbaines.

Les corons, construits dès les années 1820 par la Compagnie d’Anzin, laisseront place aux cités pavillonnaires puis aux cités-jardins au début du XXe siècle; enfin les “cités modernes”, constituées après la Seconde Guerre mondiale de logements en béton entièrement fabriqués en usine, vont apparaître. Certaines cités sont de véritables quartiers miniers cohérents qui offraient aux mineurs, outre un logement, un ensemble de services (école, église, dispensaire, salle des fêtes, équipements sportifs). Ce dispositif permettait aux dirigeants de maintenir les ouvriers en quasi-autarcie de leur naissance à leur mort.

Un héritage porteur d’avenir

Cependont, ces cités minières, d’une qualité parfois exceptionnelle, n’en demeurent pas moins un parc de logements nécessairement évolutif afin de répondre en permanence aux normes de construction, à la mutation des villes et aux besoins changeants de la population actuelle et à venir. Leur préservation et leur valorisation dépassent les enjeux de protection d’un patrimoine bâti. Leur avenir nous pousse à nous interroger sur des problèmes à la fois humains, socio-économiques, culturels, urbains, environnementaux, qui nécessitent une vision globale et transversale. À ce titre, elles sont un outil de développement économique, social et environnemental pour l’ensemble du territoire du bassin minier et au-delà. Seule une approche croisée prenant en compte enjeux sociaux et urbains, contraintes techniques et environnementales, besoins de la population et faisabilité économique, laisse envisager des solutions qui rendent compatibles la protection de ce patrimoine exceptionnel et la nécessaire adaptation d’un parc social condamné à évoluer pour perdurer.

De manière à démontrer la compatibilité et la fraternité entre développement durable et préservation du patrimoine, la Mission bassin minier met en place avec les bailleurs du parc minier (Maisons et Cités et SIA Habitat) et les communes concernées une série de “cités pilotes”. Ces démarches à visée opérationnelle font travailler ensemble experts du patrimoine, architectes, urbanistes, paysagistes, sociologues, thermiciens, experts des TIC, pour démontrer dans les faits que la valorisation du patrimoine des cités minières (et, au-delà, l’habitat ancien en général) est un atout et une opportunité pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux des territoires en mutation.

Ces études sont l’aboutissement d’un long processus : plus de sept années durant lesquelles la Mission bassin minier n’a eu de cesse de construire un dialogue et un partenariat avec l’ensemble des acteurs impliqués dans la mutation de ce parc social. Ce dialogue a pris corps autour de trois axes fondamentaux :

  • la construction d’un diagnostic partagé,
  • la mise en place d’un modus operandi concernant la gestion, la protection et la mise en projet, la sensibilisation des populations, la valorisation culturelle et touristique.
    Ces fondamentaux sont à la base du plan de gestion élaboré dans le cadre de la candidature du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais pour une inscription sur la liste du Patrimoine mondial. Cinq cités pilotes2 en sont les premières déclinaisons opérationnelles. D’autres actions sont en cours, comme l’intégration de la V.U.E. dans la définition du schéma directeur conçu autour du Louvre-Lens par Michel Desvigne et Christian de Portzamparc ou encore la définition avec la Région d’une politique visant à mobiliser la population à travers des actions portant sur la réappropriation des jardins, véritables symboles de la culture minière.

Raphael ALESSANDRI
Architecte Urbaniste

  1. Plus de vingt-six mille logements, soit cent vingt-quatre cités minières, sont inclus dans le bien inscrit depuis le 30 juin au Patrimoine mondial au titre des paysages culturels.
  2. Cité des Électriciens à Bruay-la-Buissière, cité Bruno à Dourges, cités Lemay et Sainte-Marie à Pecquencourt, cité Thiers ancienne à Bruay-sur-Escaut, cité Taffin à Vieux-Condé.
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