En commençant à la direction de l’Architecture du ministère de la Culture à développer des programmes de coopération avec la Chine, grâce à mes connaissances d’architecte, combinées à celles sur la Chine contemporaine et à la pratique de la langue chinoise, j’ai cherché à repérer et à associer les compétences, au sein des milieux de l’enseignement et de la recherche, parmi les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage. Le partenariat, initié en 1998 avec l’Université Tongji à Shanghai sur le patrimoine des quartiers anciens, s’appuie sur cette conviction que la « fabrique » d’une intelligence collective repose sur les alliances des savoirs et des apprentissages partagés. « Co-opérer », c’est dans un premier temps apprendre à faire ensemble et savoir tirer des leçons des expérimentations communes. Conduire un processus bénéfique pour chacun des partenaires est préférable à l’exportation d’une expertise trop souvent ponctuelle, à sens unique et dépourvue de perspective à moyen ou long terme.
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Relier patrimoine et planification urbaine
Notre coopération s’inscrit à la suite du colloque de Suzhou en 1998 sur les centres anciens des villes chinoises et européennes, initié notamment par le Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, grâce à Minja Yang et Yves Dauge, alors maire de Chinon. Le colloque portait sur l’analyse des villes historiques, la place des touristes et celle des habitants. Ces thèmes étaient au cœur de la demande de nos interlocuteurs, praticiens et professeurs à l’Université Tongji, Zhou Jian, urbaniste et Ruan Yisan, architecte. Tous deux avaient gagné la confiance des autorités locales pour établir des plans de protection patrimoniale. Pour débuter notre partenariat, il importait de choisir un site pilote afin de mener un travail à la fois expérimental en termes de méthode, et pratique en termes de résultat, une forme de recherche-action pour laquelle la connaissance de terrain des architectes-urbanistes de l’État était précieuse. C’est ainsi que j’ai rencontré Alain Marinos, alors directeur de l’École de Chaillot.
Dès les premières visites en Chine, son expérience au sein d’un service départemental de l’architecture et du patrimoine, associée à ma connaissance du terrain en Chine, ont été appréciées. Nous avons mis en place une méthode de travail, alliant dans une relation triangulaire, les autorités locales et les services locaux, avec les professeurs et leurs étudiants-chercheurs à l’Université Tongji. Pour construire une confiance réciproque et partager des bases communes, nous avons construit des voyages d’études, en France comme en Chine, sur des problématiques partagées, en réunissant les services publics concernés, les représentants des autorités locales et régionales, les praticiens. Au préalable, comprendre l’environnement social, historique, culturel, économique et la gouvernance était indispensable, pour chacune des rencontres professionnelles organisées. En 2002, le projet expérimental que nous avons mené dans la petite ville de Tongli (province du Jiangsu) a remporté le second prix national de l’urbanisme, décerné par le ministère chinois de la Construction. Nos partenaires chinois ont ainsi gagné une notoriété et une visibilité qui nous ont permis ensuite de travailler sur des villes de plus grande importance, comme Shanghai. L’Université Tongji a mis ensuite en place une formation spécifique sur le patrimoine.
L’apport du « regard extérieur »
Travailler avec des urbanistes sur du « patrimoine ordinaire », sur les tissus urbains de petites villes ainsi qu’à l’échelle d’un territoire, dans une période où le tourisme intérieur chinois a pris son essor, nous a fait beaucoup progresser de part et d’autre. Nous avons ensemble développé des sujets comme le patrimoine et la reconstruction, abordé le patrimoine culturel comme levier de développement des territoires avec les autorités locales de différentes provinces. L’enthousiasme d’un responsable de la construction nous a permis de lancer un chantier expérimental sur la construction et la restauration d’ouvrages en terre dans la province du Shanxi, où ce matériau est utilisé de longue date dans la construction. Quelques exemples parmi une liste d’actions diversifiées : la gestion urbaine et patrimoniale, l’expertise, la formation des formateurs et des autorités locales, la sensibilisation des habitants. À chaque fois, la société chinoise était au cœur des débats, alors que le pays était soumis à des mutations socio-économiques particulièrement rapides.Le travail de terrain, comme support de base de la formation
En formant les professeurs qui étaient nos interlocuteurs, nous avions pour objectif de contribuer à développer les outils et les méthodes nécessaires aux générations suivantes.
Ainsi, à partir de 2006, une formation spécifique sur le patrimoine fut mise en place à l’Université Tongji. L’École de Chaillot, dont la direction était alors assurée par Mireille Grubert, s’est engagée avec enthousiasme dans un programme très apprécié d’ateliers communs ; les « ateliers croisés » qui permettaient aux deux établissements de croiser leurs méthodes pédagogiques sur un site rural, qui faisait par ailleurs l’objet de programmes d’échanges plus larges. Les villages ont été choisis soigneusement pour être des supports aux études de terrain et à la pédagogie, d’autant que les étudiants chinois s’y aventuraient alors rarement et étaient peu familiers de ces modes de vie. Lors de ces «ateliers croisés », les étudiants de Tongji et les élèves de Chaillot partageaient pendant un an leurs études et propositions. À l’automne, un séjour commun dans un village traditionnel leur permettait de prendre connaissance du site, d’apprendre de leurs pairs et de mettre en commun leurs analyses, intégrant des problématiques sociales et économiques dans un paysage d’ensemble. Pendant l’année, les équipes mixtes développaient les études d’après les matériaux récoltés et étudiaient des scénarios possibles sur plusieurs édifices choisis. Les professeurs Benjamin Mouton et Shao Yong ont ainsi dirigé l’ensemble des quatre ateliers qui ont pris place, le premier à Zhaji dans la province de l’Anhui (2007-2008), suivis par deux dans la province du Shanxi, à Liang et Shuimotou, et le dernier dans la province du Guizhou, à Zengchong (2014-2015).Dans la province du Guizhou, l’analyse d’une économie circulaire en montagne
L’atelier qui s’est déroulé à Zengchong est celui où nous avons le plus exploré les stratégies d’alliances et les associations de compétences. Au cours des années précédentes, avec le Bureau de la culture de la province, avec l’Université Tongji et le Centre de formation sur le patrimoine mondial (World Heritage Institute for Training and Research-Asia Pacific, WHITRAP), créé en 2007, nous avions organisé des séminaires pluri-disciplinaires. Ces séminaires ont associé des chercheurs et des professionnels qui partageaient des savoirs spécifiques en lien avec nos problématiques, sur l’agronomie et le paysage, l’ethnologie, l’ethno-musicologie, la direction de musée et de services culturels régionaux, l’archéologie, en sus de l’architecture et de l’urbanisme. Comme beaucoup de villages dans cette province, Zengchong était resté longtemps enclavé avant la construction d’une autoroute et conservait une culture et une forme d’économie circulaire extrêmement riches. Nous avons eu à cœur de comprendre et de caractériser les multiples espaces et pratiques du site, les « communs » de ce village de montagne, que les étudiants et leurs encadrants ont exploré avec une vision systémique nouvelle.
Forts de l’ouverture d’esprit acquise à travers ces échanges franco-chinois, des croisements de compétences et des alliances, nous avons organisé des séminaires en 2015 et 2016, avec l’association des Petites Cités de Caractère, le réseau des Grands Sites de France. Nous avons abordé, non seulement les questions liées aux patrimoines culturels et immatériels, à leur protection et aux dynamiques dont ils sont porteurs, à la vitalité sociale et économique de sites et de lieux de qualité, à l’impact d’un tourisme qui devient rapidement destructeur, mais aussi les échelles de territoires avec lesquelles ces sujets sont à prendre en compte, les articulations entre tissu rural et tissu urbain, les modes de gouvernance.Les acquis de la coopération
La mise en commun de problématiques partagées en France et en Chine nous apporte l’opportunité de partager et de continuer à apprendre, en échangeant sur les pratiques et les méthodes utilisées. Cette coopération nous a donné de la visibilité, nationale et internationale, et de la notoriété de part et d’autre. Nos expériences collectives de terrain qui ouvrent sur des champs disciplinaires différents ont permis à des professionnels de l’architecture, du patrimoine et de l’aménagement des rapprochements difficiles à mettre en œuvre en salle de réunion. Elles dynamisent les échanges engagés sur les enjeux culturels, sociaux et environnementaux, sur la participation des habitants au processus.
Ensuite, et pour conclure, il s’agit de faire vivre ces connaissances mutuelles et de les partager, au sein de plus larges réseaux, de manière à pouvoir amplifier le double mouvement d’apprentissage et d’expérimentation dans un processus de coopération innovant.
Sélection d’articles, contributions
Sites internet :
- Site d’Alain Marinos, sur la coopération franco-chinoise : https://www.alainmarinos.net/9-21-ans-de-cooperation-france-chine-french-and-english/
- Site du WHITRAP à l’Université TOngji à Shanghai, http://www.whitr-ap.org/
- Captation du RDV Chine du 18.09.2018 à la Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris
https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/nouveaux-enjeux-urbains-et-ruraux-nouvelles-pratiques-chinoises -
Articles
- en accès libre :http://france.icomos.org/resources/library/0/CR_ICOMOS_CIVVIH_Chine.pdf Françoise Ged et Alain Marinos, Villes, territoires et patrimoine – Quinze ans de coopération entre la Chine et la France, Icomos France, Comité-miroir, Villes et Villages historiques
- Françoise Ged et Emilie Rousseau, « Guizhou, « terre précieuse » menacée. Quelles préservations et quelles transmissions pour ses patrimoines culturels immatériels ? », in Les Cahiers du CFPCI, n°6, Transmettre ! Savoir-faire, métiers d’Art et patrimoine culturel immatériel, Vitré, 2019. http://www.cfpci.fr/medias/cahier_6_transmettre_superieure.pdf
- Françoise Ged, « De la qualité des relations dans l’architecture chinoise », in Esthétiques du quotidien en Chine, Danielle Ellisséeff ed. IFM éditions, Paris, 2016
- Françoise Ged et Shao Yong, « Urban heritage in Shanghai 1980-2010: from recognition to innovation, the challenging path », in China’s Urban Century, François Gipouloux ed., Edward Elgar Publishing, London, 2015
- Françoise Ged, « L’autre moitié de la Chine, villages et territoires ruraux », in EK, n° 44 mai-juin, A Vivre Éditions, 2015
- Françoise Ged, Alain Jullien, Alain Marinos et Zhou Jian eds, Regards sur le Guizhou, lectures et textures du paysage, Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris, 2013
- École de Chaillot/Université Tongji, Apprendre à lire le patrimoine, Ateliers croisés en Chine, éditions de l’Université Tongji, Shanghai, 2013
- Françoise Ged et Shao Yong , « Une coopération franco-chinoise pour la valorisation des paysages culturels : les exemples de Zhaji (Anhui) et Liang (Shanxi) », in Espaces croisés, Duanmu Mei, Hugues Tertrais, eds, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012, Paris.
- Françoise Ged et Alain Marinos eds., Villes et patrimoines en Chine, Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris, 2012
- La culture comme moteur du développement au Guizhou, une approche transversale, d’Hervé Carriou : https://www.youtube.com/watch?v=OzQqZB0dIQU et https://guizhou.hypotheses.org/428