L’avenir incertain de l’hôpital de la Marine de Rochefort

Portail de l’hôpital de la Marine vu depuis le cours d’Ablois. Émerge le dôme coiffé de sa lanterne. © J. Richer
Portail de l’hôpital de la Marine vu depuis le cours d’Ablois. Émerge le dôme coiffé de sa lanterne. © J. Richer

Pour qui visite la Ville de Rochefort en Charente-Maritime, le cours d’Ablois est la dernière respiration avant d’entrer dans la ville au tracé hippodamien du XVIIe siècle. À son extrémité se tient l’ensemble monumental de l’hôpital de la Marine, construit au XVIIIe siècle, qui se cherche un avenir depuis 1989. Pour comprendre la situation, il faut reprendre l’histoire à son début et en tirer une conclusion qui tient essentiellement à la spécificité de la ville.

Une innovation hospitalière au XVIIIe siècle

Louis XIV décida de la création d’un nouvel arsenal de guerre à Rochefort, pour sa position centrale sur le ponant. Il verra le jour dès 1666. À une époque où la guerre passe par la mer, la nécessité de prodiguer des soins au plus près des lieux de débarquement devient vitale. En 1683, l’hôpital de Tonnay-Charente est transféré sur le quai aux Vivres de Rochefort. Suite à l’incendie de l’Hôtel-Dieu de Paris (1772), la décision fut prise de sortir l’hôpital de l’enceinte de la cité, au lieu-dit la Butte, et sa construction fut confiée à l’ingénieur militaire Pierre Toufaire. L’établissement est inauguré en 1788 et crée le modèle hospitalier pavillonnaire en France qui ne sera abandonné que dans les années 1920.

Ce nouvel hôpital - réservé aux militaires, aux marins et aux ouvriers du port - était prévu pour recevoir 800 malades en période normale, et un peu plus de 1 200 en situation de crise. Son programme était complexe puisqu’il incluait une école de médecine navale, une bibliothèque, deux chapelles, des bureaux et tous les locaux de services nécessaires.

Un monument militaire

D’emblée, le projet s’inscrit en rupture de la ville nouvelle de Rochefort. Le plan de Pierre Toufaire comprend un ensemble monumental de bâtiments, de cours et de jardins ouvrant une promenade longue de 350 m. L’hôpital était la clé d’une recomposition spatiale de la ville qui n’aura jamais lieu, hormis le cours d’Ablois.

Salle commune au premier étage d’un des pavillons isolés. La peinture brune est un ancien décor peint pour le tournage d’un film. ©J. Richer

La structure du nouvel hôpital s’inspire de celle du Royal Navy Hospital de Stonehouse, achevé en 1762 selon un agencement pavillonnaire à même d’isoler les patients par pathologies. Le projet de Pierre Toufaire développe dans une cour de 13 000 m² un plan en H à la proportion du nombre d’or : un corps principal et quatre pavillons reliés entre eux par d’élégants corps de bâtiment concaves tandis que quatre autres pavillons détachés les uns des autres permettaient de répartir les malades pour limiter les contagions. À la moitié des travaux, l’enveloppe financière de 369 385 livres était déjà consommée. La dépense totale sera de 959 204 livres, déclenchant à plusieurs reprises la colère du ministre des Finances de l’époque. D’ailleurs, Pierre Toufaire mourra en 1793 quasiment en disgrâce.

Chapelle en rotonde avec sa galerie circulaire. © J. Richer

La pièce maîtresse de l’hôpital est très certainement la chapelle en rotonde au centre du corps principal, surplombant le péristyle d’entrée. Au deuxième étage, une galerie circulaire bordée de balustres permettait aux malades d’entendre la messe basse. Les colonnes de la chapelle soutiennent une coupole octogonale formant le dôme coiffé d’une lanterne. L’emboîtement des échelles est saisissant : la chapelle en rotonde articulait les déplacements à l’intérieur de l’hôpital tandis que l’émergence du dôme fixait l’axe de symétrie du bâtiment, de la promenade et d’un projet urbain encore plus large (mais qui ne sera finalement jamais réalisé).

L’ouvrage est aussi intéressant sur un plan technique. L’hôpital était muni d’un système d’adduction d’eau courante, grâce à un système de « pompe à feu » installé sur les bords de la Charente. Et un aqueduc, achevé en 1820, permettait de rejeter les eaux usées dans la rivière. En 1865, un forage révèle l’existence d’une source thermale dans l’enceinte de l’hôpital qui produit une eau « minéralisée chloro-sulfatée ferrugineuse » utile au traitement des malades.

Bouleversements urbains dans la seconde partie du XXe siècle

cartographie aérienne des éléments formant le « système urbain » de l’étude de programmation. Source Google Earth, cartographie UDAP 17

En 1953, un nouveau forage non loin de l’hôpital de la Marine permet à la municipalité d’ouvrir des thermes. D’autre part, depuis 1853 se dresse aux portes mêmes de l’hôpital militaire un hôpital civil, l’hôpital Saint-Charles, qui sera reconstruit en 1972 pour devenir le plus haut bâtiment de la ville… avant d’être abandonné en 2011.

Confrontation entre l’hôpital de la Marine et l’hôpital civil Saint-Charles reconstruit en 1972. © J. Richer

Utilisé par la Marine jusqu’en 1983, l’hôpital avait fait l’objet d’une inscription au titre des Monuments historiques en 1965 pour ses façades et toitures, son vestibule d’entrée, ainsi que la chapelle centrale en rotonde et sa galerie. Vendu à la bougie à la société immobilière en 1989, l’hôpital est depuis laissé à l’abandon si l’on excepte le pavillon sud-ouest qui fut transformé en musée de l’École de Médecine navale et le pavillon sud-est aménagé en appartements. Voilà qui pose l’intrigue urbaine : deux friches urbaines - l’une du XVIIIe siècle et l’autre du XXe siècle – et des thermes devenus trop petits.

Pour bien comprendre la situation, il faut distinguer trois parties dans les 7 hectares du site : le jardin avant (au sud) cerné de murs et d’une grille, l’ensemble monumental en forme de H et le jardin arrière (au nord) qui a été déclaré inconstructible dans les années 1990.

Des reconversions incertaines

Au moins six projets ont vu le jour pour l’hôpital de la Marine : un projet de centre de séminaire en 1991 (Roger Taillibert architecte), un projet partiel de centre international de la communication en 1993 (Delebecque architecte), le réaménagement intérieur à usage de logements et de bureaux en 1998 (Cavalier architecte), un projet de réhabilitation en résidence de tourisme en 2012 (Gonfreville - Dumet - Vaulet architectes), un avant-projet de restauration, aménagement et extension en centre de balnéothérapie en 2014 (Thierry Algrin ACMH). Certains de ces projets ont été jusqu’au stade du permis de construire, deux au moins l’ont obtenu sans que la reconversion de l’ensemble monumental ne démarre jamais vraiment. L’opération immobilière semble titanesque pour bien des investisseurs.

Le projet actuel prévoit un déménagement des thermes dans l’hôpital de la Marine pour en augmenter la capacité d’accueil et faire passer la ville de Rochefort au premier plan des villes thermales françaises. Ce projet privé est confié à l’architecte Christian Menu, déjà engagé dans la reconversion du magasin aux vivres. L’enjeu se focalise sur la constructibilité possible du jardin arrière (au nord) où la déclivité du terrain de 5 mètres pourrait permettre la création d’un jardin public en terrasse tout en abritant les nouveaux thermes en dessous. Les 14 000 m² de l’ensemble monumental seraient reconvertis en 200 logements. Outre la faisabilité financière d’une telle opération, la pierre d’achoppement provient d’une volonté des services de la DRAC Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente de valoriser en premier lieu le monument avant d’envisager une urbanisation de la partie arrière alors que le propriétaire adopte une logique économique inverse.

La municipalité a lancé une étude de programmation urbaine confiée à l’architecte Pierre Lascabettes dont il en ressort que l’ensemble constitué par les cours et l’hôpital de la Marine relève d’un intérêt urbain hautement stratégique qui serait le « seul capable de procéder à un véritable retournement d’image » pour la ville et son agglomération. L’étude propose de traiter l’ensemble comme un « système urbain » cohérent, sachant que la gare ferroviaire de Rochefort se trouve juste à 200 mètres derrière. La restructuration des anciens hôpitaux, le déplacement des thermes, la liaison possible entre la gare et le centre historique en passant par les jardins de l’hôpital sont autant de sujets qui s’enchevêtrent. La ville, qui avait un temps envisagé la démolition de l’hôpital civil Saint-Charles, explore aujourd’hui les différentes pistes d’emboîtement de ces différents programmes.

Une constante demeure au fil des échanges : l’ouverture au public du jardin avant (au sud).

De l’avenir des « grands vaisseaux »

La ville de Rochefort abrite un patrimoine monumental qui n’aurait rien à envier au « Bigness » de Rem Koolhaas. Depuis la création de l’arsenal destiné à armer les bateaux de guerre, l’État y a implanté quelques ensembles monumentaux. La corderie royale conçue par François Blondel, et mise en service en 1670, est un bâtiment exceptionnel de 373 m de long, sans aucun mur de refend et posé sur un sous-sol marécageux. Classé Monument historique en 1967, sa restauration par Bernard Lassus ne date que de 1991 alors que le bâtiment était dans un état pitoyable.

Le magasin aux vivres fait partie des premiers bâtiments de l’arsenal construits à la fin du XVIIe siècle d’après les plans de François Le Vau. Pour l’anecdote, ses caves voûtées pouvaient contenir 400 tonneaux de vin, des salaisons et autres denrées. Monument inscrit en 2007, le magasin aux vivres est en cours de réhabilitation par Christian Menu pour y créer environ 240 logements et un restaurant.

Reconversion en cours du magasin aux vivres. © J. Richer

D’autres monuments civils ou militaires sont présents : le pont transbordeur de l’ingénieur Arnodin (classé en 1976, il fait actuellement l’objet d’une restauration sous l’égide de l’OPPIC), ou encore les vastes hangars aéronautiques Daudin et Piketty (ce dernier était un hangar à dirigeable) malheureusement sans classement… L’État avait entrepris ces grands chantiers que les collectivités ont reçus en héritage mais qu’elles peinent souvent à reconvertir. Pourtant, la présence de ces « grands vaisseaux » caractérise l’identité de la ville de Rochefort au même titre que son caractère maritime.

Si l’on se souvient de la délicate situation financière de Pierre Toufaire lors de la construction de l’hôpital de la Marine, il est possible d’en déduire que toutes les époques ont eu leur lot de contraintes budgétaires. Il ne faudra retenir de cela qu’une seule chose : la hauteur de vue qu’il aura fallu pour entreprendre ces grands travaux. Soyons à la hauteur à notre tour pour envisager un avenir urbain ambitieux aux deux friches hospitalières de Rochefort.

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