L’Alliance mondiale des bâtiments et de la construction pour le Climat

Exemplarité des bureaux du Buildings and Construction Authority BCA du gouvernement de Singapour à BCA Academy. (https://www.bcaa.edu.sg/) Le gouvernement de Singapour démontre à travers ses immeubles publics la possibilité dans un climat tropical de répondre à l’objectif
Exemplarité des bureaux du Buildings and Construction Authority BCA du gouvernement de Singapour à BCA Academy. (https://www.bcaa.edu.sg/) Le gouvernement de Singapour démontre à travers ses immeubles publics la possibilité dans un climat tropical de répondre à l’objectif “zero energy” par des solutions architecturales harmonieuses et répondant au confort des usagers et donnant matière à émulation dans un contexte universitaire formant de futurs professionnels du bâtiment. © Frédéric Auclair

Quel futur pour les habitats et les habitants de la Terre ?

Le secteur du bâtiment et de la construction est à lui seul responsable d’environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (source de l’agence internationale de l’énergie (IEA), 2013)1 . L’immobilier (chauffage, climatisation, matériaux de construction…) a donc une part presque aussi importante que les émissions du seul secteur du transport terrestre.
La mobilisation internationale n’est aujourd’hui pas à la hauteur de l’enjeu considérable qui appelle à un soulèvement des consciences dans ce domaine. C’est dans ce contexte et dans le cadre également de l’Agenda d’Action Lima Paris (LPAA)2 que la présidence française de la 21e session de la conférence des parties (COP21) de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), conjointement avec ONU Environnement (PNUE)3 a annoncé le lancement de l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction (Global Alliance for Buildings and Construction), ou Global ABC.4
L’Alliance Mondiale Bâtiments et Construction pour le Climat a été officiellement instituée lors de la COP21, pendant la journée dédiée aux bâtiments (Building day), le 3 décembre 2015 à Paris.

Désormais, 24 pays totalisant plus d’1,5 milliard d’habitants et 72 membres non étatiques, organisations publiques et privées, en lien avec le secteur du bâtiment et de la construction, ont approuvé la déclaration commune visant à améliorer l’action pour réaliser la transition bas carbone de l’immobilier d’ici 2050.5

Détail de façade et de toit photovoltaïque des bureaux du Buildings and Construction Authority BCA du gouvernement de Singapour à BCA Academy. © Frédéric Auclair

Depuis janvier 2016, 4 nouveaux pays ont rejoint l’alliance, et 3 autres sont en voie de le faire. La réunion inaugurale de l’Alliance, les 18 et 19 avril 2016 à l’Hôtel de Roquelaure, a permis à l’ensemble des points focaux de définir un programme d’activités et d’établir les groupes de travail portant sur les grandes thématiques comme l’éducation et la sensibilisation, les politiques publiques, la transformation des marchés, le financement et les mesures.
Une feuille de route a été élaborée durant l’année 2016 et présentée lors de la 22e session de la conférence des parties à Marrakech (COP22). Elle précise le cadre pour réaliser la transition bas carbone de l’immobilier.6
Celle-ci devrait être entérinée lors de la réunion ministérielle de 2017, prévue à Berlin en mars, et poursuivre après les déclarations de l’Alliance à Marrakech pour que le monde se donne les moyens de changer l’échelle des initiatives vertueuses, exemplaires et innovantes qui fleurissent localement.

De même, la nécessité de poser les bases plus claires de la situation de l’immobilier bas carbone dans le monde a conduit les membres de l’Alliance à produire un premier rapport d’étape (Global Status Report Towards zero-emission efficient and resilient buildings ) présenté lors de la COP22 pour faciliter le suivi des évolutions à venir.7

Par ce travail commun, l’Alliance se présente en tant qu’ambassadrice du secteur du bâtiment et de la construction auprès de la CNUCC pour que ses sujets soient reconnus comme une catégorie à part entière auprès des instances internationales, à l’instar des villes et territoires, du transport, des océans, de l’agriculture, des forêts, les énergies renouvelables, l’accès à l’énergie et l’efficacité énergétique, la résilience, les financements privés, les entreprises, les polluants climatiques de courte durée de vie et l’innovation. Cet objectif n’est pas encore acquis.
Chaque pays de l’alliance, ainsi que chacun de ses membres non étatiques, est encouragé à définir une telle stratégie. La France, dans son rôle de présidente de la COP21, a été fortement impliquée en soutenant le secrétariat de l’Alliance et le développement des premières actions structurantes comme le site internet et les réunions d’élaboration des stratégies à mettre en œuvre. La France poursuit son soutien au-delà de ce premier engagement, en nourrissant les réflexions et actions inspirées des expériences françaises nationales et internationales. Elle le fait avec l’aide de partenaires institutionnels comme l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou l’agence française de développement (AFD) ou bien les travaux du plan bâtiment, en lien avec tous les autres membres venant renforcer l’énergie collective en marche avec, par exemple, l’Allemagne, le Mexique, le Sénégal, le Maroc, les Émirats Arabes Unis et le Japon. Mais, également en partenariat avec les membres non étatiques comme le world green building council WGBC, le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) le World Resources Institute (WRI) la banque mondiale, les partenaires industriels, les ONG comme la Voûte Nubienne qui, sans pouvoir les citer tous exhaustivement, sont autant de socles et de piliers à mettre en réseau au niveau mondial pour changer les échelles et les temps de cet immense chantier consolidé par les accords de Paris.
Le but de ce travail est bien d’intensifier les actions afin de libérer le potentiel considérable du secteur du bâtiment et de la construction, de réduire ses émissions à travers son cycle de vie, tout en exploitant ses nombreux bénéfices tels que la qualité de l’air et la santé. Cette prise de conscience est loin d’être encore acquise par les institutions internationales et tous les gouvernements. C’est en effet un secteur souvent écartelé par de multiples départements ministériels (environnement, habitat, culture, finances, énergie, travaux publics, politiques de la ville…), rendant complexe le travail d’harmonisation et d’avancement au niveau planétaire.
L’Alliance a pour objectif de:

  • Permettre une prise de conscience du potentiel du secteur bâtiment dans la réduction des émissions de GES.‬
  • Définir une stratégie de neutralité carbone pour le secteur du bâtiment et de la
    construction.‬
  • Renforcer et accélérer la mise en œuvre des contributions nationales (NDC).‬
  • Renforcer les capacités humaines, techniques, institutionnelles et légales des
    membres.‬
  • Mobiliser les financements à la hauteur de l’enjeu.‬
  • Rassembler les acteurs concernés afin de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à ce secteur.
    Dans le bouillonnement des initiatives à tous les niveaux, parfaitement illustrées par le film remarquable Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, il y a l’espoir d’une humanité en devenir pleinement consciente de l’extraordinaire privilège de vivre sur la planète bleue.
    Pierre Rabhi rappelle souvent que, depuis l’espace, la planète constitue un seul écosystème à l’instar de Gilles Bœuf parlant d’un seul océan… Sans les frontières artificielles que nos cerveaux humains entretiennent avec un tel aveuglement dans la culture de la dualité et dans l’idée de nommer les choses pour mieux se les approprier par nos égos ivres de nos illusions.
    Une telle alliance n’existait pas avant la COP21. Elle constitue un pari considérable dans un secteur aussi fragmenté que le bâtiment et la construction avec des écarts de contextes sociaux, climatiques, culturels, financiers, phénoménologiques, de diversité des savoir-faire et de capacités considérables d’une région à l’autre du globe. D’une certaine manière, les alliances autour de la question des transports ou bien de l’eau, par exemple, apparaissent plus faciles car le dénominateur commun est mieux identifié.

    Ainsi, l’Alliance vise à aider à la mise en connexion des initiatives qui, ça et là, malgré les extraordinaires barrages d’un certain nombre d’intérêts à ce que les choses ne changent pas, font évoluer les consciences humaines pour penser autrement nos habitats, de manière plus respectueuse de notre environnement terrestre et des humains qui y font leurs expériences quotidiennement.

En ceci, deux enjeux principaux se mêlent autour de la question du présent et des immeubles déjà existants, comme c’est le cas dans de nombreux pays européens où se posent les réflexions de la rénovation à l’échelle de l’Union Européenne comme l’initiative de Buildupon réuni dernièrement à Madrid en septembre 2016.8
Le second enjeu est la nature et la qualité des immeubles qui seront massivement construits dans les décennies à venir notamment en Asie, Afrique et Amérique latine qui font face à de fortes croissances de population.

Un éco-centre de conception éco-systémique intégrant l’utilisation de la terre crue (matériau un des plus performant en matière d’énergie grise) permettant d’obtenir une grande inertie thermique à faible coût et surtout une très bonne régulation hygrométrique donne dans la palmeraie de Marrakech une solution simple à l’architecture remarquable dans l’usage de matériaux ne nécessitant aucun import par usage d’énergie primaire. © Frédéric Auclair

Pour ces deux enjeux tout aussi considérables l’un que l’autre, se pose la question des limites par delà lesquelles une approche globalisée peut devenir parfois moins pertinente. Ainsi, cet immense chantier, qu’il intervienne sur le neuf aussi bien que sur la rénovation, nous oblige à nous interroger sur l’expression même de la modernité, de la contemporanéité, dans l’imaginaire collectif. Si ce phantasme de modernité conduit à l’érection d’architectures inadaptées aux climats locaux et sous perfusion énergétique jusqu’à leur démolition il est à revoir… en revanche si cette soif de créations nouvelles conduit à mieux bâtir durablement des habitats sains en s’inspirant, sans nécessairement les reproduire, de ce que des millénaires d’expériences humaines ont pu nous apporter. Il est alors vertueux de faire couler cette source en abondance dans l’émulation collectives.
L’argent envisagé comme source d’énergie est un puissant vecteur d’orientation des choix à venir. Il faut parfois, et c’est souvent très vrai dans le bâtiment durable et résilient, investir plus au départ pour réaliser d’immenses économies sur le long terme.
C’est vrai des bâtiments neufs que nous construisons aujourd’hui dans le monde actuel où le profit immédiat est parfois mieux valorisé par les forces politiques que l’investissement long dans un futur qui, par définition, est incertain et pluriel, conséquence directe de la variation de nos choix.
Les bâtiments existants sont donc des sources incommensurables pour rechercher les solutions passives ou actives. Solutions très anciennes depuis que l’être humain, avec intelligence et analyse simple des contextes et des ressources disponibles, fabrique avec et non contre son environnement immédiat.
De nombreux architectes retrouvent aujourd’hui le chemin vertueux des formes de l’espace et de la lumière qui sont en harmonie et en résonance avec nos corps et nos esprits… Cette approche holistique est bien plus difficile à quantifier dans un monde qui fonctionne dans la mesure chiffrée et avec des indicateurs quantifiables et quantifiés.

Le plus grand défi est donc de faire grandir et se multiplier les exemples d’architectures dans lesquelles il fait bon vivre, en harmonie avec la qualité de l’air, de l’eau, des environnements naturels ou urbains, des contextes sociaux paisibles… Ceci en pleine santé de notre corps, premier habitat nous reliant au(x) monde(s).

L’utopie, dès lors qu’elle prend sa place dans les cerveaux humains, fonde d’ores et déjà les bases de la conception d’un monde matériel apaisé dans lequel faire usage d’une énergie primaire apparaîtrait comme grotesque et rétrograde… Lorsque les agences spatiales réfléchissent et conçoivent des vols habités vers d’autres planètes, ce n’est qu’avec d’autres formes d’énergies débarrassées de la lourdeur et du volume des énergies primaires. Les panneaux solaires sont nés de la recherche et de la conquête de l’espace…
Ainsi faisons nous un pari, celui de plus d’intelligence pour regarder les nombreuses solutions qui s’offrent à nous dans un panel de possibles, allant de la redécouverte des habitats en terre crue ou cuite, en bois, en pierre, en béton, ou des solutions mixtes permettant de combiner ce choix, suivant les lieux et les disponibilités.

L’énergie est au cœur du débat.

Tant que le pétrole raffiné, ayant voyagé depuis sa source jusqu’à un réservoir pour sa consommation, sera au prix de l’eau minérale, il sera difficile de donner des coups de pied dans la fourmilière. Il sera bien vain d’espérer que notre monde mette en place, de manière massive, des technologies déjà découvertes il y a plus d’un siècle qui permettraient, dans la douceur, de faire la transition et la transformation des marchés et de retrouver ainsi, au-delà de tous les débats scientifiques sur des équations à multiples inconnues, la douceur de respirer et de vivre en paix.
C’est un enjeu considérable et il nous appartient, tous ensemble, de mener à bien, par nos comportements individuels et collectifs, le jeu des complémentarités pour façonner le monde dans le temps présent comme un rêve matérialisé.

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