Renfort ou contestation de l’avis de l’architecte des bâtiments de France 1/2

La loi du 28 février 1997 organise à l’intention de certaines autorités un mode de recours particulier auprès du préfet de région en cas de désaccord avec la position exprimée par l’architecte des bâtiments de France sur certaines catégories de travaux1 .

La prochaine publication du décret d’application de cette loi conduit à présenter quelques commentaires.

Pour l’essentiel, ce décret va mettre en place la nouvelle commission régionale du patrimoine et des sites, résultant du regroupement de la commission régionale du patrimoine historique, archéologique et ethnologique et du collège régional du patrimoine et des sites. Il est sage d’attendre les choix effectifs des titulaires de mandat électif, personnalités qualifiées et représentants d’associations pour mieux apprécier la physionomie de la nouvelle commission et ses conditions de fonctionnement.

Quant aux dispositions du décret relatives à la suspension du délai d’instruction d’autorisations d’urbanisme, telles que le permis de construire ou de démolir pendant la période ménagée pour la procédure d’appel, elles s’insèrent dans le dispositif complexe résultant du Code de l’urbanisme. Les modalités nouvelles d’instruction auxquelles on aboutit pour les différentes autorisations d’urbanisme seront présentées avec précision dans un prochain numéro.

Après avoir décrit les principales caractéristiques de la procédure d’appel, le présent article souligne la contribution de la loi nouvelle au renforcement des pouvoirs de l’architecte des bâtiments de France, puis rappelle l’existence des règles antérieures qui doivent continuer d’encadrer la formulation des avis. Une appréciation d’ensemble pourra ainsi être proposée.

Caractéristiques de la procédure nouvelle

Territorialement, les lieux d’application de la nouvelle procédure sont faciles à cerner :

  • les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager qui peuvent être instituées depuis la loi du 7 janvier 1983 et pour lesquelles le même mécanisme de contestation éventuelle de l’avis de l’architecte des bâtiments de France existait déjà dans des conditions que l’on retrouve largement ;

  • les abords de monuments historiques, où cette procédure vient remplacer celle qui avait été instituée par un décret du 9 mai 1995 sous la forme à bien des égards différente d’un recours auprès du ministre ;

  • les secteurs sauvegardés, enfin, où il s’agit d’une importante innovation.

On peut mettre à part les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de Réunion, dans la mesure où elles relèveront d’un régime différent.

Sous cette réserve, les dispositions sont très simples pour ce qui a trait à l’autorité destinataire des contestations éventuelles de l’avis de l’architecte des bâtiments de France et à la commission que cette autorité consulte.

L’autorité saisie, c’est le préfet de région.

La commission, c’est la nouvelle commission régionale du patrimoine et des sites. Il n’est fait exception que dans le cas de la Corse, pour laquelle est maintenue la compétence consultative du Conseil des sites de la Corse (article L 144-6 du Code de l’’Urbanisme)2 .

Quant à la nature des projets de travaux relevant de la procédure de contestation éventuelle, il s’agit essentiellement des travaux soumis aux permis de construire ou de démolir ou à quelques autres autorisations d’urbanisme, dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons.

Sur les termes de la contestation éventuelle, il est important de noter qu’il ne s’agit pas, comme dans la procédure de recours hiérarchique auprès du ministre qui était organisée par le décret du 9 mai 1995 pour les travaux soumis au permis de construire aux abords d’un monument, d’une contestation limitée aux cas de refus d’accord du permis ou d’accord assorti de prescription. Point n’est besoin ici de s’en tenir à des décisions administratives, à des décisions faisant grief, puisqu’il ne s’agit pas d’un recours hiérarchique, mais d’une procédure originale de contestation auprès du préfet de région. Et conformément aux termes de la loi de 1997, qui sont les mêmes sur ce point en zone de protection, en abords ou en secteurs sauvegardés, il suffit, semble-t-il, qu’il y ait “désaccord” avec l’avis de l’architecte des bâtiments de France. Peu importe le cas où cet avis serait favorable et non assorti de prescriptions3 . Peu importe également le cas où cet avis n’aurait pas la qualification exacte d’un avis conforme, au sens d’un pouvoir d’accord proprement dit. Ceci étant rappelé, nous devons souligner que la procédure de recours est réservée au représentant de la commune ou à celui de l’État.

Lors de l’examen de ce qui est devenu la loi n° 93-24 du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, le Sénat avait essayé de greffer sur cette loi des dispositions qui ouvraient la possibilité de recourir à une procédure d’appel non seulement à l’autorité qui délivre le permis de construire aux abords d’un monument historique, mais aussi au pétitionnaire de ce permis. L’Assemblée nationale avait refusé, quant à elle, de telles dispositions. Dans sa proposition de loi N° 159, déposée le 11 mai 1993, M. René Couanau, député d’Île-et-Vilaine, ne modifiait pas l’initiative de l’appel dans les zones de protection, mais ouvrait la procédure dans le cas des abords et des secteurs sauvegardés à l’autorité chargée de la délivrance du permis de construire, au pétitionnaire et à toute autre personne ayant un intérêt direct à agir. Quant à la proposition de loi n° 209 de M. Claude Huriet, sénateur, déposée le 8 février 1996, elle ouvrait l’appel, dans les trois cas des zones de protection, des abords et des secteurs sauvegardés, au maire ou à l’autorité compétente chargée de la délivrance du permis ou de l’autorisation, ainsi qu’au propriétaire de l’immeuble. Sur le rapport de la commission des affaires culturelles du Sénat préconisant de ne pas modifier la procédure applicable dans les zones de protection, mais de compléter par un dispositif identique les lois sur les monuments historiques et les secteurs sauvegardés, la proposition de loi n° 2.814, adoptée par le Sénat lors de sa séance du 21 mai 1996, n’ouvre plus la procédure d’appel qu’au maire ou à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation ou le permis de construire. Le rapport de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a souligné le caractère satisfaisant de la disposition qu’avait votée le Sénat sur ce point4 et l’Assemblée nationale a adopté sans modification, lors de sa séance du 20 février 1997, l’ensemble de la proposition de loi qui venait du Sénat et qui est devenue la loi du 28 février 1997.

Qu’il s’agisse des zones de protection du patrimoine, des abords de monuments historiques ou des secteurs sauvegardés, la loi de 1997 reprend pour définir l’auteur d’un recours éventuel l’expression déjà utilisée par la loi de 1983 pour les zones de protection : “le maire ou l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire”.

Renforcement des pouvoirs de l’architecte des bâtiments de France

Dans la controverse sur le point de savoir si une disposition législative peut se référer expressément à la compétence de l’architecte des bâtiments de France, le Parlement s’est prononcé en 1997 en toute connaissance de cause.

Il y a lieu de distinguer de ce point de vue la situation avant et depuis 1997.

Avant la loi du 28 février 1997

Avant 1997, une exception dans notre domaine à la règle consistant à ne pas mentionner un fonctionnaire désigné en tant que tel dans un texte législatif (pour laisser cela au pouvoir réglementaire) était celle qui avait été instituée pour reconnaître à l’architecte des bâtiments de France un pouvoir d’avis conforme sur les travaux modifiant l’aspect des immeubles de la zone de protection du patrimoine.

Encore doit-on souligner que le gouvernement avait, en l’occurrence, prêté la main à cette formule et que la question n’était ainsi pas apparue au devant de la scène.

  • Dans le cas des abords de monuments historiques, l’exception résultant du deuxième alinéa de l’article 13 bis avait été fragilisée en 1969 par le Conseil constitutionnel et c’est un peu par inadvertance que la loi du 31 décembre 1976 avait laissé subsister cette disposition dans sa forme législative5 . La même loi du 31 décembre 1976 s’était en revanche gardée de mentionner l’existence de l’architecte des bâtiments de France lorsqu’il s’était agi du permis de démolir aux abords d’un monument historique et elle avait préféré se référer à la formule laissant plus de latitude d’un accord du ministre ou de son délégué.

  • Dans le cas enfin des secteurs sauvegardés, l’architecte des bâtiments de France n’apparaissait nullement dans les dispositions de la loi du 4 août 1962 aujourd’hui codifiées aux articles L 313-1 à L 313-3 du Code de l’Urbanisme. Il n’était mentionné que dans les seules dispositions réglementaires6 .

Depuis la loi du 28 février 1997

Le Gouvernement n’avait pas manqué d’invoquer le caractère réglementaire de nombre des dispositions envisagées par la proposition de loi devenue la loi du 28 février 1997. Ces réserves ont été sciemment écartées par le législateur. Ce dernier semble avoir considéré que le Gouvernement n’irait de toutes façons pas jusqu’à invoquer l’article 41 de la Constitution et que, même si, ultérieurement , il cherchait à obtenir un jour du Conseil constitutionnel un déclassement tendant à reconnaître le caractère réglementaire de nouvelles dispositions en ce qu’elles désignaient un fonctionnaire déterminé, cela n’était ni facile ni évident et cela n’était guère probable dans un avenir proche7 .

L’effet marquant de la loi est de renforcer le pouvoir propre de l’architecte des bâtiments de France en ce que la forme législative de ces dispositions les fait échapper en leur état actuel aux règles relatives à l’organisation des services dès lors que celles-ci résulteraient de décrets.

  • Dans le cas des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, il y a simple consolidation des dispositions antérieures datant de 1983.

  • Dans le champ de visibilité des monuments historiques, non seulement la loi de 1997 consolide le deuxième alinéa de l’article 13 bis, mais elle le complète expressément par deux alinéas qui mentionnent tous les deux ce fonctionnaire spécialement qualifié qu’est l’architecte des bâtiments de France. Une première disposition (troisième alinéa nouveau de l’article 13 bis) institue la procédure d’appel “en cas de désaccord… avec l’avis émis par l’architecte des bâtiments de France”. Une seconde disposition (quatrième alinéa nouveau de l’article 13 bis) précise que le pouvoir d’évocation du ministre s’exerce à l’égard de tout dossier dont l’architecte des bâtiments de France ou le préfet de région est saisi.

La référence faite par le législateur au rôle en tant que tel de l’architecte des bâtiments de France est singulièrement renforcée dans le cas des abords de monuments.

  • Pour ce qui a trait aux secteurs sauvegardés, la novation est cette fois complète. L’article L 313-2 du Code de l’Urbanisme, celui qui soumet les travaux en secteur sauvegardé, soit à autorisation dans les formes prévues pour le permis de construire, soit à autorisation spéciale, est complété par la loi de 1997 de deux alinéas analogues à ceux qui sont introduits dans l’article 13 bis de la loi de 1913. Le premier (quatrième alinéa nouveau de l’article L 313-2) étend la procédure d’appel “en cas de désaccord entre l’architecte des bâtiments de France et le maire ou l’autorité compétente…”, au cas entièrement nouveau des secteurs sauvegardés à compter de leur délimitation. Le deuxième (cinquième alinéa nouveau de l’article L 313-2) précise le pouvoir d’évocation du ministre à l’égard de tout dossier dont l’architecte des bâtiments de France ou le préfet de région est saisi en application de l’article L 313-2.

À cette mention nouvelle de l’architecte des bâtiments de France dans les dispositions législatives relatives aux secteurs sauvegardés s’ajoute un effet supplémentaire de la loi du 28 février 1997.

Elle renforce l’avis de l’architecte des bâtiments de France sur les permis de construire en secteur sauvegardé. Elle confère au pouvoir d’avis de l’architecte des bâtiments de France, qui n’était pas en ce cas un pouvoir d’avis conforme au sens habituel du mot, une vigueur accrue. Sans changer la nature de ce pouvoir d’avis très particulier, le législateur lui donne une place meilleure. Le préfet de région est logé à la même enseigne quant à la portée de son propre avis. Il est cependant significatif que l’on doive s’élever au niveau de compétence du préfet de région, conseillé par une commission régionale, lorsque l’on souhaite contester en un tel cas le pouvoir d’avis de l’architecte des bâtiments de France.

Les pouvoirs forts de l’architecte des bâtiments de France ne doivent pas faire oublier pour autant la survivance de toutes les règles qui encadrent la formulation des avis.

On ne peut définir les pouvoirs respectifs de l’architecte des bâtiments de France, du préfet de région ou du ministre de la culture saisis en appel ou de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation d’urbanisme proprement dite, en feignant d’ignorer leur commune soumission à des règles prédéterminées.

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Philippe PRESCHEZ
CESHMA

  1. Loi N° 97-179 du 28 février 1997 relative à l’instruction des autorisations de travaux dans le champ de visibilité des édifices classés et inscrits et dans les secteurs sauvegardés. J.O. du 01.03.1997, p. 3320.
  2. Cf. article 5 III de la loi 97-179 du 28 février 1997.
  3. Cf. en sens contraire, rapport n° 3323, Assemblée nationale fait par M. Louis de BROISSIA au nom de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, enregistré le 29.01.1997, p. 21
  4. Cf. rapport N° 3323, op. cit.,p. 15.
  5. Pour les travaux ressortissant au permis de construire, la rédaction donnée par l’article 68 V de la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 au 5e alinéa de l’article L 421-1 du Code de l’Urbanisme était de nature à faire considérer, d’une part, que le “représentant ” du ministre auquel se réfère cette disposition législative ne pouvait désormais être que le préfet et, d’autre part, que le 2e alinéa de l’article 13 bis de la loi modifiée du 31 décembre 1913 pouvait d’autant plus facilement être remis en cause que son caractère réglementaire avait été reconnu par le Conseil Constitutionnel dans les conditions articulées par sa décision 69-55 du 26 juin 1969. Si finalement l’article 13 bis 2e alinéa a survécu, c’est parce que l’article 50 de la loi précitée du 31 décembre 1976 introduisait dans la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques un article 30 bis punissant des peines correctionnelles prévues à l’article L 480-4 du Code de l’urbanisme “toute infraction aux dispositions des articles 13 bis et 13 ter de la loi du 31 décembre 1913”. Si la référence à l’article 13 bis laissait entendre qu’il était maintenu sous sa forme antérieure, cela devenait patent si l’on se référait à l’article 13 ter dont le 4e alinéa (reconnu au demeurant de caractère législatif dans la loi d’extension aux départements d’outre-mer n° 65-947 du 10 novembre 1965) mentionnait expressément les prescriptions imposées” par l’architecte départmental des monuments historiques dans le cas visé au 2e alinéa de l’article 13 bis”. Et, subsidiairement, il pouvait être fait référence aussi, en premier lieu, à l’article 77 de la loi précitée du 31 décembre 1976 (introduisant dans le Code de l’urbanisme en matière de permis de démolir un article L 430-8 dont la référence à l’article 13 bis, 1er alinéa, supposait implicitement le maintien du 2e alinéa) et, en second lieu, à l’article 80-1 de la dite loi donnant force de loi à un article L 426-1 agrégeant les 1e et 2e alinéas de l’article 13 bis en un alinéa unique par citation, mais mentionnant bien dans la seconde phrase le visa de l’architecte des bâtiments de France.
  6. Les dispositions réglementaires se référant directement à l’architecte des bâtiments de France en secteur sauvegardé sont celles des articles R.313-4, 2e alinéa, R 313-13, R 313-14, R 313-16, R 313-17, R 313-19.2, R 313-195, R 313-20-1 dernier alinéa.
  7. Cf. Rapport N° 3323, op. cit., pp. 16-17.