Bénin, la lagune de Porto-Novo entre nature et culture

Jean Pliya, écrivain béninois, révèle dans Les Tresseurs de cordes, en 1987, les contradictions de ses compatriotes, emmêlés dans leurs schémas culturels indigènes et allogènes. Les cultures croisées des Béninois ont émergé et sous-tendu les projets du séminaire atelier Territoires et Patrimoines que nous avons animé à Porto-Novo, pour l’INHA (Institut national d’histoire de l’art) et l’ÉPA (École du patrimoine africain), avec Pierre Alexandre (AUCE, chef du STAP 29) et Bernard Toulier (conservateur général du patrimoine), du 5 au 10 novembre 2005.

Porto-Novo, « la cité rouge », marquée par son quartier afro-brésilien, Oganla, possède un patrimoine domestique en terre et des monuments exceptionnels, s’étageant sur le coteau dominant la lagune et son replat alluvionnaire. Ce dernier, qui fit la richesse maraîchère, agricole et paysagère de la cité, est aujourd’hui réduit à l’état de zone humide dans laquelle la nature reprend ses droits.

Nous avons fondé notre intervention sur trois temps : celui de la connaissance, celui de l’appropriation et de la transmission et, enfin, celui des projets. Trois sites d’étude ont été proposés aux stagiaires pour projeter :

  • une maison du patrimoine au cœur du marché traditionnel dominant la lagune ;
  • l’insertion, sur la berge, du bâtiment de la future Assemblée nationale ;
  • la réhabilitation du palais du roi Toffa, à l’est de Porto-Novo, sur le premier replat dominant de la lagune.

Les trois projets se sont révélés très liés par la reconnaissance de nouveaux patrimoines tels que l’architecture domestique de la ville traditionnelle ou afro-brésilienne, l’architecture coloniale et l’ensemble des traditions matérielles et immatérielles, spirituelles ou civiles.

La lagune, lien commun

Patrimoine naturel d’exception, la lagune, au pied de la ville traditionnelle, est bordée de terres humides et fertiles sous-exploitées. Ancien site d’une vie officielle et culturelle aujourd’hui disparue, des lieux cultuels sont toujours implantés, mais de façon si discrète qu’il eût été facile de les ignorer.

Le groupe qui a travaillé sur le palais royal, très altéré, a étendu sa réflexion à l’ensemble du site afin d’intégrer dans une programmation la résidence du roi Toffa, ses dépendances et la lagune, lieu d’échanges, de pêche et de loisirs pour l’ancienne cour royale. L’analyse du site a permis de repérer des traces anciennes, notamment la perspective entre le palais et l’eau par un “tapis vert” aujourd’hui partiellement cultivé, au milieu de taillis et de broussailles.

La lecture des sites avec nos collègues africains a révélé une richesse insoupçonnée qui remettait en cause la manière initiale de gérer le projet. La relation actuelle de la population aux descendants des rois et à leur famille, les anciens lieux de vie de la cour et le culte des ancêtres ont dévoilé un patrimoine immatériel à transmettre et à utiliser comme socle du projet d’aménagement et de requalification du site.

La lagune a été le ferment commun aux trois projets : intégrant la voie de transit entre les deux ponts de Porto-Novo, proposant la remise en culture maraîchère de la zone humide, ouvrant à nouveau le centre historique sur l’eau, développant un mode de transport urbain par voie d’eau entre Porto-Novo et Cotonou, envisageant une tranchée pour masquer les véhicules au droit du tapis vert à recomposer tout en maintenant les cultures potagères, créant un belvédère sur la lagune. Les stagiaires ont pris conscience de la nécessité de lier protection et mise en valeur, de fabriquer, à terme, du projet s’appuyant sur une histoire à révéler tout en répondant à des programmes actuels. La préservation des cultures ancestrales, du cadre de vie d’hier dans des architectures domestiques issues de savoir-faire et des matériaux locaux est vite apparue comme la base d’un développement durable à organiser au regard de la fragilité des constructions anciennes.

Ce séminaire atelier, à travers les projets liés à la lagune, a révélé que celle-ci formait un tout avec ses berges dominées par les marqueurs patrimoniaux ; l’éco-système et les qualités environnementales et culturelles sont les vecteurs d’un projet de développement pérenne alliant mémoire, patrimoine et évolution, et requalification des lieux. Cependant, la préservation et la mise en valeur sont encore trop perçues, dans la gouvernance actuelle, comme des freins à la modernité et à la reconquête sociale des villes historiques.

Passeurs, défricheurs, semeurs, tels ont été nos trois rôles pour asseoir les projets d’aménagement sur les sédiments matériels et immatériels locaux, qui se sont glissés entre nature et culture, entre identité cosmique (vaudou), société clanique et mondialisation, entre les monuments et le territoire.

Daniel DUCHÉ
Architecte du patrimoine, urbaniste