Le décret du 5 février 1999 2/3

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Travaux entrant dans le champ d’application de la procédure d’instruction complémentaire

Apparemment, le décret d’application du 5 février 1999 ne prévoit pas de déclencher, l’instruction complémentaire faisant appel au préfet de région dans le cas des travaux exemptés du permis de construire dans son régime normal et soumis seulement à la déclaration de l’article L 422-2. Si l’intention avait été différente, sans doute le décret aurait-il mis expressément en place une “suspension” en ce cas de la délivrance tacite dans le délai très court de deux mois de la déclaration de travaux, comme il le fait pour les travaux soumis à permis de construire normal en secteur sauvegardé (et ne le fait pas au contraire pour le permis de construire normal aux abords de monuments historiques ou en zone de protection de la loi de 1983, parce que la délivrance tacite se trouve exclue en ces cas).

Sous le bénéfice de cette observation, le domaine de la nouvelle procédure peut être présenté en distinguant abords de monuments historiques, zones de protection et secteurs sauvegardés.

Travaux aux abords de monuments

Aux abords des monuments historiques, champ d’application de beaucoup le plus important, la saisine du préfet de région peut affecter les avis émis par l’architecte des bâtiments de France sur des travaux soumis à permis de construire (article R 421-38-4), à permis de démolir (article R 430-12-1) ou à autorisation d’installation et travaux divers (article R 442-4-8-1). Il s’agit dans ces trois cas de soumettre à complément d’instruction un avis conforme, un accord à obtenir de l’architecte des bâtiments de France désigné comme tel (articles R 421-38-2, R 442-13) ou considéré comme le délégué du ministre chargé des monuments historiques (article R 430-12), selon la pratique que consacre la loi nouvelle du 28 février 1997.

Pour les travaux non soumis à permis de construire, de démolir ou d’installation et travaux divers, subsiste en revanche la procédure très particulière définie aux alinéas 1 (modifié par l’article 2 du décret 95-667 du 27 mai 1995), 2 et 3 de l’article 13ter de la loi du 31 décembre 1913.

Travaux en zone de protection

En zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager où sont soumis à autorisation “les travaux de construction, de démolition, de déboisement, de transformation et de modification de l’aspect des immeubles”, le domaine de la procédure d’instruction complémentaire est moins facile à cerner que pour les abords.

Il s’agit cette fois d’avis conformes généralisés de l’architecte des bâtiments de France pour tous les travaux précités.

Sans évidente explication, la nouvelle rédaction de l’article 9 du décret du 25 avril 1984 fait à ce sujet état “de l’avis ou de la décision de l’architecte des bâtiments de France”. Nous reviendrons sur cette innovation à propos des secteurs sauvegardés où la formule suscite une interrogation particulière. Ici l’ajout de “la décision” est peut-être une simple précaution inutile. On considère généralement en effet qu’il y a co-décision là où une autorité lie la compétence de l’autre.

Dans le cas ci-dessus des permis de construire, de démolir ou d’installation et travaux divers aux abords de monuments historiques, le décret du 5 février 1999 n’a pas eu recours à cette formule utilisant à titre alternatif la référence à une “décision” ( alors qu’il s’agit tout autant de co-décisions de l’architecte des bâtiments de France). Elle n’avait pas été utilisée non plus dans le régime antérieurement applicable en zone de protection du patrimoine. Et elle n’est pas reprise dans le nouvel article R 421-38-6-II, qui ne mentionne que l’avis émis pour le permis de construire en zone de protection. Si l’adjonction du membre de phrase “ou la décision” à l’article 9 du décret modifié du 25 avril 1984 relève d’une intention particulière, la pratique administrative le révèlera.

Sous le bénéfice de cette observation, la soumission de certaines catégories de travaux à la nouvelle procédure est claire dans les cas les plus fréquents.

Les textes sont explicites pour les avis conformes de l’architecte des bâtiments de France sur les permis de construire, d’installation et travaux divers et de démolir en zone de protection du patrimoine. La possibilité de saisir le préfet de région de ces avis conformes était déjà prévue dans les dispositions datant de 1983-1984 du Code de l’urbanisme. Les dispositions actuelles résultent de la nouvelle rédaction des articles R 421-38-6-II et R 430-13 et du texte inchangé de l’article R 442-11-1 renvoyant à l’article R 421-38-6-II précité.

Dans le cas de travaux en zone de protection autres que ceux qui viennent d’être indiqués, c’est l’expérience qui montrera l’intérêt réel du rôle subsidiaire du nouvel article 9 du décret modifié du 9 avril 1984. Cette disposition organise la procédure d’instruction complémentaire pour les travaux “de construction, de démolition, de déboisement, de transformation et de modification de l’aspect des immeubles” autres que ceux qui seraient soumis à un perinis de construire ou de démolir ou à une autorisation d’installation et travaux divers.

Il peut s’agir de travaux soumis à “d’autres autorisations d’utilisation du sol prévues par le code de l’urbanisme” que celles précitées. En ce cas, comme le précise l’article 71 de la loi du 7 janvier 19831 , ladite autorisation, accordée par l’autorité compétente, doit être revêtue d’un visa, valant avis conforme, de l’architecte des bâtiments de France. Le Code de l’urbanisme rappelle cette obligation pour les autorisations de coupe et abattage d’arbres (article R 130-8), mais cette obligation d’avis conforme paraît implicite pour d’autres modes particuliers d’utilisation du sol.

Il peut s’agir en second lieu de travaux “de construction, de démolition, de déboisement, de transformation et de modification de l’aspect des immeubles” qui ne seraient soumis à aucune des autorisations précitées, mais qui relèveraient à titre résiduel d’une autorisation spéciale de “l’autorité compétente en matière de permis de construire après avis de l’architecte des bâtiments de France”, par le seul fait qu’on est en zone de protection. On peut par exemple songer à certains travaux visés à l’article R 421-1 du Code de l’urbanisme, à des défrichements, des ouvertures d’installations classées. Reconnaissons que la procédure consistant à saisir le préfet de région a peu de chances alors d’être utilisée, moins
encore que dans le cas précédent, et que l’on a donc surtout là une hypothèse d’école.

Travaux en secteur sauvegardé

La loi du 27 février 1997 emploie uniquement le terme “avis” pour définir l’acte susceptible de donner lieu à démarche auprès du préfet de région. Cependant, comme le fait pour certains travaux en zone de protection l’article 9 modifié du décret du 9 avril 1984, l’article R 313-17-1 nouveau indique que le préfet de région est saisi en secteur sauvegardé “de l’avis ou de la décision émis par l’architecte des bâtiments de France”. Il fait état en conséquence de “l’avis ou la décision [du préfet de région]qui se substitue à celui ou celle de l’architecte des bâtiments de France”.

Est-ce seulement une précaution de langage ? N’y aurait-il pas là une référence aux cas prévus à l’article R 313-14 des “demandes d’autorisation spéciale pour tout travail (même exclu par l’article R 421-1) ayant pour effet de modifier l’état des immeubles”, étant entendu que le travail en question ne relève en l’occurrence ni du permis de construire dans son régime normal ou déclaratif, ni du permis de démolir, ni de la procédure des immeubles menaçant ruine, ni du régime des autorisations particulières mentionnées à l’article R 313-17 ? On hésite à voir ouvrir un cas de saisine à l’initiative du seul maire, étant donné que l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, seconde branche de l’alternative selon la loi de 1997, est ici par définition “hors jeu”. On se heurte aussi à la difficulté de monter un système où la contestation ne se ferait pas en amont, à l’occasion d’un avis préalable à une décision susceptible des recours de droit commun, mais au stade de la décision elle-même, de façon concurrente au recours de droit commun gracieux, hiérarchique ou contentieux. On s’interroge enfin sur une possibilité de soumettre au préfet de région des décisions de l’article R 313-14 au moment où l’on était plutôt en droit de se demander si le pouvoir de décision donné en 1964 par un texte réglementaire à l’architecte des bâtiments de France n’avait pas été, depuis lors, transféré implicitement mais nécessairement au préfet de département. De ce dernier point de vue, l’emploi du mot “décision” pour couvrir le cas précis des décisions de l’article R 313-14 aurait l’effet de conforter un pouvoir propre de l’architecte des bâtiments de France échappant aux règles de déconcentration et de clarifier la situation sur ce point2 .

Si l’on laisse de côté cette question assez subsidiaire des autorisations spéciales de l’article R 313-14, il est clair que le préfet de région peut être saisi d’une demande de complément d’instruction dans trois cas :

  • pour les avis de nature particulière qu’émet l’architecte des bâtiments de France sur une
    demande de permis de construire (articles R 313-13, R 313-17-1,R 313-17-2, R 313-19-2 et R 421-38-9) ;
  • pour les avis conformes émis par l’architecte des bâtiments de France sur une demande de permis de démolir (articles R 313-15, R 313-17-1, R 313-17-2, R 313-19-3, R 430-10, R 4350-12 : ce qui conforte l’architecte des bâtiments de France en tant que “délégué” du ministre pour exprimer un tel accord) ;
  • pour les avis conformes émis par l’architecte des bâtiments de France sur les demandes d’autorisation “concernant les lotissements, l’exploitation de carrières, l’ouverture d’installations classées et les divers modes d’occupation du sol faisant l’objet de réglementations particulières” (articles R 313-17, R 313-17-1,R 313-19-3).

Modalités de l’instruction complémentaire et de l’évocation

Il est parfois difficile de dissocier la procédure d’instruction complémentaire par le préfet de région de la procédure d’évocation par le ministre, parce que celle-ci se greffe le cas échéant sur celle-là.

Cela n’empêche pourtant pas de présenter ici successivement les modalités respectives des deux procédures et de le faire sans cacher leur complexité.

Instruction complémentaire par le préfet de région

Si l’on cherche à préciser davantage les conditions dans lesquelles le préfet de région peut être saisi, il apparaît qu’un avis favorable explicite de l’architecte des bâtiments de France pourrait, du moins théoriquement, être soumis à complément d’instruction comme trop laxiste, mais qu’un avis favorable tacite ne semble pas relever du même cas. On peut observer en effet que c’est à compter de “la réception de l’avis émis” que le maire ou l’autorité compétente a un délai d’un mois pour saisir le préfet de région de son éventuel désaccord.

Pour que “le maire ou l’autorité” puisse bénéficier de son recours auprès du préfet de région, on peut par ailleurs penser que l’architecte des bâtiments de France sera conduit à informer de son avis le maire, même lorsque celui-ci n’est pas “l’autorité compétente”.

Une fois le préfet de région saisi, il a un délai de quatre mois maximum pour consulter la commission régionale du patrimoine et des sites et se prononcer. S’il ne le fait pas dans ce délai, il est réputé avoir confirmé l’avis de l’architecte des bâtiments de France. Ce n’est que dans le cas, examiné plus loin, où le ministre a évoqué, dans les quatre mois précités, le dossier, que ce délai maximum de quatre mois ne s’impose plus au préfet de région et qu’il n’y a plus dès lors possibilité pour lui de confirmer tacitement l’avis de l’architecte des bâtiments de France ; les travaux ne pourront en conséquence être autorisés, comme nous le verrons ci-après, qu’avec un accord exprès du ministre.

Compte tenu du temps nécessaire à “l’instruction complémentaire par le préfet de région”, deux difficultés particulières devaient être résolues : celle du permis de démolir, qui par principe peut être délivré tacitement, d’une part, celle du permis de construire, dont la délivrance tacite n’est exclue que dans les cas énumérés à l’article R 421-19 du Code de l’urbanisme, d’autre part.

Nous abordons donc ici la procédure de “suspension” des délais d’instruction dans le cas où “le préfet de région est saisi”.

Il y a lieu de distinguer le cas du permis de démolir et celui du permis de construire.

Dans le cas du permis de démolir, une disposition législative, celle du deuxième alinéa de l’article L 430-4 du Code de l’urbanisme, veut que l’absence de notification de la décision dans un délai de quatre mois à compter de la demande équivaille à l’octroi du permis de démolir.

Pour les permis de démolir aux abords de monuments historiques ou en secteur sauvegardé, le temps nécessaire à l’instruction complémentaire par le préfet de région a donc été dûment ménagé.

Pour les abords, le décret du 5 février 1999 introduit dans le Code de l’urbanisme un article R 430-12-1 nouveau instituant, en cas de soumission de l’avis de l’architecte des bâtiments de France à la procédure d’instruction complémentaire, une suspension, pendant un délai maximum de quatre mois, du délai d’instruction du permis de démolir, lequel reprend, après cette suspension qui est décomptée, son cours normal de quatre mois au total.

Le même mécanisme est adopté pour le permis de démolir en secteur sauvegardé. Cela résulte des dispositions de l’article R 313-17-2 nouveau (1er et 2e alinéas) du Code de l’urbanisme.

En zone de protection du patrimoine, la difficulté existait déjà dans la rédaction ancienne de l’article R 430-13 du Code de l’urbanisme. La nouvelle rédaction de cet article améliore la situation, mais ne fait pas état expressément d’une “suspension”. On peut penser que cette apparente différence de rédaction sera en fait dénuée de signification gênante.

Philippe PRESCHEZ
Centre des hautes études de Chaillot

8- point 4.3.4 de la circulaire n°85-45 du I°” juillet 1985 , Recueil n°1345, op. cit., p.217.

  1. Article 71 de la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, Recueil n°1345, op. cit., pp.187-188.
  2. Ces décisions de l’article R 313-14 sont d’un intérêt particulier en secteur sauvegardé soumis à la surveillance générale de l’architecte des bâtiments de France en vue de préserver son caractère esthétique et de conserver les immeubles qui présentent un intérêt historique. Il peut s’agir, à titre d’exemple, d’autoriser des travaux hors champ d’application du permis de construire (article R 421-1) ou portant sur des parties communes intérieures d’un immeuble, une cage d’escalier par exemple.