La villa Savoye

À la suite de la restauration générale des façades et des terrasses de la villa Savoye, le directeur du patrimoine avait souhaité, dès 1992, que soient achevées la restauration des peintures intérieures, de l’électricité, la mise au point d’une vidéo-surveillance et la reconstitution du parterre sud.

Avec la collaboration de Laurence Razy, architecte, nous avons donc procédé à une étude préalable présentant la villa dans son ensemble, puisqu’elle constitue le manifeste construit des idées de Le Corbusier qu’il développe dans “les cinq points d’une architecture nouvelle”, puis nous avons procédé aux travaux, de septembre 1996 à mai 1997.

L’édifice a fait l’objet de plusieurs campagnes de restauration qui avaient profondément modifié l’aspect des lieux :

  • les peintures ont été refaites et réinterprétées à plusieurs reprises.
  • l’installation électrique a été modifiée et les appareillages remplacés ; les appliques, plafonniers, lustre d’origine ont été détruits.
  • le jardin, après avoir été considérablement réduit par la construction du lycée, a été entretenu de façon irrégulière.

Historique

Contactés en septembre 1928 par M. Pierre Savoye, administrateur d’une compagnie d’assurances qui existe encore de nos jours (société Gras-Savoye), et son épouse, Le Corbusier et Pierre Jeanneret consacrent un an et demi à la conception de l’édifice. Pour Le Corbusier, il s’agit de « clients dépourvus totalement d’idées préconçues : ni modernes, ni anciens ». « La maison se posera au milieu de l’herbe comme un objet, sans rien déranger ». Le chantier se déroulera d’avril 1929 à juillet 1931.

Après l’occupation de la villa pendant la guerre, par les Allemands puis par les Américains, la mairie de Poissy procédera au cours des années 1959-1960, à des modifications pour utiliser le bâtiment en maison des jeunes. À cette époque, André Chastel lance un cri d’alarme pour sauver la villa de la ruine et… des bulldozers.

À partir de 1963, Jean Dubuisson procède à une restauration générale de la villa sous le contrôle de Le Corbusier : à cette époque, celui-ci envisage d’y installer un musée consacré à son œuvre. Ses goûts ont évolué en matière de polychromies et il donne son accord pour que les couleurs soient changées dans la villa, qui sera classée monument historique le 16 décembre 1965, quelques mois après sa disparition.

En 1977, Yvan Gury procède à une restauration partielle de la villa et son successeur, Jean-Louis Vesret, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, entretient, conforte et rénove les façades et les terrasses de 1985 à 1992.

D’octobre 1996 à mai 1997, la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, maître d’ouvrage, Jean-Yves Le Corre étant le conservateur régional des monuments historiques, nous procédons à la restauration des peintures intérieures, de l’électricité, du parterre sud devant la villa et à la réfection du pavillon du gardien.

Les peintures intérieures

À la suite de la restauration des façades, des terrasses et des étanchéités, intervenue en 1992, l’ensemble des peintures intérieures restait à refaire, la villa ayant beaucoup souffert de l’humidité, de l’absence de chauffage et des intempéries.

Comment entreprendre un tel travail, si l’on voulait remettre les couleurs de la villa dans leur état de 1931 ? Il nous a fallu restituer la chronologie des interventions connues sur les intérieurs, procéder à des sondages approfondis sur la totalité des murs des différents espaces, enfin examiner attentivement les devis mais surtout les mémoires des travaux de peinture exécutés pour le compte de Madame Savoye à Poissy, très précis et signés par Le Corbusier lui-même ou par Pierre Jeanneret.

Le chronologie des interventions connues fait apparaître, dès 1930, à la suite de divers problèmes de fuites d’eau, la remise en peinture de certaines pièces après grattage des peintures de 1929. Trente ans plus tard, en 1960, lors de l’utilisation de la villa en maison des jeunes par la ville de Poissy, des cloisons intérieures sont ajoutées, peintes en rouge vif. Une peinture de propreté est apposée sur les autres murs avec des couleurs qui ne tiennent absolument pas compte des gammes chromatiques antérieures.

De 1963 à 1965, Dubuisson procède à la réfection compléte des peintures sous le contrôle de Le Corbusier. Lors de la restauration partielle des intérieurs par Yvan Gury, une partie des peintures sera refaite, le nuancier Salubra de Le Corbusier servant de référence.

Plusieurs campagnes de sondages nous ont permis de restituer les couleurs d’origine en les précisant exactement, parfois sous six couches successives de peintures.

En l’absence de preuves irréfutables ou dans le cas de doutes sur la couche ultérieure découverte, le parti a été de repeindre en blanc, démarche généralement utilisée dans la restauration des oeuvres de Le Corbusier. Les sondages ont permis de vérifier leur concordance des couleurs avec les mémoires des travaux.

Les devis et les mémoires des travaux exécutés entre 1928 et 1939, pour le compte de Madame Savoye à Poissy, ont été scrupuleusement examinés : dans chaque pièce de la villa, chaque mur est métré précisément et comme ils sont toujours de surface différente, il n’y a pas d’erreur possible, en particulier lorsque Le Corbusier ou Pierre Jeannet signe les mémoires de travaux, en spécifiant la pièce concernée et la surface de mur nouvellement peinte par l’entreprise.

Tous nos efforts ont donc été concentrés sur la recherche, puis la réalisation des couleurs d’origine de la villa à propos desquelles Le Corbusier écrit en 1931 « La couleur modifie l’espace, la couleur classe les objets, la couleur agit physiologiquement sur nous et réagit fortement sur nos sensibilités ».1 La réfection totale de l’électricité de la villa a permis de refaire le réseau d’alimentation, de remplacer tous les appareillages, de mettre en place un nouvel éclairage de sécurité et d’installer une vidéo-surveillance. Les documents photographiques nous ont permis d’identifier les modèles d’origine de prises de courant et d’interrupteurs composés de plaques chromés avec interrupteur “Tumbler”.

Deux types de plafonniers et deux types d’appliques ont été restitués, d’après les dossiers de Le Corbusier ou les catalogues de l’époque, et le lustre du salon, refait en matière plastique (PVC) dans les années 1960, a été redessiné et réalisé en tôle pliée chromée. Madame Savoye l’avait repéré dans le hall de la société Thomson à Paris.

Le jardin

Le parc d’origine de sept hectares (la propriété actuelle ne compte plus que dix mille trois cent soixante-cinq me) a été amputé par la construction du lycée. Il n’était pas possible de remettre en scène la villa dominant le verger et la prairie au nord, telle que l’avaient conçue Le Corbusier et Pierre Jeanneret. En revanche, il apparut souhaitable de recréer la configuration d’origine du parterre sud.

Un projet daté du 24 février 1930, reproduisant au sol le plan de la villa, est en tous points conforme aux photographies anciennes. La partie centrale, traitée en pelouse cantonnée de quatre buis taillés en boule, est flanquée de deux plate-bandes de rosiers plantés l’hiver dernier : elle accentue l’effet spectaculaire de la vision d’arrivée. À nouveau ouverte au public, la villa a retrouvé ses couleurs ; la restauration a été menée dans l’esprit de Le Corbusier pour lequel : “La polychromie [est] dispensatrice d’espace, classificatrice des choses essentielles et accessoires”.

Bruno CHAUFFERT-YVART

  1. Un film en noir et blanc, consacré à Le Corbusier intitulé “Architecture d’Aujourd’hui” et réalisé par Pierre Chenal en 1930-31, permet de découvrir l’état de quelques intérieurs. Compte-tenu des ombres et de l’absence de couleur, il laisse planer des doutes sur le traitement chromatique des intérieurs.