Le parc historique de la mairie de Clichy-sous-Bois (France) : atout et enjeu pour le projet de renouvellement urbain d’une banlieue désenchantée (2/2)

Le 27 octobre 2005, à la suite de la mort de deux adolescents tentant d’échapper à la police à Clichy-sous-Bois, en région parisienne, les « banlieues » françaises s’embrasèrent pendant près d’un mois. L’état d’urgence fut décrété et la ville devint le symbole des « quartiers », ces banlieues abandonnées où règnent la violence et l’ennui. En 2020, le film de Ladj Ly, les Misérables, raconte la relation des habitants et des policiers de Clichy/Montfermeil et remporte le César du meilleur film, en mettant en lumière la misère des lieux, au regard de celle décrite 150 ans plus tôt par Victor Hugo. Le court-métrage éponyme, signé par le même réalisateur en 2017, se déroulait autour d’un parc qui semblait oublié et dont les grottes servaient de décor aux règlements de comptes. Il s’agissait du parc historique de la mairie de Clichy-sous-Bois.

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Une “équipe patrimoine”

Notre équipe, pourtant constituée pour apporter un regard global sur le jardin, a d’emblée été considérée comme exclusivement patrimoniale et presque opposée à l’équipe de maîtrise d’œuvre urbaine chargée de dessiner le futur quartier. Là encore, le manque de connaissance mêlé aux clichés a laissé penser que notre unique objectif était de refaire le jardin tel qu’il était “avant”, sans que nous soyons en mesure de comprendre les autres enjeux inhérents au parc : sociaux essentiellement, mais aussi écologiques.

La relation entre le parc et le château est rompue. Photo début XXe siècle coll. AM Clichy-sous-Bois, Album Lindet, et photo 2021, Jean-Philippe Teyssier.

Opposer ou conjuguer les enjeux ?

La préservation du patrimoine s’est ainsi retrouvée opposée artificiellement aux réponses proposées aux difficultés sociales du quartier. Contrairement aux idées reçues, la dimension patrimoniale du jardin ne représente pas une contrainte : selon la manière dont on l’aborde, elle peut apporter des réponses à des enjeux actuels.
Entretenu a minima, le parc s’est appauvri depuis son acquisition par la ville. Il s’est boisé naturellement au fil des décennies et est aujourd’hui uniformément sombre : les ambiances diversifiées et les vues ont disparu, les berges du plan d’eau sont vétustes… Situé à l’arrière de la ville et coupé de la mairie, ses accès sont confidentiels. « Quand on veut tuer son chien on l’accuse de la rage » : ce fut et cela reste encore un peu l’attitude de la ville qui présente le parc comme un espace mal-aimé des habitants. À qui la faute ?

Depuis la vente du domaine à la mairie de Clichy-sous-Bois en 1929, le parc est amputé de toutes part (extrait de Étude patrimoniale du parc de la Mairie, 2021, tout se transforme (Antoine Quenardel, Mirabelle Croizier, Jean-Philippe Teyssier) et Isabelle Levêque).

Si l’ouverture au public d’un jardin historique conçu pour un usage privé est une question qui peut se poser, le discours prétendant qu’un jardin patrimonial n’est pas adapté aux habitants actuels de Clichy-sous-Bois a également été entendu et ouvre un autre débat (cf. charte de Florence art. 8). Or, s’inscrire dans une géographie et dans une histoire peut, au contraire, constituer un apport significatif pour des populations déracinées, une véritable valeur et un moteur pour le quartier et ses habitants. En outre, la structure historique du jardin est encore lisible. Envisagée comme une substitution et non une restitution, qui serait ici dépourvue de sens, les bosquets latéraux disparus pourraient être réinterprétés pour accueillir des jeux pour enfants, un skate-park, des agrès sportifs, un cani-parc… Il conviendra évidemment de respecter la hiérarchie, l’échelle et la limite des espaces historiques, mais toutes les inventions sont envisageables pour redonner au jardin une véritable vie publique et une réelle signification.

La coupe le long du jardin illustre l’inversion du couvert/découvert qui bloque la relation visuelle qui existait entre le château, le jardin et le grand paysage. Extrait de Étude patrimoniale du parc de la Mairie, 2021, tout se transforme, Antoine Quenardel, Mirabelle Croizier, Jean-Philippe Teyssier et Isabelle Levêque.

Dans un autre registre, la préservation du jardin historique se voit souvent opposée aux enjeux écologiques. À force d’avoir pourchassé la nature spontanée durant les Trente Glorieuses, à grand renfort de biocides, on arrive aujourd’hui à souhaiter la disparation de la dimension culturelle des jardins, en privilégiant leur composante naturelle. Dans ce sens, la commercialisation d’espèces exotiques invasives mettant en danger les écosystèmes les plus fragiles n’a rien arrangé. Ainsi, face aux écologues, il devient difficile de recourir à une palette végétale exotique en résonnance avec l‘histoire du lieu ; l’utilisation de végétaux “locaux” étant de plus en plus préconisée, voire imposée. Or, les changements climatiques laissent penser que le recours à des espèces lointaines pourrait apporter des réponses face aux épisodes caniculaires qui se multiplient (cf. charte de Florence art. 2). En proposant de rétablir la variété d’ambiance attestée historiquement dans le parc, les préconisations permettraient non seulement de conserver les espèces protégées existantes mais d’amplifier la diversité végétale, des habitats et de la faune (cf. charte de Florence art. 12).

Enfin et surtout, la mise en valeur du parc et la restauration d’éléments ponctuels particulièrement emblématiques, comme la glacière ou les grottes et cascades, ont souvent été considérées comme un effort suffisant pour satisfaire “l’équipe patrimoine” et obtenir “en contrepartie” l’urbanisation d’une partie du parc avec sa voie de “désenclavement” (deux voies de bus + voie piétonne + piste cyclable). En d’autres termes, nous devons constamment faire face à une attitude qui propose de détruire l’essentiel du parc (son emprise) pour améliorer ensuite ce qu’il en reste (les vestiges architecturaux).

Depuis plus de trois siècles, l’emprise du jardin est inchangée et non construite. Extrait de Étude patrimoniale du parc de la Mairie, 2021, tout se transforme, Antoine Quenardel, Mirabelle Croizier, Jean-Philippe Teyssier et Isabelle Levêque.

Sortir du jeu des paradoxes

Bien qu’il ait résisté aux grandes vagues de l’urbanisation du XXe siècle, le parc de la mairie de Clichy-sous-Bois est confronté aujourd’hui à une menace plus grave encore, constituée par les bonnes consciences officielles et les processus de projet banalisés. Conformément aux critères en vigueur en ce début de XXIe siècle, les opérateurs se veulent vertueux. Pour autant, le projet de la ZAC du Bas-Clichy manifeste une série d’incohérences et de paradoxes. Alors que l’objectif “zéro artificialisation nette” est plus que jamais d’actualité, il prévoit la reconstruction d’immeubles plus nombreux entraînant, avec la création de places de stationnement en surface, un accroissement de l’imperméabilisation des sols. Dans le même registre, l’éco-quartier envisagé n’avait pas encore jugé pertinent de défendre la réhabilitation/modernisation du gymnase existant, préférant opter pour sa démolition et la construction d’un équipement neuf… dans l’emprise du parc historique !

Depuis la diffusion de notre étude, et les discussions qui ont suivi, les positions ont cependant sensiblement évolué. Les dernières propositions intègrent en effet la reconstruction du gymnase sur lui-même. D’une façon plus générale, cette étude a abouti à plusieurs succès : aucune construction neuve ne sera finalement réalisée sur l’emprise du parc et une mission de maitrise d’œuvre sera peut-être lancée pour définir une remise en valeur à court, moyen et long terme du parc de la Mairie. Mais cette victoire est en demi-teinte : sur les documents du projet, l’enveloppe historique du parc n’est jamais figurée et la reconquête de cette emprise n’est pas encore validée. Par ailleurs, les financements qui devaient être alloués à la remise en état du parc dans le cadre de l’opération de GPA ont été supprimés et il va falloir désormais remobiliser les différents acteurs pour sa sauvegarde pour éviter qu’il ne tombe encore plus dans l’oubli et l’abandon.

En conclusion, c’est donc d’un manque de compréhension culturelle dont souffre actuellement le projet. L’étude a pourtant montré que les financements du ministère de la Culture permettraient une remise en état progressive du parc et l’élaboration d’un plan de gestion ; encore faut-il que le projet soit souhaité et porté par une ambition politique. Ce constat est d’autant plus navrant qu’une telle possibilité repose moins sur des campagnes de restaurations tonitruantes que sur un travail de gestion au long cours, éclairé et consciencieux, assez économique. Ce dont le parc de la mairie a besoin aujourd’hui, au-delà d’une simple prise de conscience, c’est d’une “prise de tendresse” pour son histoire, pour les habitants qui le pratiquent et la “nature” qui s’y développe aujourd’hui. Un tel objectif pourrait porter et justifier une véritable politique de la ville.

Principes des enjeux de reconquête ; extrait de Étude patrimoniale du parc de la Mairie, 2021, tout se transforme, Antoine Quenardel, Mirabelle Croizier, Jean-Philippe Teyssier et Isabelle Levêque.

Bibliographie historique (I. Levêque)

  • Louis Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, EHESS, 1999.
  • Pierre Boitard, Traité de la composition et de l’ornement des jardins, Paris, Audot, 1825.
  • P. de Jean et J. Marin (mandataires), Grontmij, R. Klein, Grand ensemble du Chêne Pointu et de l’Etoile du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois, Expertise historique, 13.01.2016.
  • Jean-Charles Krafft, Plans des plus beaux jardins pittoresques de France, d’Angleterre et d’Allemagne, et des édifices, monumens, fabriques, etc., qui concourrent [“sic”] à leur embellissement…, 1809-1810. Réédition en 1864.
  • Isabelle Levêque, Inspiration botanique et jardins sous l’Empire : l’éclosion d’une vision organique du monde, L’architecture de l’Empire entre France et Italie. Institutions, pratiques professionnelles, questions culturelles et stylistiques (1795-1815), Mendrisio-AcademyPress-Silvana Editoriale, 2011.
  • Pierre-Yves Louis, De la maison de Clichy-en-Aulnois à l’Hôtel de ville de Clichy-sous-Bois, En Aulnoye Jadis, Société Historique du Raincy et du Pays d’Aulnoye, 2003, n° 32.
  • François-André Michaux, Arbres forestiers de l’Amérique septentrionale, Paris, Museum, 1810-1813.
  • Jean-Marie Morel, Théorie des jardins ou l’art des jardins de la nature, Paris, Pissot, 1776.
  • Christophe Morin, Au service du château, L’architecture des communs en Île-de-France au XVIIIe siècle, Paris Presse universitaires de la Sorbonne, 2008 : cf. chapitre « les glacières, une dépendance au service de la bouche ».
  • Monique Mosser et Béatrice de Rochebouet, Alexandre-Théodore Brongniart, 1739-1813. Architecture et décor [Catalogue de l’exposition, Paris, Musée Carnavalet, 22 avril-13 juillet 1986], Paris, Paris-Musées, 1986.
  • Patricia Taylor, Thomas Blaikie 1751–1838, The ‘Capability’ Brown of France. TuckwellPress. 2001.
  • Patricia. Taylor, Thomas Blaikie, les jardins d’un Ecossais en France et en Allemagne après la Révolution, Polia – Revue de l’Art des jardins, n°1, printemps 2004, p. 95 à 115.
  • Atelier 68 architectes, Analyse historique et patrimoniale de l’Opération N PNRU, 2017.
  • Grand ensemble du Chêne Pointu et de l’Étoile du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois - expertise historique, groupement Patrick De Jean et Jérôme Marin (mandataires) + Grontmij + Richard Klein, document de travail, 13 janvier 2016.
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