Intervention de Madame Dujols

Je souhaite centrer mon propos sur le développement -dont témoignent ces journées- des échanges et de la coopération entre acteurs du patrimoine, et tout particulièrement entre acteurs de l’État.

La nécessité de cette coopération paraît en effet de plus en plus évidente

  • Tout d’abord parce que l’approche du patrimoine revêt de multiples dimensions dont aucune profession, aucun service ne peut maîtriser la totalité. À côté des dimensions esthétiques, historiques et techniques que je qualifierais de traditionnelles, se sont développées : l’approche spatiale (de l’élément à l’ensemble), l’approche socio-culturelle (dimension symbolique et identitaire liée à l’extension du champ même du patrimoine) approche économique (industrie du tourisme, marché de la restauration immobilière, effets économiques et sociaux de la revalorisation des centres anciens…) l’approche dans le cadre de politiques urbaines, etc.

  • Ensuite, parce qu’il convient, devant l’augmentation de la charge -de travail et financière- induite par l’augmentation de la “demande de patrimoine”, de développer au maximum les synergies, et de rechercher des leviers autres que les moyens traditionnels que sont les crédits d’études et de travaux des administrations en charge de ce secteur.

Le développement de la coopération entre acteurs du patrimoine, au demeurant, des effets tout à fait bénéfiques : enrichissement des approches réciproques, fiabilité plus grande des diagnostics et meilleur partage des objectifs.

Cette coopération doit être pratiquée d’abord dans les rangs de l’État et spécialement, en matière de patrimoine, entre les deux administrations de la Culture et de l’Équipement (Direction du patrimoine/Direction de l’architecture), les conservateurs des monuments historiques et les architectes des bâtiments de France :

  • Pour développer une synergie d’intervention depuis l’acquisition et la diffusion de la connaissance, en passant par le déploiement coordonné des mesures de protection jusqu’à l’exercice opérationnel
  • Pour répondre au mieux aux interrogations et aux attentes des acteurs du
    patrimoine (professionnels, associations et surtout élus) en évitant les discordances, la multiplication des interlocuteurs au sein de l’État
  • Pour un accroissement de notre capacité d’expertise et l’affirmation de notre rôle d’expert : plus que jamais les mesures de protection et les prescriptions ne seront admises que si elles s’étayent sur une connaissance indiscutable.

Au sein des services déconcentrés, les ABF sont en première ligne en tant qu’interlocuteurs privilégiés au contact des réalités locales.

En ce qui concerne la coopération entre la Direction de l’architecture et de l’urbanisme et de la Direction du patrimoine, elle a été relancée par la circulaire interminislérielle d’août 1993 et un premier prolongement des principes énoncés est constitué par l’instruction commune DAU/DP du 8 septembre 1994 sur les secteurs sauvegardés.

Cette coopération doit s’instaurer sur l’ensemble des champs de compétence relatifs au patrimoine :

  • constitution d’une connaissance plus large et plus pointue du patrimoine bâti (fonds documentaires, études, fiches) ;
  • mise en œuvre d’instruments de protection appropriés et complémentaires (PMSV ou ZPPAUP/ protections MH). Dans cet ordre d’idées, un groupe de travail vient d’être mis en place entre nos services pour coordonner l’action dans le domaine des jardins ;
  • gestion opérationnelle cohérente et convergence (travaux sur MH, prescriptions, aides).

Pour être efficace, cette coopération doit être permanente et pas simplement ponctuelle et conjoncturelle : elle impose des contacts fréquents entre le SDA, l’ABF et les services des DRAC (la circulaire d’août 1993 avait préconisé la participalion des ABF aux conférences du patrimoine) et réciproquement l’association soutenue des services régionaux de la Culture aux études de secteurs sauvegardés et ZPPAUP.

La gestion des ZPPAUP et des secteurs sauvegardés doit faire preuve de continuité au-delà de la clôture de l’instruction du document de protection (par exemple, il est prévu la pérennisation de la commission locale du secteur sauvegardé après l’approbation du PSMV).

La coopération en matière de secteurs sauvegardés a fait l’objet de dispositions précises. En ce qui concerne le recensement du patrimoine tout d’abord, un rapprochement méthodologique et technique pour la réalisation de l’inventaire et l’établissement du fichier des immeubles du secteur sauvegardé est en cours.

Vous en avez eu la démonstration pour Fontenay-le-Comte. Une opération-test complémentaire à Besançon vient d’être lancée conjointement par les sous-directions de l’Inventaire et des Espaces Protégés et d’autres opérations-pilotes doivent être engagées sur des secteurs sauvegardés nouvellement créés (notamment Joigny, Perpignan et Villeneuve-lès-Avignon).

La DAU s’engage dès 1995 à concentrer les crédits nécessaires au bon accomplissecment de ces démarches, en coordination avec la DP. Par ailleurs, l’assistance technique des directions centrales vous a été proposée.

II convient aussi de développer l’échange documentaire et la collaboration pour la recherche documentaire préalable : cela doit concerner l’ensemble des pièces où des études historiques et architecturales utiles à l’étude du secteur sauvegardé détenues par les services déconcentrés (documents, relevés sur les édifices historiques, documentation et études de l’inventaire régional, carte archéologique et document d’évaluation du patrimoine archéologique urbain (DÉPAU) etc).

Cela concerne aussi les documents cartographiques et en particulier les fonds de plan numérisés préalablement élablis par les PSMV pour la constitution d’une base de données commune.

La coopération avec d’autres acteurs publics se développe également.

Dans le domaine du développement des instruments de connaissance, je me dois de signaler la coopération exemplaire entre la Direction que je représente, la Direction des archives du ministère de la Culture et l’Institut français d’architecture pour le développement du fonds d’archives de l’architecture du XXe siècle, sous la direction de Maurice Culot. Une nouvelle convention vient d’être mise au point pour renforcer encore cette coopération.

Par ailleurs, les services d’études de la DAU (Centre d’études “Villes et Territoires”, CEPVT) et la sous-direction des espaces protégés ont lancé ou vont lancer plusieurs enquêtes en liaison avec d’autres organismes publics :

  • exploitation spécifique, sur l’ensemble des secteurs sauvegardés, des recensements INSEE de 1982 et 1990 (disponibilité premier trimestre 1995) ;
  • en co-pilotage avec la sous-direction des politiques nationales d’aménagement et de planification, avec l’appui du CEPVT, enquête sur les processus de valorisation/dévalorisation des quartiers anciens sous maîtrise d’œuvre de plusieurs Centres d’études techniques de l’équipement (CETE de Aix-en-Provence, Bordeaux, Lille et de Lyon). Un volet de cette étude comportera un éclairage particulier pour estimer l’impact éventuel de la protection au titre d’un secteur sauvegardé sur la dynamique socio-économique urbaine : le cas de Bordeaux sera notamment étudié (disponibilité courant 1995) ;
  • enquête sur le jeu et la perception des acteurs pour la mise en œuvre et la promotion des secteurs sauvegardés, enquête réalisée avec le concours d’un organisme d’étude spécialisé, le CREDOC, sous co-pilolage avec le GEPVT (disponibilité courant 1995) ;

D’autre parti, un volet spécial au patrimoine urbain sera inséré dans la prochaine enquête communale régulièrement effectuée par l’INSEE auprès de l’ensemble des communes françaises. enquête dont l’exploilation sera réalisée par le Centre d’Etudes Villes et Territoires.

Il permettra d’interroger les communes sur la perception de leur patrimoine bâti et de connaître celles éventuellement intéressées par une mesure de protection. Ce travail sera effectué en 1996-1997. Mais au-delà de ces outils de connaissance, l’extension de la coopération interne à l’État avec d’autres administrations ou organismes vise principalement l’aspect opérationnel.

  1. Avec l’administration des Finances, un rapprochement a eu lieu en 1993-1994 dans le prolongement du colloque de Dijon sur les secteurs sauvegardés, pour donner
    une nouvelle implusion en matière d’incitation fiscale à la restauration en secteurs
    protégés.

Cette démarche a abouti à des modifications sensibles du dispositif fiscal par loi de finances rectificative pour 1994 qui doit être prochainement suivie d’un décret et d’une circulaire d’application.

Une note a éLé communiquée aux DDE et SDA reprenant les modifications concernées. Parmi ces modifications deux d’entre elles méritent attention au regard du thème de ce colloque :

  • l’extension du disposilif aux ZPPAUP créées et aux secteurs sauvegardés dès leur création, sous réserve de la déclaration d’utilité publique des travaux de restauration ;
  • la déductibilité des travaux prescrits par l’ABF (ou certifiés par celui-ci comme nécessaires à la restauration) ainsi qu’une définition plus satisfaisante des travaux éligibles.

Ces élargissements appellent assurément une rigueur dans l’expertise du champ et l’énoncé des prescriptions. Ce disposilif pour pouvoir s’appliquer ave
succès nécessite :

  • votre étroite association à la délimitation locale du nouveau champ ainsi offert. Les SDA seront sollicités dans le cadre de la procédure DUP de restauration pour établir des propositions où formuler un avis à la demande du Préfet, autorité compétente pour la DUP ;
  • votre objectivité et exhaustivité quant aux prescriptions ou certification de travaux de restauration que vous formulerez dans le cadre essentiellement des permis de construire pour ouvrir droit à la déduction fiscale.

Dans ces deux situations. vous devrez évidemment vous appuyer sur les documents existants ou en cours d’établissement (PSMV et dispositions réglementaires de ZPPAUP qui constituent le fondement de vos avis ou décisions).

Mais un point d’appui important consistera en l’élaboration d’un fichier d’immeubles ou d’une études spécifique auxquel il s’avère indispensable que, dans ce contexte, vous soyez associés : le prolongement directement opérationnel du fichier d’immeubles est une dimension qui devient ici essentielle et nécessite la plus grande attention. Dès la mise au point de l’instruction du ministère des Finances, une instruction complémentaire de la DAU vous précisera les conditions de votre intervention en la matière.

  1. Avec l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habilat, sous l’impulsion conjointe de la DAU et de l’ANAH, un recentrage des subventions de réhabilitation et une amélioration des procédures d’attribution des aides ont été recherchées.

Les services départementaux de l’archilecture recevront incessamment une instruction conjointe DAU/ANAN en ce sens.

Sans entrer dans le détail, il convient de retenir deux principes fondamentaux inscrits dans cette instruction :

  • une focalisation plus grande des aides de l’ANAH vers les espaces protégés en partliculier en ZPPAUP et secteurs sauvegardés, notamment en ce qui concerne les travaux d’intérêt architectural ;
  • l’élablissement de liens entre la procédure de subvention et celle de l’autorisation des travaux requise au titre de l‘application du droit des sols.

En secteur sauvegardé, la décision d’atribution de la subvention ne pourra intervenir qu’après obtention de cette autorisation. En ZPPAUP et autres secteurs protégés (sites, abords), la délégation de l’ANAH pourra subordonner sa décision à cette autorisation.

Votre intervention sur ce champ devient à la fois incontournable et essentielle

Elle appelle là encore une grande rigueur dans nos avis et prescriptions qui pourra s’étendre au suivi étroit de certaines opérations sensibles pour lesquelles une garantie absolue de qualité d’exécution doit être recueillie.

Vous pouvez, suivant les cas, exprimer ce souhait auprès de la délégation de l’ANAH qui recueillera alors votre avis de conformité avant le versement total de la subvention. Ici également, l’appui des précisions apportées par les fichiers d’immeuble peut s’avérer d’une grande utilité.

Je tiens à souligner la très grande importance du développement de ces deux coopérations, et pas seulement pour les sources de financement qu’elles représentent : certes, elles sont tout à fait considérables puisque l’avantage fiscal de la loi Malraux représente un coût annuel estimé à près de cinq cents millions de francs et que le budget total de l’ANAH approche les deux milliards et demi de francs. Être associé à l’orientation de ces financements est un atout indisculable pour les ABF. Mais surtout, ces aides étant accordées aux bailleurs, elles contribuent au maintien d’un parc locatif accesSible dans les centres anciens. Or la protection et la mise en valeur du patrimoine, ce n’est à mon sens pas créer des villes musées, de splendides quartiers inaccessibles au commun des mortels, c’est aussi un maintien de la vie telle qu’elle existe avant l’intervention des mesures de réhabilitation. Concilier la protection des pierres avec les enjeux sociaux du logement est une nécessilé fondamentale.

Je profile de cette intervention pour vous signaler, dans le domaine de la coopération des acteurs publics, le développement prochain d’ateliers départementaux de l’aménagement.

Ces ateliers, qui doivent faire suite au grand débat au sein du ministère de l’Équipement, pourront réunir informellement pour un travail conjoint sur les problèmes concrets de l’aménagement, les acteurs publics du secteur, et auront fréquemment un volet patrimoine non négligeable. Par exemple, dans la préparation des POS pour l’identification d’éléments remarquables à préserver dans la protection et la réutilisation du patrimoine rural, etc…

En conclusion, et pour en revenir aux instruments de connaissance, les débats de ces journées comme les thèmes abordés dans cet exposé placent la démarche de recensement des immeubles au cœur du dispositif de protection du patrimoine architectural et urbain.

Les fichiers d’immeubles deviennent, et l’expérience le confirme, une pierre angulaire de ce dispositif. Mais peu de fichiers sont opérationnels à ce jour. Nombre de secteurs sauvegardés n’en possèdent pas ou sous forme simplement partielle.

La DAU souhaite donc, en coopération avec la DP, consentir un effort particulier dans les années à venir pour un développement de cet outil. Dorénavant, chaque nouveau secteur sauvegardé devrait bénéficier dans le cahier des charges de son étude de l’élaboration d’un fichier des immeubles.

Pour l’apurement du passé, il faut être réaliste, seuls seront possibles, la refonte ou l’engagement de tels fichiers dans le cas des procédures de révision.

Quant aux ZPPAUP, leur méthodologie, leurs objectifs, les lieux auxquels elles s’adressent, détermineront en tant que de besoin la nécessité et le degré de finesse d’un tel instrument. Le financement des études nécessaires devrait revêtir ici plus qu’en secteur sauvegardé un caractère partenariat élargi, avec la collectivité locale notamment.

Je souhaite enfin vous exprimer la reconnaissance de l’administration centrale pour le travail que vous accomplissez inlassablement : grâce à vous, les décennies passées ont permis d’accumuler un savoir-faire (en termes de pratique, de méthodologie, d’application juridique) qu’une coopération entre ministères de la Culture et de l’Équipement nous permet aujourd’hui d’exporter dans le cadre des relations internationales : la journée d’hier consacrée à l’expérience polonaise prouve à la fois l’attente de conseils de pays tiers qui fondent ou améliorent leur politique patrimoniale et les enseignements fructueux et réciproques que l’on peut en tirer. C’est aussi à travers vous que le Centre d’études supérieurees d’histoire et de la conservation des monuments anciens de Chaillot est reconnu à l’étranger au point que plusieurs pays ont créé ou vont créer un enseignement directement inspiré de Chaillot.

Bien sûr, quelle que soit la légitime fierté que l’on puisse en tirer, il ne faut pas simplement se reposer sur cet acquis, il faut sans cesse l’améliorer, l’adapter à l’évolution socio-économique, à l’élargissement du regard patrimonial aux moyens techniques d’aujourd’hui offerts.

Notre coopération et la conjonction de nos efforts s’avèrent, tous services centraux et déconcentrés concernés confondus, plus que jamais nécessaires.

Je vous remercie d’y apporter votre indispensable contribution.

Dominique Dujols
Adjoint à Mme Le Directeur de l’architecture et de l’urbanisme au ministère de l’Équipement

Dans le même dossier