Les SDAP à la recherche d’une nouvelle identité

Le SDAP de Paris, éclaté sur cinq sites, est aujourd’hui situé en plein cœur de la capitale. Son directeur, Jean-Marc Blanchecotte, offre ainsi à ses partenaires et ses interlocuteurs, l’image d’un service de l’État en accord avec sa mission de conseil et de contrôle.

Né en 1946 à Tunis, Jean-Marc Blanchecotte a reçu les beaux-arts en héritage : fils d’architecte, lointain petit-fils d’Alexandre Lenoir, cet homme à l’esprit ouvert est issu d’une lignée d’artistes et d’amoureux de l’histoire. Dès l’adolescence, il témoigne d’un goût sûr pour le dessin et les livres. Il poursuit une licence d’archéologie puis entre à l’école des Beaux-Arts, chez Vivien-Belmont.

Dans cette vie calme et programmée, mai 68 bouleverse les destins. Jean-Marc Blanchecotte échappe au mandarinat et s’interroge sur la fonction sociale de l’architecte. Cependant rien ne vient remplacer l’éthique de l’atelier et, aujourd’hui encore, il considère que le bagage reçu était bien mince pour se lancer à l’assaut d’un métier qui exige une solide structure d’esprit et une connaissance technique et culturelle rigoureuse.

De l’imagination et de la règle

Après deux années de formation dans l’agence de Jean Dubuisson, premier grand prix de Rome, à l’issue de son diplôme, Jean-Marc Blanchecotte cherche sa voie entre architecture et patrimoine et prépare le concours des architectes des bâtiments de France. À ses yeux, le pouvoir conféré par l’État lui permettra d’intervenir positivement sur un terrain encore très mouvant. En effet, dans les années 70, les atteintes au patrimoine, aux centres anciens et aux sites, sont de pratique courante. Et Les promoteurs n’hésitent pas, dans une vue à court terme, à détruire dans un souci de rentabilité. Jean-Marc Blanchecotte se prend à rêver d’un nouveau système de pensée à mettre en place. Entre temps, il est invité à travailler à l’étranger et à participer à l’instauration du service des monuments historiques au Maroc. Il retrouvera en 1994 ce travail initial lorsqu’il participera aux missions sur la politique urbaine et la protection du patrimoine architectural en Asie, au titre de l’Unesco.

La réussite au concours d’architecte des bâtiments de France, en 1976, modifie ses plans. Il suit alors les cours du centre d’études supérieures des monuments anciens à Chaillot et reçoit son diplôme en 1978. Il choisit la région parisienne et, débutant dans la profession, se passionne pour l’étude du monument dans sa relation à son environnement.

Dans les années 1980, les architectes des bâtiments de France travaillaient en partenariat avec les élus et les représentants du département. L’échelle de l’intervention favorisait un véritable travail en commun sur le terrain ; la décentralisation a permis à l’architecte des bâtiments de France de sortir de son isolement. Il peut aujourd’hui tenir un rôle plus proche des préoccupations de ses différents partenaires. Relevant de la fonction publique, il fait prendre en compte, au nom de l’État, l’intérêt du patrimoine lorsque les décideurs ont tendance à l’oublier et engage ainsi le débat.

La politique urbaine ou l’éloge de la paresse

Le temps joue pour le patrimoine et il demeure important de souligner le laps de réflexion préalable à tout choix. Les dépenses inconsidérées et la précipitation sont mauvaises conseillères : la politique en centre ancien en est la démonstration. Aujourd’hui, État, élus et habitants sont partisans d’une réflexion urbaine et après le massacre des centres villes est né le Secteur Sauvegardé en 1962, la ZPPAUP en 1983, autant d’outils communs pour des interventions sensibles, concertées et progressives.

La politique urbaine s’inscrit dans le temps et ouvre, atout majeur, sur l’opérationnel. La concertation se doit de prévaloir sur l’urgence et la précipitation. Après vingt ans d’exercice dans les Hauts-de-Seine, Jean-Marc Blanchecotte se souvient avec émotion des élus qui l’ont soutenu dans son métier, conscients de la difficulté du rôle assuré par l’architecte des bâtiments de France. La création du Fonds d’aménagement urbain (FAU) et le dégagement de crédits pour le logement ont favorisé la concertation entre l’État et les communes et permis à Jean-Marc Blanchecotte d’accompagner des actions sur le terrain.

À Issy-les-Moulineaux, la manufacture des tabacs a marqué l’ère des réhabilitations industrielles. Le respect mutuel établi entre les services de l’État et les élus a assuré le succès de l’opération. Lieu de mémoire du département et pièce urbaine majeure de l’agglomération, entre le lycée Michelet, le séminaire Saint-Sulpice et l’hôpital Corentin Celton, la manufacture était vouée à la démolition. Grâce à la persévérance de l’architecte des bâtiments de France, à l’approbation d’un maire convaincu, le bâtiment a été transformé en logements ; des cours intérieures et un restaurant ont été aménagés et, aujourd’hui, la manufacture constitue un point de rencontre et de repère dans la ville.

Rompu par son passage chez Giudicelli au projet de secteurs sauvegardés, Jean-Marc Blanchecotte n’a pas attendu l’instauration des ZPPAUP (Clamart, Neuilly) pour faire prendre des mesures de protection sur les cités-jardins, notamment à Suresnes.

Ainsi a-t-il repéré le travail d’Henri Sellier dans le département et posé la problématique de la rénovation des cités-jardins. Un concours international sur le Plessis-Robinson a été lancé en corrélation avec Joseph Belmont et l’office départemental.

Parallèlement, exerçant dans un milieu d’artistes, Jean-Marc Blanchecotte s’emploie à trouver une terre d’asile pour la Tour aux Figures de Dubuffet, suit la restauration du CNIT, sans qu’il soit nécessaire de faire protéger le bâtiment.

Aventures architecturales à Paris
L’art dans les règles coédition Picard/ Pavillon de l’Arsenal.

Parmi les avis des praticiens de la ville réunis dans cet ouvrage, J.M. Blanchecotte témoigne de l’intervention de l’architecte des bâtiments de France pour conserver l’intelligence du patrimoine et favoriser la créativité qui, à ses yeux, est une prise de risques : «  Si on se confine dans une architecture trop prudente, on ne pourra pas se tromper mais Paris aura perdu sa vocation de ville du patrimoine créateur… Il faut laisser le temps à l’architecture d’auteur de courir sa chance. »

Création et consensus

Dans l’exercice de ses fonctions, Jean-Marc Blanchecotte a ressenti la nécessité de bénéficier d’une cellule d’échanges et de réflexions pour renforcer l’homogénéité du corps des architectes des bâtiments de France et de développer des thèmes servant l’intérêt des services. Pour lui, il était primordial d’expliquer le fondement des avis et, par la discussion, d’arriver à déterminer Le plus pertinent. Fort de cette conviction, il a créé l’association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF), appréciée pour ses fonctions de rassemblement et de débats, et soutenue, dès l’origine, par le ministère de la Culture.

Avec Serge Colas, il crée La Pierre d’Angle et lui donne son ton et son orientation. C’était une époque d’effervescence propice à la création où les architectes des bâtiments de France se démarquaient d’univers technocratique et gardaient foi en leur avenir. L’exercice libéral était une des composantes de leur métier et répondait d’ailleurs à une lacune et à un réel besoin des collectivités locales. La maîtrise d’œuvre dans le département d’exercice a été remise en cause, il y a deux ans, pour les architectes des bâtiments de France. Cette mesure ne manque pas de poser des problèmes de compétence en ce qui concerne les édifices isolés des départements peu recherchés par les architectes libéraux.

Du terrain au papier

L’osmose, qui s’instaure entre l’architecte des bâtiments de France, le département et la fonction, a conduit Jean-Marc Blanchecotte à mener, à titre privé, de nombreux chantiers dont les plus marquants restent l’église Saint-Nicolas de Ville d’Avray et le domaine de Chateaubriand à La vallée aux Loups. Le projet en l’occurence s’est étendu aux jardins, terre de prédilection de l’écrivain. Cette réalisation (1985-1995) allie lecture du passé et créativité, avant même que les termes mémoire et projet n’acquièrent leur notoriété actuelle. Dans le respect de l’imaginaire du lieu, il s’agissait d’adapter à de nouvelles fonctions la demeure du mémorialiste et romancier, de reconsidérer un édifice et son environnement pour l’adapter à un mode de loisirs en pleine mutation. La réussite ne s’est pas démentie.

Chef du Service départemental de l’architecture des Hauts-de-Seine depuis 1976, Jean-Marc Blanchecotte fut invité en 1993 à effectuer sa mobilité. Joseph Belmont lui propose alors de rejoindre le Conseil général des Ponts et Chaussées. Affecté au collège “Espaces protégés et Architecture”, il assure l’inspection à Paris et en Île-de-France, puis le Nord et l’Est. Ses missions territoriales consistent à résoudre les affaires conflictuelles et à instruire les propositions de classement, notamment : l’aménagement de l’hôpital Laennec à Paris, un projet de lieu de culte au mont Saint-Odile, la gestion du site classé de Val Suzon en Bourgogne, le classement de la vallée de l’Orvanne en Seine-et-Marne… L’intérêt principal du poste tient à l’avis de synthèse émis par l’Inspection. À ce niveau comme auparavant à la tête du SDAP, Jean-Marc Blanchecotte engage sa responsabilité auprès des ministères de l’Équipement, de la Culture et de l’Environnement. Son expertise croise ses domaines de prédilection et porte sur l’architecture prise dans son contexte. Sa pensée s’affermit dans des réflexions transversales et thématiques menées au sein du Conseil. Sous sa direction, est publié le guide Repères déontologiques : l’ouvrage définit les principes fondamentaux d’une conduite d’opération de construction publique.

À la tête du SDAP de Paris depuis 1999, Jean-Marc Blanchecotte a contribué au regroupement, au centre de la capitale, des architectes des bâtiments de France dispersés dans des locaux de fortune. Le service entièrement réorganisé, après un séminaire de deux jours rassemblant l’ensemble du personnel, a opéré une véritable révolution intellectuelle et un total décloisonnement. Une réunion hebdomadaire réunit les dix architectes pour dégager une démarche commune, dans un esprit d’harmonisation et selon un consensus de collégialité. Cette méthode de travail a changé les rapports avec la Ville, renforcé l’image et l’autorité du SDAP.

Aujourd’hui comme hier, se retrouve, chez ce chef d’entreprise publique, la volonté d’introduire les débats, de dégager une réflexion commune et d’aller de l’avant. Une belle promesse d’avenir !

Véra PROSZYNSKA
Journaliste