La réhabilitation des Magasins généraux de Paris

L’histoire de la Compagnie des entrepôts et des magasins généraux de Paris (EMGP) s’inscrit dans la durée, depuis 1860 et sur un territoire de soixante quinze hectares situé au Nord de Paris dans le XIXe arrondissement et sur les communes de Saint-Denis et d’Aubervilliers. Les visiteurs qui parcourent pour la première fois le site d’EMGP ont toujours la même réaction, le même étonnement. Ils ont le sentiment de découvrir un lieu à la fois chargé d’histoire et ouvert sur la modernité.

La vocation initiale et l’activité principale de la compagnie, pendant plus de cent ans, a porté sur le stockage et l’entreposage des matières premières agricoles et industrielles desservant Paris et sa région. Une infrastructure exceptionnelle de réseaux ferrés et de voies d’eau, a donné à ce site une fonction de plateforme multimodale bien avant l’heure.

Les années 1960 ont marqué un tournant dans ce domaine d’activité. En 1950, les locaux servaient pour 80 % au stockage et 20 % à la location. En 1980, le rapport s’inversait et la compagnie passait d’un rôle de stockeur à un rôle de loueur.

Dans les années 1980, une mutation s’est opérée avec l’implantation de studios de télévision qui, peu à peu, vont constituer un véritable pôle de production audiovisuelle. Puis d’autres secteurs se sont développés dans les domaines de la mode, de l’informatique et des nouvelles technologies.

Aujourd’hui, en raison de la situation de son patrimoine, au cœur d’un secteur géographique regroupant le nord-est parisien et la Plaine Saint-Denis, enjeu de développement majeur pour la région Île-de-France, EMGP est devenue une société foncière significative, spécialisée dans les parcs tertiaires de bureaux et d’activités.

Les entreprises qu’elle accueille appartiennent pour bon nombre d’entre-elles à des secteurs en pleine croissance : multimédia, communication, mode et loisirs.

Pour offrir aux nouveaux locataires des locaux adaptés à leurs attentes, la compagnie a mis à profit les “volumes capables” des entrepôts et a engagé des réhabilitations mettant en valeur l’architecture des docks du XIXe siècle. Par ailleurs, des constructions neuves telles que la très belle réalisation d’immeubles de bureaux des architectes Chaix et Morel ou encore le projet de quartier commercial d’Antoine Grumbach créent des types architecturaux en référence à l’histoire du lieu, avec une écriture contemporaine.

Ces nouveaux projets immobiliers, qui s’intègrent dans un aménagement global mis en œuvre par l’urbaniste Gérard Charlet en relation et en accord avec les collectivités locales (Plaine Commune et Paris), illustrent bien la volonté d’EMGP d’être une entreprise de son temps qui s’inscrit dans un site et dans une histoire qu’elle continue d’écrire au quotidien.

Évolution d’un double patrimoine datant du XIXe siècle

Au fil des ans et sur un siècle et demi, le patrimoine architectural de la Cie EMGP1 a révélé, par l’évolution de ses constructions, l’emprise foncière de la compagnie. Cette emprise marque encore la ville et on pourrait dire qu’elle est à l’origine de la vocation industrielle du nord-est parisien à partir de 1860.

Trois personnalités se partagèrent la signature des lieux d’orgine en y apposant chacun leur griffe.

Le baron James Hainguerlot (1795-1868), investisseur et homme d’affaires sous le Second Empire, directeur de la Compagnie des canaux de l’Ourcq et de Saint-Denis, acheta un ensemble de terrains sur Paris, au pont de Flandre, en 1852, pour y faire construire les premiers entrepôts à sucre et à grains, véritables réserves de la ville de Paris.

Douze ans plus tard, le patrimoine fut vendu à la Compagnie des entrepôts et magasins généraux de Paris, créée en 1860 par le banquier Émile Péreire, directeur du Crédit Mobilier, administrateur du Crédit Foncier. Animé par l’idéal saint-simonien, ce dernier mit à profit ce que le baron Hainguerlot mit à sa disposition : un site remarquable, au bord du canal, doté d’un port particulier le long d’une darse, desservi par le rail et la route.

Le baron Haussmann, présidant la compagnie de 1873 à 1890, agrandit le patrimoine d’un second site, celui de Saint-Denis et d’Aubervilliers, dont les parcelles achetées de 1842 à 1869 par le baron Hainguerlot furent vendues en un seul lot par sa famille en 1879. Haussmann, armé d’une expérience inégalable, monta en puissance l’idée d’entrepôt développée par ses prédécesseurs. Ce second site, doté des mêmes infrastructures que le premier, permit à la compagnie l’envolée spectaculaire de la fonction d’entrepôt. Le baron Haussmann put la développer en réseau, reliant Paris aux ports de l’Atlantique par une multitude de magasins disposés le long des grandes voies de fer et d’eau. Ainsi, Paris recevait des marchandises en provenance des quatre coins du monde. Mais cette réussite n’aurait pas tenu sans le système de crédit, le warrant et son récépissé, que Péreire avait mis au point et qu’Haussmann appliqua, en favorisant le prêt sur marchandises garanties par le magasin général, un concept d’entrepôt douanier qui permettait la spéculation. Le commerce eut alors ses lettres de noblesse et l’entrepôt fut le nerf du développement économique de la fin du XIXe siècle en Europe. Ce fut une véritable révolution commerciale qui donna au site des entrepôts une physionomie spécifique. Continuer l’œuvre de prospérité fut l’objectif de ceux qui
accompagnèrent ces hommes remarquables dans leurs tâches et de ceux qui leur succédèrent, en ayant soin d’être à l’écoute des tendances séculaires. Ainsi, en ce qui concerne les constructions de bâtiments d’entreposage, la logique suivie fut l’adaptation aux produits, notamment les denrées agricoles de base ou aux exigences des commandes de l’État en ce qui concerne le stockage des alcools industriels. Il y eut deux modèles de bâtiments : ceux à étages et ceux de plain-pied, dont la construction relevait d’une logique et d’une standardisation, toutes deux mises au point en 1854 par Émile Vuigner.

Pour l’organisation urbaine des sites existants, la disposition des bâtiments suivit les contraintes de la desserte par rail afin que les wagons puissent s’arrêter directement à quai. Ceci impliqua, dans l’euphorie du succès commercial et des nombreuses constructions réalisées à partir des années 1880, une organisation urbaine des sites avec des bâtiments extrêmement rapprochés les uns des autres, bordés par les seules voies ferrées, sans route centrale. Ces contraintes conditionnaient l’ensemble du commerce d’entrepôt parisien qui, soumis à l’évolution mondiale de l’économie et des transports, dut trouver d’autres terrains pour s’exprimer. C’est de cette évolution qu’est née l’adaptation des sites et des bâtiments aux exigences du XXIe siècle.

Les phases essentielles ont été donc de passer du stockage des produits alimentaires de base, c’est-à-dire stockage au poids par sacs de cent kilos (1860-1950), à la location d’espace à la surface pour les produits manufacturés (1950-1985). Mais depuis plus de vingt ans, une nouvelle disposition des bâtiments répond, en terme d’espace et de qualité des volumes, aux exigences que requièrent les activités de service et de la mode. La fonction d’entrepôt a pratiquement disparu pour gagner des sites plus éloignés de la capitale où, à nouveau, les conditions de desserte multimodales sont requises parce que nécessaires à cette activité. En tout cas, ce n’est plus l’objectif des sites de nos signataires du Second Empire.

Principe d’urbanisme

Depuis douze ans qu’il intervient sur l’ancienne friche industrielle des Entrepôts et magasins généraux de Paris (EMGP), Gérard Charlet suit une approche urbanistique dans la durée. Il propose, sur les soixante hectares situés au sud du canal Saint-Denis, une politique de valorisation progressive de l’espace, en relation avec le projet urbain de La Plaine Saint-Denis. Il anticipe le renouveau du territoire en harmonisant les aménagements propres à requalifier le parc d’activités d’EMGP et la mise en œuvre du projet urbain à la porte d’Aubervilliers. En effet, depuis 1991, EMGP s’est engagé dans un processus de modernisation des conditions d’accueil des entreprises spécialisées dans le textile et l’audiovisuel. Les quelque trois cent mille mètre carrés qui leur sont proposés doivent répondre aux besoins actuels d’accessibilité, de fonctionnalité et d’image. Ces conditions sont rendues possibles grâce à la stratégie de l’aménagement progressif mise en place : faire se rencontrer les objectifs du propriétaire et les grandes orientations du projet urbain. Il s’agit d’une restructuration en profondeur puisqu’on passe d’une zone d’activités à un quartier de ville. Cette mutation s’effectue hors procédure, dans un POS en cours de révision et en prenant appui sur les moyens économiques.

Ainsi, l’avenue principale qui traverse le site perdra à terme son statut privé et distribuera le futur quartier du canal. Ce dernier s’articulera entre le parc du millénaire, réservé aux bureaux implantés le long d’une darse, et un centre commercial doublé d’activités culturelles. Il marque le démarrage de la nouvelle ZAC.

Dans cette perspective, la ville se fabrique dans la continuité, et le maillage des tracés publics, le traitement de la signalétique, de l’éclairage, des aires de stationnement… se réalisent au fur et à mesure des opérations ponctuelles exécutées pour le privé. Le plan d’ensemble du site est constamment remis à jour pour figurer en permanence son évolution et respecter la logique des principaux acteurs : une rentabilité à moyen terme et un urbanisme à long terme.

Jean-Paul DUMORTIER
PDG des EMGP
Avec la collaboration d’Élisabeth PHILIP, historienne
et Gérard CHARLET, urbaniste


Le projet de quartier commercial d’Aubervilliers

La création de ce quartier doit se situer en limite de la commune, au confluent du canal Saint-Denis et de son ancienne darse, actuellement bassin des Magasins Généraux. Sur les bords du plan d’eau se dresseront au sud des bureaux, le parc du Millénaire, et, au nord, un centre de loisirs et de commerces. Traité dans un esprit urbain, le site des anciens entrepôts recevra un hypermarché, des boutiques et des cafés, des restaurants. Il s’organise en îlots autour d’une place centrale et innove, comme précédemment Renzo Piano pour le centre commercial de Bercy. En effet, l’architecte Antoine Grumbach propose un travail basé sur la fragmentation et la mémoire des lieux qui donne à la nouvelle réalisation la diversité d’un quartier avec ses façades urbaines spécifiques, ses rues et même son jardin. La principale originalité réside dans le fait que l’ensemble est couvert.

C’est un morceau de ville à l’abri des intempéries, mais qui vient prolonger le tissu existant. Sur le canal, les bâtiments rappellent les anciens entrepôts par le traitement des pignons et l’utilisation des matériaux. Au rez-de-chaussée, le quai accueille cafés et péniches, prélude aux fêtes nautiques prisées par les habitants et chères à Jack Ralite, le maire d’Aubervilliers. À l’inverse, les façades tournées vers les futurs quartiers offrent le poli du verre et de l’acier. Deux places de part et d’autre complètent le dispositif ; l’une ouverte sur le canal, l’autre propice aux spectacles de rue. Enfin, ce nouvel aménagement est clairement identifié par le bâtiment d’angle, véritable phare urbain.

Antoine GRUMBACH
Architecte


Une opération : l’Artois

Sur la partie ouest du parc Pont de Flandre, à Paris XIXe arrondissement, EMGP a la volonté de poursuivre sa stratégie de valorisation patrimoniale par le développement d’un programme immobilier, correspondant aux droits à construire encore disponibles, et la création d’un parc de stationnement.

Afin d’offrir une image cohérente et harmonieuse avec les bâtiments et le traitement paysager existant, le projet s’organise dans le prolongement de l’ancienne place. Il a pour ambition de parachever un ensemble immobilier de qualité.

Cette axialité détermine l’entrée de l’opération et constitue l’orientation majeure du projet. Il affirme une expression linéaire des volumes bâtis qui aboutissent sur l’espace central : l’expression des pignons répond au front bâti des anciens magasins. La stratification est renforcée par l’expression des failles prolongées au sol en allées piétonnes qui ordonnent le traitement paysager.

L’ensemble se décompose en trois corps de bâtiments autour de l’espace central d’entrée. Celui-ci se déploie sur un bassin, en prolongement de la darse actuelle, et
distribue les accès aux bâtiments. L’espace en arrière-plan est occupé par des stationnements extérieurs plantés.

Les accès et sorties véhicules sont situés dans la partie nord du terrain afin de préserver une lisière “verte” au sud. Ces espaces plantés profitent largement au restaurant d’entreprise qui s’ouvre en terrasse. Les bâtiments sont implantés sur un parc de stationnement enterré sur deux niveaux.

Unité de structure

Les façades des bâtiments existants font une large utilisation de la brique. Par souci d’unité, un bandeau de terre cuite, matériau traditionnel, développe par sa mise en œuvre une image contemporaine.

Les façades nord et sud sont constituées de voiles structurels en béton percés sur un rythme de cinq mètres quarante. En étage, ces façades sont revêtues d’une peau de verre au droit des baies. Les parties pleines sont traitées en terre cuite accrochée à des lisses métalliques verticales sur un rythme d’un mètre trente-cinq. Ce principe de façade relativement pleine permet un excellent isolement acoustique face aux voies SNCF. De même, la proportion de vitrage diminue les consommations thermiques, été comme hiver. Enfin, l’isolation par l’extérieur confère au bâtiment une durabilité plus importante.

Les soubassements sont traités par un claustra de bardeaux de briques. Les pignons sont plus ouverts. Sans allèges, l’ensemble de la façade est revêtu d’une peau de verre structurée par un rythme vertical qui alterne des modules de quatre-vingt-dix centimètres fixes et non-fixes ; ces derniers ont une ouverture limitée afin d’éviter un garde-corps. La protection solaire est obtenue par des stores intérieurs à lames suspendus qui font apparaître un rythme aléatoire et changeant à l’arrière-plan.

Le couronnement du bâtiment est constitué d’une résille qui a la même volumétrie que les toitures des bâtiments voisins. Cette résille est faite de lames métalliques supportant des éléments de terre cuite qui assurent une continuité avec la façade. Elle a pour fonction essentielle d’intégrer les locaux techniques situés en toiture.

Répartition des activités

À l’ouest du projet est implantée une vaste aire de livraison commune aux activités, aux bureaux et à la cuisine du restaurant d’entreprise. La salle de restauration, qui jouxte la cuisine, profite d’une terrasse au sud autour du petit bassin. La cafétéria s’ouvre également sur une terrasse à proximité de l’accès principal.

Au sud et au nord du projet sont implantées les activités en relation directe avec l’espace public et l’espace central. Cette disposition permet de multiplier les accès et autorise la sécabilité du rez-de-chaussée.

Chacun des trois corps de bâtiment comporte une aile à simple circulation qui s’épaissit autour du noyau principal. Le hall et le noyau de circulation verticale sont situés dans les parties est de chaque bâtiment, de manière à être proche de l’espace public central. Les bâtiments comportent à leur extrémité est un escalier complémentaire éclairé pouvant servir d’interétage.

Le noyau principal regroupe les escaliers, les ascenseurs, les sanitaires autour d’un palier largement ouvert. Ces paliers correspondent aux failles transparentes qui structurent le bâtiment.

En toiture, les locaux techniques liés au traitement d’air sont parfaitement intégrés sous une résille constituée de lamelles mixtes métal/terre cuite qui restitue une volumétrie de toiture à deux pentes, identique aux bâtiments existants. Aux derniers niveaux, les extrémités de plateaux sont occupées par des espaces de grande hauteur qui utilisent le volume des combles.

Agence CHAIX et MOREL
Architectes

  1. Plutôt que de changer de nom, en 1999, La Compagnie des entrepôts et magasins généraux de Paris adopta un sigle contractant sa signification d’origine et devint Cie EMGP par souci de garder la trace de son histoire.
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