Avignon, du tout religieux au tout théâtral ?

Mondialement connue pour son patrimoine religieux issu de la période papale, la ville semble désormais se tourner irrésistiblement vers le théâtre, parfois sans égard pour ses origines.

Acte 1

Mars 1309. Le pape Clément V entre solennellement dans Avignon.
Nul ne pouvait imaginer que cette journée allait changer la destinée de la cité, la transformant en capitale du monde chrétien dont la renommée reste aujourd’hui encore universelle.

Dans le sillage de la construction du palais des Papes, la présence papale insuffle une intense dynamique de transformation de l’espace urbain et de construction d’édifices somptueux. Les plus prestigieux artistes et maîtres d’œuvre de l’époque affluent des royaumes de France et d’Italie, répandant le style gothique et les arts décoratifs du moment. Les “livrées cardinalices”, palais des cardinaux et autre dignitaires, convertissent les bâtiments existants en maisons fortes et palais dotés des plus précieux décors. Les ordres monastiques -Bénédictins, Franciscains, Augustins, Dominicains, Minimes, Carmes, Célestins- élargissent rapidement leurs propriétés au-delà des premiers remparts, amenant la construction d’une nouvelle enceinte urbaine afin de les protéger. En moins d’un siècle, la ville à ainsi été renouvelée et orientée exclusivement vers la cour papale et le service religieux.

Le retour des papes à Rome dès la fin du XIVe siècle ralentit le processus mais la transformation du centre historique se poursuit, marquée par la mise en place de larges ensembles monumentaux liés aux institutions religieuses : l’hôpital Sainte-Marthe, le collège et le noviciat des Jésuites, le séminaire Saint-Charles, l’Aumône générale.

La Révolution marque un coup d’arrêt brutal et définitif, Avignon étant désormais rattachée à la France. Les édifices religieux, destinés ou non au culte, connaissent des destinées plus où moins tragiques, vendus à l’encan. Si les églises paroissiales retrouvent leur vocation initiale, le palais des Papes lui-même devient casernement militaire jusqu’au début du XXe siècle. Le prestigieux couvent des Dominicains se voit transformé en atelier de fonderie puis totalement détruit. Celui des Célestins, pénitencier militaire, caserne, et aujourd’hui cité administrative. Les Carmes, les Augustins, les Franciscains disparaissent dans le tissu urbain. La chapelle Sainte-Catherine et celle des Pénitents Violets abritaient encore très récemment un garage, et la chapelle Notre-Dame des Miracles une fabrique de pompes…

Signes non prémonitoires : le Jeu de paume, propriété de Nicolas Mignard, où joua Molière, et la charmante Comédie, petit théâtre dessiné par l’architecte local Thomas Lainée, connaissent le même sort, au profit du nouveau théâtre réalisé en 1847 sur la place de l’Horloge.

Acte 2

Septembre 1947. Jean Vilar crée la première semaine d’art dramatique dans la Cour d’honneur du palais des Papes, préfiquration du Festival.

Acte 3

Juillet 1966. Un festival parallèle est officiellement mis en place par André Benedetto au théâtre des Carmes : le “Off”. Le Festival d’Avignon, le “In”, qui aurait pu rester une manifestation élitiste strictement limitée au site initial, s’étend dès lors dans l’intra-muros. Le cloître des Carmes, récemment dégagé, puis la chapelle des Pénitents Blancs et le cloître des Célestins accueillent les plus grands spectacles. Ainsi, quatre édifices religieux majeurs, saccagés et martyrisés depuis cent cinquante ans, retrouvent la lumière et une nouvelle vie. Le mouvement ne devait pas s’arrêter là.

Aujourd’hui, les festivals In et Off ont débordé très largement de leurs sites originels. Près des deux tiers des chapelles ou églises du centre historique, encore utilisées pour le culte ou non, s’ouvrent à des spectacles de théâtre, de danse ou de musique chaque mois de juillet. Plusieurs ont été transformées en théâtres permanents et de nouveaux projets de création de salles de spectacle apparaissent chaque année, remplaçant souvent les commerces défaillants.

C’est maintenant l’ensemble de la cité intra-muros qui semble désormais voué à l’accueil du Festival et des festivaliers. En 2014, le Off programmait ainsi plus de mille trois cents spectacles dans cent trente cinq lieux différents. Les hébergements touristiques sont totalement saturés à cette époque et les Avignonnais eux-mêmes n’hésitent plus à louer leurs propres logements pour le mois. Certains des acteurs économiques réalisent la moitié de leur chiffre d’affaires en cette période devenue la plus faste pour l’activité locale. Le Festival d’Avignon a permis de renforcer considérablement la renommée de la ville, pourtant déjà exceptionnelle. Il s’agit bien évidemment d’une chance inouie, dont l’ensemble de l’économie locale profite largement. Plusieurs aspects de cette déferlante, apparemment irrésistible, méritent cependant d’être pointés. Un tel développement comporte en effet nécessairement des contreparties négatives. Cette orientation vers une mono-activité concentrée dans le temps ne risque-t-elle pas de porter à terme atteinte aux activités traditionnelles, le petit commerce notamment, ou de déstabiliser le marché du logement ? De même, jusqu’à quel niveau les habitants permanents pourront-ils supporter les diverses “pollutions” avant de s’y opposer, comme on peut l’observer actuellement dans d’autres grandes villes touristiques ?

Enfin, on peut regretter que les bâtiments concernés, dont beaucoup sont protégés au titre des monuments historiques, anciennes chapelles, églises ou couvents, tout imprégnés encore de leur caractère sacré, ne soient pas toujours respectés autant qu’ils le méritent par ces nouveaux utilisateurs. Certes, une telle affectation est plus valorisante qu’une activité industrielle ou administrative. Mais Avignon est toujours en attente d’une restauration exemplaire et remarquable d’un de ces édifices, mêlant habilement mise en valeur du monument, modernité et accueil du public.

Renaud DUCASTELLE
ABF, chef du STAP de Vaucluse

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