La reconversion de la caserne des Minimes, dans le PSMV du Marais à Paris : comment concilier préservation et reconversion du patrimoine

Photo de la cour avant et après travaux (photos rh+ architecture)
Photo de la cour avant et après travaux (photos rh+ architecture)

Au cœur du quartier du Marais à Paris, au nord de la place des Vosges, a été construite au début du XXe siècle la caserne de gendarmerie des Minimes, située sur l’emplacement du couvent éponyme du XVIIe siècle. Cet ensemble immobilier, constituant un îlot urbain, a fait l’objet d’un traitement particulier par le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) du Site patrimonial remarquable (SPR) du Marais, approuvé le 18 décembre 2013.

Le PSMV a protégé l’intégralité des bâtiments en tant qu’immeubles constituant des témoignages de l’histoire par les stratifications historiques dont ils ont fait l’objet, protégé la totalité de la cour en tant qu’espace non-bâti à dominante minérale, mis en valeur pour son rôle d’espace de vie des habitants et des usagers, et a créé un emplacement réservé en vue de la réalisation de logements et logements locatifs sociaux.
Le document d’urbanisme conjugue ainsi la préservation patrimoniale de cet ensemble urbain cohérent et sa reconversion.

Ces deux objectifs règlementaires qui peuvent paraître ambivalents, ont permis de réunir pour mener à bien ce projet, des acteurs opérationnels, politiques et institutionnels, créant ainsi une chaîne de compétences qui a su allier la protection et la valorisation patrimoniale à la reconversion de la caserne pour la réalisation de soixante-dix logements sociaux.

Élogie-Siemp (bailleur social de la Ville de Paris)

Élogie Siemp a été fléchée sur ce foncier appartenant au domaine public de la Ville de Paris début 2016 avec un fil rouge qui a structuré tout le travail de la maîtrise d’ouvrage : livrer l’opération avant la fin de la mandature en cours.

Début 2016, le site nous est donc inconnu, la programmation n’est pas précise car il s’agit « de réaliser un programme de logements sociaux, des pieds d’immeubles commerciaux et une crèche associative ».
Cette imprécision programmatique a plaidé pour une démarche de conception collaborative. Ainsi, ont été institués des comités de pilotage réguliers rassemblant tous les futurs acteurs du projet, et la mairie du IIIe arrondissement a souhaité une concertation avec les riverains de la caserne dès les premières études de faisabilité.

Les échanges avec les élus locaux et la concertation ont permis de préciser le programme, d’intégrer de nouveaux partenaires au projet et d’intégrer les demandes fortes, dont :

  • la transformation et le principe d’ouverture de la place centrale aux riverains,
  • la création de locaux commerciaux avec des loyers maîtrisés, permettant d’accueillir des locaux d’artisanat afin de maintenir ce type d’activité dans l’arrondissement,
  • la création de locaux commerciaux dits “libres” pour ne pas tout écrire dès le début,
  • la mixité de la programmation immobilière avec un panel des différents “produits” du logement social.1
Axonométrie du projet. © rh+ architecture

Au moment du choix de la procédure de désignation de la maîtrise d’œuvre, nous partons des constats suivants : la faible connaissance technique et architecturale des existants, la somme des demandes règlementaires et contextuelles qui s’imposent au projet (PSMV, Plan Climat, études en milieu occupé, PPRI, Plan pluie, accessibilité PMR, état du sol et pollution résiduelle) et l’incertitude programmatique des premières hypothèses de projet qui posent de nombreuses questions nécessitant d’être approfondies :

  • Comment ouvrir une cour “privée” aux riverains tout en préservant l’intimité des habitants du site,
  • Comment “gérer” quotidiennement la cour, tant du point de vue de son fonctionnement que de son entretien,
  • Comment intégrer les subtilités de la règlementation du PSMV pour le traitement de la cour,
  • Comment valoriser des rez-de-chaussée en présence du PPRI tout en permettant les usages PMR,
  • Comment, dans un contexte d’intervention patrimoniale, valoriser les étages de comble, qui représentent potentiellement une quinzaine de logements supplémentaires.

Le PSMV imposait la dominante minérale dans le traitement de la place et la protection des clôtures sur rue de l’îlot, ce qui semblait se heurter avec la volonté de végétaliser la place et la contrainte programmatique d’ouvrir le cœur de la parcelle. Par ailleurs, les réunions publiques et les avis parfois divergents des riverains plaidaient dans le sens d’une ouverture, toutefois contrôlée.

Notre intention de bien appréhender ce patrimoine pour le faire évoluer, le moderniser et l’adapter, part d’un préalable : le connaître finement dans ses existants mais aussi dans la façon dont il a évolué au fil des siècles. La connaissance de l’existant relevait de la mission de diagnostic global qui a été confiée à la maîtrise d’œuvre. La connaissance de l’évolution de ce patrimoine relevait d’une étude historique que le maître d’ouvrage a fait réaliser par l’agence GRAAL et qui constituait une donnée d’entrée au projet.

Une procédure négociée de type dialogue compétitif a naturellement trouvé sa place à ce stade. Le principe était de sélectionner une équipe sur la base d’intentions de projet issues d’un programme simple qui devait dans un second temps être passé au prisme du diagnostic technique et architectural.

Les autres clefs qui ont permis d’assurer une cohérence entre la transformation lourde et nécessaire du site et la mise en valeur des aspects patrimoniaux ont également pu être assurés grâce à un travail en transparence et des échanges réguliers avec l’architecte des bâtiments de France, dès la phase conception et pendant toute la durée du chantier.

Phase chantier : arrivée des seize arbres destinés à être plantés dans la cour. © rh+ architecture

Finalement l’îlot a gagné en perméabilité et la plantation de seize arbres en complément de l’aménagement minéral de la place est venue compléter le principe d’ouverture de l’îlot, tout en permettant de respecter la nature minérale imposée par la règlementation du PSMV.

Une convention de gestion expérimentale a été signée entre Élogie Siemp et la Ville de Paris, afin de répondre à la demande d’ouvrir cet espace “privé” au public.

Le programme immobilier a permis de réaliser trois catégories de logements correspondant à des niveaux de ressources et de loyers différents.2

La mixité dans les catégories de financement du programme immobilier et dans les réservations des différents logements a également été renforcée par la variété des typologies qui permettent de garantir une offre de logements allant du simple studio au logement de type T5.

Le projet a pu être livré et inauguré à la veille des dernières élections municipales.

Photo de la cour et des bâtiments après travaux. © rh+ architecture.

rh+ architecture

2020 : l’ancienne caserne des Minimes, au cœur du Marais, est à nouveau accessible aux habitants du quartier et aux promeneurs.

Notre agence, qui a eu la charge du projet, a mené une réflexion avec l’ensemble des intervenants, qui va au-delà de la restructuration de cet ensemble patrimonial. Repenser les porosités et les continuités urbaines, mais également paysagères et de services sont les enjeux que nous avons défendus. Les murs d’enceintes ont été supprimés, les soubassements sont percés. La cour centrale devient un jardin de fraîcheur, traversant et animé.

Aux soixante-dix logements sociaux réalisés grâce à l’appropriation des combles, s’ajoute un ensemble de services et locaux d’activités. Le dialogue avec la Ville de Paris et Élogie-Siemp nous a permis d’obtenir des usages multiples. Plumassier, maroquinier, céramiste… Huit artisans s’installent dans les rez-de-chaussée de la rue Saint-Gilles, décaissés et aménagés en ateliers avec réserves en sous-sol et ouvertures des anciennes fenêtres en porches vitrés. À l’angle de la rue des Minimes et de la rue du Béarn, un cabinet accueille trois médecins conventionnés. Une crèche associative de quatre-vingt-dix berceaux, avec pièce d’eau et jardin d’enfant adjacent, prend place dans les anciennes écuries, dont les hauteurs sous plafond atypiques sont judicieusement mises en valeur.

L’ancienne place d’armes d’environ deux mille mètres carrés, devient lieu d’échange, de rencontre et de respiration. Avec ses seize arbres de grande hauteur plantés à l’emplacement de l’ancien cloître, son sol en calcaire clair qui offre une continuité visuelle avec les soubassements des bâtiments, ses abords végétalisés avec des fruitiers et arbustes en pleine terre, la cour se transforme en un jardin de fraîcheur. Les Parisiens peuvent s’y retrouver en journée, jardiner dans les potagers partagés, manger une cerise, partager une partie de pétanque, boire un verre en terrasse. À la nuit tombée, le jardin referme ses portes.

Photos des intérieurs. En haut à gauche, logement courant. © Samanta Deruvo ABF ; en bas à gauche, logement dans les combles, rendus habitables grâce à la création de lucarnes. © rh+architecture ; à droite, l’un des escaliers d’accès aux logements © rh+ architecture

Architectes des bâtiments de France

Le projet de réaménagement de la caserne des Minimes a été un sujet particulier de la révision du Secteur Sauvegardé3 du Marais.

La révision du document d’urbanisme a été l’occasion de protéger des constructions du XXe siècles, dont la caserne des Minimes4  ; parallèlement, le départ des gendarmes a été saisi comme l’opportunité de changer la destination de cet îlot en un Emplacement réservé pour la création de logements et logements locatifs sociaux5 .

Extrait du Plan de sauvegarde et de mise en valeur.

Construite entre 1914 et 1926, la caserne est située à l’emplacement de l’ancien couvent des Minimes de la place Royale, édifié lui-même sur les jardins du domaine du palais royal des Tournelles6 . Après la Révolution et suite à la démolition de l’église des Minimes7 , le couvent éponyme fut transformé en caserne. Ainsi, depuis le règne d’Henri IV, ce lieu a toujours été clos et à l’abri des regards et du tumulte de la vie parisienne, lui conférant un caractère résidentiel.

Le projet de reconversion de la caserne en logements est donc une évolution cohérente pour le quartier et ses usages.
Cependant, ce changement d’usage, la création d’un espace ouvert au public en son centre, l’installation d’une crèche et de locaux d’artisanat ouverts au public, nécessitaient une plus grande perméabilité de l’îlot, en lien avec l’espace public.
Ainsi, l’architecte des bâtiments de France s’est retrouvée face à des enjeux forts et complexes :

Comment assurer la conservation et la mise en valeur d’un espace destiné à être clos, sans trahir sa nature ? Comment conserver cet héritage, sans le compromettre et bien au contraire en le mettant en valeur ?
Des choix ont dû être faits.

En effet, à longer les murs de la caserne, la première réaction de l’architecte des bâtiments de France était d’en conserver au maximum l’expression. Cependant, l’idée d’ouvrir cet îlot et de changer ainsi son rapport à la ville, incitait fortement à en percer, voire à en détruire quelques-uns.

C’est ainsi, que malgré la tentation de garder le mur de clôture sur la rue Saint-Gilles, il a été décidé, avec l’architecte Bertrand Monchecourt chargé de la faisabilité, d’accepter sa démolition et de traiter la cour anglaise, en extension-élargissement de la rue. Cette ouverture sur la rue Saint-Gilles, ombragée par des arbres qui en rythment l’alignement, était une gageure importante pour la réussite du projet. Dans le même objectif de perméabilité, le mur le long de la rue des Minimes a été remplacé par une grille ajourée sur mur bahut.

Photos du mur destiné à être démoli, vue sur la rue Saint-Gilles et vue depuis l’intérieur de la parcelle. © rh+ architecture.
Vue de la rue Saint-Gilles après démolition du mur. © rh+ architecture.

L’organisation urbaine de la caserne, avec ses percées visuelles existantes et nouvellement créées, a pu être mise à profit pour assurer une perméabilité physique en liaison avec l’espace public.
La mise en place d’ateliers au rez-de-chaussée et le traitement de la cour minérale en cour plantée, créent un appel à profiter de cet espace calme, situé à proximité immédiate de la place des Vosges.
L’équipement de la crèche était une difficulté à part entière, de par l’obligation d’insérer une clôture qui permette de séparer la cour plantée semi-publique de la cour de la crèche, et de par la volonté d’ouvrir généreusement le bâtiment sur cette cour. Ainsi, compte tenu des importantes transformations subies par le rez-de-chaussée de l’édifice depuis sa construction, le principe d’ouverture de grands percements à rez-de-chaussée a été validé. Concernant la clôture de la cour, il a été choisi de la matérialiser par un élément métallique partiellement ajouré : il faudrait qu’il soit recouvert de végétation, comme un fond d’écran vert.
Le projet de logements correspondait bien à cette architecture très tramée, aussi fallait-il juste être en appui de l’agence rh+ lauréate du concours de maîtrise d’œuvre, pour que soient conservés le rapport entre les espaces privatifs et semi-publics, puis les intérieurs : les parquets, les cheminées, les escaliers, ainsi que les garde-corps.
La création de lucarnes dans les combles a assuré leur habitabilité.

Les architectes des bâtiments de France, outre le suivi du projet en amont du dépôt du permis de construire, ont également accompagné les maîtres d’œuvre et d’ouvrage tout au long du chantier, dans les choix de prototypes, matériaux et couleurs et dans les quelques modifications nécessaires en cours de réalisation.

Ce travail passionnant au cœur du PSMV du Marais a permis, une fois de plus, de démontrer la résilience du patrimoine, capable de s’adapter à de nouveaux usages tout en conservant ses valeurs architecturale, urbaine et sociale.

Façades à l’angle entre les rues de Béarn et des Minimes. © rh+ architecture.

Conclusion

Le projet de requalification et réhabilitation de l’ancienne caserne des Minimes a fait l’objet d’une publication monographique8 , dans laquelle l’agence rh+ architecture a souhaité la rédaction d’un texte à plusieurs mains, croisant la parole de l’architecte maître d’œuvre à celles de la Mairie de Paris, du maître d’ouvrage, de l’architecte des bâtiments de France, du paysagiste et de l’entreprise.
Ce dialogue à plusieurs voix a permis de rendre compte de la démarche collaborative et concertée, engagée depuis la phase concours jusqu’à la réalisation.

L’enjeu était de faire la démonstration par le projet, qu’une démarche basée sur la co-construction du cahier des charges, la compréhension partagée des enjeux et un dialogue étroit entre les différents acteurs, permette de répondre aux objectifs règlementaires de préservation et de reconversion du patrimoine, objectifs qui peuvent paraître ambivalents au départ et qui ont été conciliés.

Ainsi, la préservation et la valorisation du patrimoine ont permis de livrer des logements sociaux singuliers et qui s’inscrivent dans la continuité de l’histoire du lieu, ce qui contribue à les ancrer dans l’histoire et dans la vie du quartier.

  1. (typologies variées, logements PLA-I, logements PLUS, logements PLS, peuplement “élargi” aux dispositifs mis en place par la mairie du IIIe arrondissement type Réseau logement senior et colocation étudiante, mixité des réservataires État, Vdp, Collecteurs 1%, ministère).
  2. Vingt-et-un logements de type PLA-I, vingt-huit logements de type PLUS et vingt-et-un logements de type PLS. Ils permettent d’assurer une réelle mixité dans le peuplement du site. En complément, cette diversité a été renforcée par des produits plus locaux et plus spécifiques concernant quelques logements tels que le Réseau Logement Senior, des colocations étudiantes via des systèmes d’intermédiation locatives et les réservataires traditionnels (Ville et État) ont été élargis via la participation au financement du projet d’Action Logement et du ministère de la Culture, en contrepartie de quelques réservations sur le programme.
  3. Les Secteurs sauvegardés, introduits par la loi n°62-903 du 4 août 1962 dite “loi Malraux”, ont été remplacés par les Sites patrimoniaux remarquables par la loi du 16 juillet 2016 relative à la Liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.
  4. Les immeubles sont protégés en “type B -Immeuble ou partie d’immeuble à conserver, dont le réaménagement, pouvant comporter des interventions sur la structure et/ou sur la répartition des volumes intérieurs existants est autorisé sous conditions” (voir règlement du Plan de sauvegarde et de mise en valeur - PSMV).
  5. Dans l’ancien PSMV, les immeubles n’étaient pas protégés et pouvaient être remplacés ou améliorés.
  6. La construction du couvent et de l’église éponyme est le fruit de la politique d’aménagement du territoire engagée par Henri IV et Sully, qut la mise en place d’un plan de relance économique et social. À l’emplacement de l’ancien palais des Tournelles, abandonné après la mort d’Henri II, le projet consistait à construire une place carrée bordée d’immeubles similaires, répondant à un cahier des charges (place Royale, puis des Vosges) et un programme de bâtiments sur une trame orthogonale s’étendant au nord, jusqu’à la limite de l’ancien parc royal du Palais des

    Tournelles (emplacement de la caserne des Minimes).
  7. Construite par François Mansart.
  8. La Caserne des Minimes 1605-2020. Histoire d’une transformation, rh+architecture, Elogie-Siemp, GTM bâtiment, décembre 2020.