L’ancienne chapelle des Jésuites de Poitiers

Convertir une grande chapelle néogothique, utilisée comme local de stockage d’archives, en un
hôtel-restaurant luxueux de cinquante chambres : tel est le défi habilement relevé par le promoteur poitevin Thierry Minsé et l’architecte parisien François Pin.

Construite en 1852 par l’architecte-archéologue et abbé Magloire Tournesac, la chapelle du Gesù est située en plein cœur de la ville ancienne de Poitiers, à proximité du palais de justice -palais de comtes de Poitou. Inspirée dans son plan par l’église romaine du Gesù, il s’agit d’une chapelle de congrégation de quatre travées avec abside polygonale, chapelles communicantes et galeries superposées. Son style relève de l’architecture gothique de la première moitié du XIIe siècle. Rosace rayonnante, chapiteaux à crochets, pinacles, voûtes sur croisées d’ogives, baies à remplages qualifient un vaisseau simple et raffiné, dominé par une haute flèche de cuivre qui marque le paysage urbain, signalant ainsi un monument discrètement édifié à l’alignement de la rue Édouard-Grimaux. Désaffectée en 1870, la chapelle est rachetée en 1950 pour accueillir les archives départementales de la Vienne. Le vaisseau est à cette occasion fortement altéré par la création d’étages sur planchers de béton, qui subdivisent son volume intérieur. Les archives départementales ferment en 2009 ; le bâtiment, un temps menacé de démolition, est heureusement transformé en un hôtel-restaurant, inauguré fin 2012.

La délicate mission est confiée à François Pin, qui va réussir à marier le programme contemporain et la valorisation de l’église néogothique. La subtilité du projet s’illustre dans sa coupe. Débarrassée des planchers des années 1950, la nef accueille une structure en béton blanc, portée par huit colonnes. La forme incurvée de la dalle supérieure, qui règne avec le bandeau séparant les galeries des fenêtres hautes, permet le passage des réseaux techniques des chambres. Ces dernières se répartissent sur quatre niveaux (chambres simples alignées sur les chapiteaux des arcs doubleaux, duplex sous les voûtes et suites dans les combles de la nef). La redistribution contemporaine souligne et se fait l’écho de la composition architecturale de l’église. Pour des raisons techniques, les points de contact entre la structure autonome et les maçonneries néogothiques sont réduits. Les décors d’origine, conservés et restaurés, sont autant d’éléments qui valorisent et individualisent les chambres. Les duplex sont les espaces les plus agréables de l’hôtel : protégés sous les puissantes voûtes de pierre, les clients peuvent jouir d’une vue imprenable sur la ville au travers des immenses verrières métalliques, insérées dans le réseau des grandes baies en pierre. Une mention particulière doit être faite à l’escalier en béton brut de décoffrage : véritable promenade architecturale, il se développe d’une manière expressionniste au droit de la rosace occidentale. Le restaurant occupe la partie basse de la nef. Il profite d’une belle hauteur sous la dalle galbée et offre des espaces intimistes dans les chapelles et les galeries. Les murs latéraux, aveugles, ont été largement ouverts sur la rue, dans le respect du rythme des travées. La lumière est filtrée par un ensemble de ferronneries raffinées tendues entre les piliers néogothiques. L’effet est magique de nuit, lorsque la salle de restaurant illuminée est perçue depuis la rue. L’espace est fortement structuré par les six colonnes de béton qui s’harmonisent, par leur teinte et leur finition, aux ouvrages de pierre. Si la salle commune occupe le vaisseau, la cuisine ouverte se développe dans l’abside. L’hôtel-restaurant de Poitiers illustre brillamment la richesse du dialogue qui peut s’instaurer entre un édifice patrimonial et une architecture contemporaine, créative et respectueuse du cadre qui l’accueille.

Laurent BARRENECHEA
CRMH d’Auvergne, ancien ABF et chef du STAP de la Vienne


Un hôtel-restaurant ?

Au contraire de sa banale formulation, ce programme est une chance pour l’architecte. Conduisant à assembler dans le même lieu des espaces de repos et d’intimité, les chambres ; et le vaste espace public, celui du restaurant.

L’hôtel où le voyageur se retrouve chez lui loin de chez lui, voyageur casanier.

Le restaurant où la ville se brasse, accueille et rencontre ceux qui viennent la visiter.

Dans une chapelle ?

Il s’agit d’imbriquer deux structures l’une dans l’autre, de trouver leurs points de résonance et de contraste possibles, de les faire jouer l’une avec l’autre, s’étonnant mutuellement.

Le grand volume du restaurant, prenant avec lui les galeries-balcons de l’étage, occupe la moitié basse de la nef. Il est ouvert sur la rue par de hautes baies, dégageant au passage le profildes voûtes et galeries latérales.

Le restaurant s’éclaire sur la rue et l’éclaire le soir.

Le plafond du restaurant est en V et contient l’ensemble des réseaux du projet. C’est en fait le tablier du pont encastré à mi-hauteur de la chapelle pour porter les niveaux des chambres. Il est tenu par quatre paires de colonnes inclinées suivant la perpendiculaire de ses
sous-faces.

Glissées sous les voûtes ou les combles, les chambres de l’hôtel viennent ensuite fragmenter la partie haute de l’édifice. Le dessin initial reste visible par fragments, incitant le visiteur-dormeur au jeu d’en reconstituer et imaginer l’épure totale.

Sans baptême ni blasphème.

François PIN
Architecte

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