Le retour de l’Âme de la Danse au Palais de Chaillot

L’Âme de la Danse a trouvé place sur le palier intermédiaire de l’escalier Paris. © C.L.
L’Âme de la Danse a trouvé place sur le palier intermédiaire de l’escalier Paris. © C.L.

La création de l’ensemble sculpté d’Armel Beaufils, appelé Âme de la Danse, en 1937 est liée à la transformation par les architectes Carlu, Azéma et Boileau de l’ancien Palais du Trocadéro en Palais de Chaillot et à la campagne concomitante de création d’œuvres accompagnant la finalisation du nouveau Palais dans le contexte de l’exposition universelle. Afin de répondre à l’unité fondamentale des arts du bâti, prônée par Paul Léon, les maîtres d’œuvre assurent de très nombreuses commandes de sculptures, peintures et autres décors.

Jacques Carlu, meneur du trio vainqueur du concours a une force de caractère telle que ses désirs apparaissaient souvent comme des ordres. Cette personnalité marquée a permis l’élaboration d’espaces cohérents et qualitatifs tels que ceux que l’on peut encore, pour partie, admirer aujourd’hui dans le Palais de Chaillot. Il est resté conservateur et architecte en charge du Palais de Chaillot de 1935 à 1962.
Les nouveaux espaces du Théâtre créés en 1937, succédant à la grande salle ventrue du Palais du Trocadéro, sont situés sous le Parvis des Droits de l’Homme et l’esplanade Wresinski, toitures du Palais ouvertes au public et offrant une superbe vue sur Paris et la Tour Eiffel. Ces espaces sont composés d’une vaste salle de spectacle accessible par deux larges escaliers l’encadrant, partant chacun depuis les deux pavillons de tête Paris et Passy situés sur la Place du Trocadéro, d’un fumoir côté Paris et d’un foyer donnant sur la Tour Eiffel. Les deux grands escaliers encadrant le foyer permettent également d’accéder au sous-foyer, entrée principale du Théâtre côté Seine. Cet accès depuis les fontaines et la Seine desservait le niveau « orchestre » de la salle de spectacle.

La Musique dans l’alcôve. © C.L.

La sculpture Musique et Danse ou Âme de la Danse d’Armel Beaufils était située sur le palier intermédiaire du grand escalier côté Passy permettant d’accéder au sous-foyer. Elle s’inscrivait dans le fond de la perspective, visible depuis le haut de l’escalier Passy côté place du Trocadéro. On peut encore admirer depuis le grand escalier Paris (en symétrie), dans la niche concave située en bout de perspective, la sculpture de la Musique d’Albert Marque représentant une jeune femme en robe longue ceinturée s’appuyant sur une lyre avec deux petits chanteurs à sa gauche, l’un debout et l’autre assis avec un livre

La Musique. © C.L.

La statue de l’Âme de la Danse d’Armel Beaufils est un ensemble sculpté de 3,10 m de haut, en plâtre, représentant deux jeunes adolescentes l’une debout s’appuyant également sur une lyre et la deuxième en tenue de danseuse, penchée en avant, genoux légèrement pliés, dans l’esprit épuré et sobre propre au style Art Déco.

L’Âme de la Danse, vue de face. © C.L.

En 1962, Jean-Jacques de Mailly, architecte des Bâtiments Civils et des Palais Nationaux a pris en charge le Palais de Chaillot juqu’en 1975. Il a modifié de manière importante les espaces intérieurs du Théâtre en procédant à la destruction de l’ancien fumoir pour lui substituer une deuxième salle de spectacle appelée Gémier et à la création d’un restaurant accessible depuis le grand foyer. Pour positionner le comptoir du bar du nouveau restaurant dans l’axe du grand escalier Passy, il décide de déposer la statue de l’Âme de la Danse courant 1964 et de la placer en réserve dans les sous-sols des ateliers de moulage situés dans l’Aile Paris.
La statue a fait l’objet d’un arrêté de dépôt en 1981 à la Salle Pleyel, à la demande de son président directeur général. En 2004, la statue ayant été mise au CNAP du fait d’importants travaux à Pleyel, le nouveau président directeur général a voulu restituer le plâtre au ministère de la Culture, principe validé par le sous-directeur des Monuments historiques sous réserve d’en définir les modalités de restitution. En réponse, le conservateur du Palais de Chaillot, souhaite que ce dépôt soit maintenu car aucune solution d’accueil au Théâtre n’est envisageable. Le 11 janvier 2005, le directeur de l’architecture et du patrimoine, valide la proposition du conservateur en demandant le maintien du dépôt à Pleyel. Cependant, malgré cet arrêté, cette statue n’est jamais revenue à la Salle Pleyel après les travaux de réaménagement et est restée entreposée dans les réserves externes du CNAP, SOLA de Saint-Ouen-l’Aumône.
Interrogée par la DRAC Île-de-France, en février 2015 au titre de mes missions de conservateur du Palais de Chaillot, sur un retour de l’Âme de la Danse au sein du Palais, j’ai consulté le directeur du Théâtre.
Du fait de la situation inchangée au droit du bar bleu depuis les aménagements de Jean-Jacques de Mailly, j’ai proposé au Théâtre un emplacement situé dans le jour central du nouvel escalier créé dans les espaces restructurés de Gémier. La restructuration du Théâtre comprenait trois objectifs : la création d’un nouvel accès décor, la création d’une nouvelle salle de spectacle en lieu et place de la salle Gémier des années 60 inopérante et la mise aux normes handicapées du Théâtre.

Plan du théâtre Gémier. © Cabinet Brossy.

Le bénéficiaire du concours organisé par l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers du ministère de la Culture (OPPIC) pour le compte de la DGCA du ministère de la Culture a été le cabinet Brossy et associés. Ce cabinet a conçu dans les zones d’accueil et de foyer précédant la nouvelle salle Gémier, un grand escalier hélicoïdal reliant le niveau du sous-foyer existant du Théâtre au niveau entrée haute appelée entrée Gémier, donnant dans les jardins côté Seine. Le directeur du Théâtre a répondu en juin 2015 favorablement à la proposition de retour de l’Âme de la Danse, mais en souhaitant la validation de l’implantation par le cabinet Brossy. Ce dernier, en désaccord avec l’implantation, propose le remplacement de la statue de la Musique par celle de l’Âme de la danse, avec prise en charge par la Conservation des dépenses induites.
Cette proposition de déplacement de la sculpture de la Musique d’Albert Marque, ainsi que la proposition de prise en charge des déménagements en chaise musicale des deux sculptures, laissant la statue de la Musique d’Albert Marque sans emplacement de repli, hormis les réserves externes du CNAP, en situation déconnectée de son contexte historique, n’était ni respectueuse du classement au titre des Monuments historiques des décors existants, ni respectueuse des dispositions financières attachées à la gestion des œuvres situées au sein d’un établissement.
La statue de la Musique d’Albert Marque, implantée à son emplacement originel, y était notamment lors de l’arrêté de classement au titre des monuments historiques du 24 décembre 1980. Elle est donc classée Monument historique au titre des décors originels du Palais. Elle bénéficie également d’un statut d’immeuble par destination. À ce titre, elle ne peut pas faire l’objet, surtout de la part d’un tiers n’ayant pas autorité, d’un déplacement sans autorisation de l’autorité administrative au titre de l’article L.621.9 du code du patrimoine.
Suite à la demande de dépôt de la Ville de Roubaix à son bénéfice de la sculpture d’Armel de Beaufils, le directeur du Théâtre et Vincent Brossy sont à nouveau interrogés. Les deux réponses arrivent fin décembre 2016 et sont maintenues négatives.
Le retour de cet ensemble sculpté qui, à l’origine, avait été conçu pour le Théâtre me semblait rester le meilleur avenir souhaitable. Certes, la solution d’un dépôt de cette œuvre au bénéfice de la Ville de Roubaix était une alternative plus intéressante que l’installation à demeure de cette sculpture dans les réserves du CNAP, mais il ne s’agissait que d’un deuxième choix, ma priorité allant vers un retour dans les espaces pour lequel il avait été conçu.
Afin d’étayer cette conviction en concertation avec la DRAC, un rapport décrivant l’histoire de la statue, agrémenté d’une photo des archives de la Conservation datant de l’époque Pleyel, a été envoyé à tous les interlocuteurs avec une proposition de réunion de travail. Après en avoir pris connaissance, le directeur du Théâtre est revenu sur sa position et a proposé un emplacement situé hors de l’emprise de Gémier, sur le palier intermédiaire du grand escalier Paris, en face de l’actuel vestiaire.
Le retour de l’Âme de la Danse au Théâtre national de la Danse, dans un emplacement co-visible avec la statue de la Musique répondait dans cette proposition à la fois à l’esprit des lieux, théâtre consacré à la danse contemporaine et à une mise en scène intéressante de deux sculptures cohérentes et conçues pour se répondre.
Après une visite sur place, une vérification structurelle de la portance de la dalle à cet endroit, un projet de mise en situation a été commandé à l’architecte en chef des Monuments Historiques, Monsieur Lionel Dubois.

Étude ACMH © Lionel Dubois.

Le retour de l’Âme de la Danse a enfin été validé par toutes les parties. Le partage des coûts liés à cette opération a également été acté avec tous les partenaires.
Le Théâtre a pris à sa charge le déménagement de l’œuvre depuis les réserves et la commande du socle auprès de l’ACMH et la Conservation, validée par la DRAC, a pris en charge, l’adaptation au socle, le nettoyage et la restauration de la sculpture. Les travaux de restauration ont été réalisés par Madame Maÿlis de Gorostarzu, diplômée de l’IFROA INP. La statue ne présentait aucun problème structurel. Le plâtre était sain, même si on pouvait observer de nombreux éclats, des épaufrures, des bulles liées à la mise en œuvre au moment du coulage et de profondes griffures correspondant au passage d’une brosse dure. De plus la surface de l’ensemble sculpté était très encrassée, en particulier sur les surfaces horizontales. Les griffures étant présentes sur d’autres sculptures en plâtre du Palais, il est probable que ces détériorations sont antérieures au départ de la sculpture pour Pleyel. Le traitement a consisté en un dépoussiérage au pinceau souple et sous aspiration, et à un nettoyage sous forme de compresse de papier à l’eau déminéralisée. Les compresses maintenues entre 5 à 10 mn, ont permis de ramollir la crasse qui a été ensuite éliminée au moyen d’un coton humide. Un bouchage des microfissures et de certaines bulles importantes a complété le travail. Enfin une harmonisation de couleur sur les usures et les lacunes de patine a été réalisée à l’aide de couleur aqueuse à base de résine acrylique.

Restauration de l’Âme de la Danse : griffures, nettoyage, compresses, visage et signature. © C.L.