Pour une maîtrise d’ouvrage urbaine 2/2

Existe-t-il une maitrise d’ouvrage urbaine ?

Qui peut être le maître d’ouvrage ? Il n’y a pas de maîtrise d’ouvrage urbaine au sens strict. On sait ce qu’est la maîtrise d’ouvrage d’un projet de bâtiment. Quelqu’un paie et commande, fait établir et valide le programme et le projet architectural, dépose le permis de construire, signe les marchés de construction, suit la réalisation, reçoit l’ouvrage. Il y a des textes à peu près clairs sur ce point. Mais la maîtrise d’ouvrage urbaine n’est pas encore un concept précis. Je pense qu’il faut l’inventer.

Quelle peut être sa place ? Si on prend la maîtrise d’ouvrage au sens strict, c’est- à-dire celui qui ordonne, je pense que le maître d’ouvrage des aménagements urbains ne peut être que le maire, car il est le seul à porter, ou à pouvoir porter de manière légitime, les préoccupations d’un territoire. Ce point me semble à peu près acquis. Mais comme on l’a vu, l’urbanisme est une compétence partagée. Comme il fallait avoir une claire notion des échelles d’intervention et de leur articulation, il faut avoir une notion claire des différents moments de fabrication de la ville ou d’un aménagement. Ceci doit permettre de situer le lieu de la maîtrise d’ouvrage de manière plus pertinente à chaque stade.

Il y a un premier temps, un peu réhabilité en ce moment avec le débat sur le SDAU de l’Ile de France. Ce temps est celui de la définition de la grande stratégie urbaine dans le cadre de l’aménagement du territoire. Cette stratégie est indispensable. Il faut restaurer la planification à ce niveau. Elle doit être la moins spatiale possible dans sa traduction, car il est impossible de modeler l’espace à de telles échelles. Il n’est pas toujours facile pour les urbanistes qui y travaillent de ne pas avoir de prétentions de composition urbaine. Il faut faire de grands choix stratégiques, localiser les grands équipements, avoir une réflexion sur les densités plus organisée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Le second temps est celui de la conception réglementaire des plans à l’échelle d’une ville. Cette réglementation peut-elle avoir des préoccupations dans l’ordre du paysage urbain ? L’APUR, pour élaborer le POS de Paris en 1974, avait mis au jour, à travers l’histoire de Paris un paysage réglementé. La convention accompagnée du respect de règles à peu près homogènes sur une longue durée, a produit une ville qui a un visage. Je pense que la conception des plans d’occupation des sols doit comporter un volet de composition spatiale assez fort. Pour l’aménagement opérationnel, les PAZ me semblent devoir être précédés d’études fines de l’espace. Les PAZ devraient être plus déconnectés des POS qu’ils ne le sont. Il ne faut pas imposer les règles du POS au PAZ. Le PAZ doit être un moyen de recomposer l’espace de manière dynamique et volontaire.

Ainsi en définissant la maîtrise d’ouvrage urbaine en fonction des échelles d’intervention, il sera possible d’éviter de traiter le spatial de trop haut, mais au contraire de préparer l’émergence d’une claire vision de l’espace à aménager et de la transcrire en règles (ce qui ne veut pas forcément dire en règles fermées) lorsque sera défini le projet et à ce moment là seulement. Je pense que vous avez là un grand rôle à jouer, comme les agences d’urbanisme, en étant porteur d’une culture de la ville, d’une documentation organisée, de connaissance en matière de parcellaire, en matière d’économie, de densité, etc…

Le moment du projet est, à mon avis, le vrai moment de l’articulation organisée des acteurs. Dans l’urbanisme opérationnel, il est important que l’opérateur soit désigné et ait sa place -rien que sa place- au moment du débat sur le projet. Ce n’est pas à l’opérateur - fût-ce une SEM - de conduire ce débat ; mais je pense que le projet ne doit pas être bouclé avant que n’aient été entendus ceux qui peuvent se prononcer sur sa faisabilité économique, sur ces conditions de réalisation d’engagement dans le temps. La temporalité est fondamentale dans l’urbanisme. Or cet élément est souvent biaisé dans l’esprit du maire, par la durée de son mandat. Ceci pousse d’emblée à l’affichage d’un projet fini, qui va être pris comme tel par les habitants. La même tendance existe chez l’architecte auquel on a confié de grands morceaux de ville. Il est consubstantiel à sa démarche que le moindre détail se plie à l’ensemble de sa vision. Tout concourt ainsi à figer prématurément l’image d’un espace pour 20 ou 30 ans. Les opérateurs savent bien que cette image est virtuelle, qu’ensuite ils ne pourront pas la réaliser. C’est pourquoi un bon projet suppose que la maîtrise d’ouvrage opérationnelle apporte son éclairage au moment de la conception et au moment du débat, avant la décision de l’élu responsable. L’opérateur doit apporter sa connaissance du marché,
des transactions, des valeurs foncières, des stocks de bureaux ou de locaux d’activité dont dépend l’équilibre financier des opérations.

La crise présente, démontre qu’il est urgent de redéfinir les conditions d’élaboration des projets urbains, Il y a une nécessité absolue de mieux prendre en compte l’économie du projet dans sa conception même. Il est très important d’organiser un débat à ce sujet au moment où le projet est décidé, et avant que ne se déroule la concertation avec la population, suivant les règles établies.

Le projet est le moment de l’arbitrage. Ensuite, dans la mise en oeuvre des projets, il est nécessaire qu’interviennent des opérateurs bien identifiés, des maîtrises d’ouvrage très fortes. Il est généralement préférable que ces opérateurs soient semi-publics, plutôt que privés, parce que l’aménagement est une activité de très long terme, cinq à dix ans au moins, voire vingt ans, et qu’il est réellement très difficile de conclure une convention sérieuse avec un opérateur privé prévoyant ce qu’il adviendra de toutes les composantes du projet à cette échéance de temps. C’est pourquoi l’aménagement d’envergure gagne à être confié à des SEM dans lesquelles les intérêts mêmes de la ville, maître d’ouvrage supérieur, sont représentés et majoritaires. Je crois, de la même façon, qu’un projet urbain se prête mal à être “administré”, réalisé en régie. Il faut que l’opérateur ait une maîtrise tres importante, très autonome sur la réalisation du projet, à partir des règles fixées par la collectivité.

Pour terminer, je voudrais faire part de trois enseignements que je tire de mon expérience.

Premièrement, je crois qu’il est très important d’essayer de distinguer,dans les plans d’aménagement, ce qui est appelé à être permanent, le squelette. Il faut que ce soit très simple, très lisible : la trame urbaine, l’espace public. Il est nécessaire de s’y tenir pendant des années, cinq, dix, vingt ans. En revanche, il faut être souple dans le reste, plus souple qu’on ne l’a été dans toutes les planifications précédentes. Le travail de l’aménageur d’aujourd’hui est d’arriver à garder cette vision du long terme, du projet, à travers la trame principale à laquelle il veut aboutir et de l’imposer dans le temps sans faiblesse ; mais, à l’inverse, de concevoir dans ce cadre des structures ouvertes et évolutives dans les programmes et dans les détails architecturaux. Est-ce l’îlot libre de Portzamparc ? Je crois en tout cas, que c’est là une manière de concevoir et de conduire le projet qui peut aider à mieux faire comprendre aux habitants la ville que l’on fait, et à la faire aimer.

Il est très important d’élaborer des projets pouvant se faire pas à pas de manière que l’habitant ne soit pas condamné à vivre dix ans dans un désert ou un dans un chantier, que l’enfant ne vive pas toute sa jeunesse dans un espace en train de se faire. Il faudra, à l’avenir, consacrer moins d’argent aux grandes infrastructures et plus de moyens à la gestion des projets urbains. Le projet va être de plus en plus dans le processus, dans la manière de le produire. C’est cela qu’il faut bien organiser, notamment dans les quartiers en difficulté, qui sont de toute évidence le plus grave problème qui nous soit posé.

Ma deuxième observation a trait à la “politique de la ville” qui est notre chantier le plus urgent et le plus difficile, la multiplicité des acteurs, y est aussi très forte ; mais le plus grave est la multiplicité d’administrations d’Etat qui n’arrivent pas à se mettre d’accord pour agir efficacement. Un renforce ment de la présence de l’Etat, moins en “poids” qu’en unité d’intervention est indispensable. Là encore le maire doit rester le maître d’ouvrage supérieur. Par ailleurs, notre expérience d’aménageurs doit se réinvestir dans la politique de la ville, qui ne peut pas être simplement une action sociale. L’action d’aménagement qui figure dans le code de l’urbanisme, mais qui n’y est pas bien définie, doit
aujourd’hui être renforcée. Dans cette action, l’intervention physique sera modeste et, dans tous les cas, très longue. Elle ne permettra pas de rémunérer sur la longue durée des
opérateurs très expérimentés. L’accent sera mis plutôt sur la gestion des espaces collectifs, des espaces publics, des rez-de-chaussées, des centres commerciaux, des locaux d’activités.

Je ne sais pas si les urbanistes de l’Etat et les architectes des bâtiments de France travaillent déjà dans ces quartiers en difficulté, mais je le souhaite, car il faut apprendre à aimer cette ville-là aussi. Il y à beaucoup à inventer.

Ma troisième considération est la suivante : l’Etat et ses fonctionnaires doivent exercer pleinement toutes leurs prérogatives. L’Etat a un rôle éminent pour aider à approfondir une culture de la ville, à travers l’enseignement, la recherche , la culture de ses agents, en particulier de ceux que vous représentez. Il faut qu’il parvienne à mieux entrer dans le processus du débat qui à mon avis, est au coeur du projet urbain. Cela suppose probablement qu’il soit plus unifié qu’il ne l’est. Je plaide pour que les fonctionnaires ayant une compétence spatiale aient un rôle très important dans ce domaine. Parce que, finalement, l’espace est le lieu où, par force, tout se rassemble où éclatent les contradictions. Et, vous êtes les mieux placés pour le concevoir, il ne faut pas fuir les contradictions lorsqu’on parle de la ville, et les assumer lorsqu’on la fabrique.

Jean-Louis SUBILEAU
Directeur de la SCET

Dans le même dossier