Retour sur un séminaire thématique sur le patrimoine et le tourisme mettant en avant les approches intégrées et les “bonnes pratiques” portées par la France et la Chine

Le village de Jiapeng, pays de Wannan, au sud de l'Anhui. © Zhao Jie.
Le village de Jiapeng, pays de Wannan, au sud de l’Anhui. © Zhao Jie.

Le 24 février 2021, à l’invitation de Minja Yang, présidente et professeure émérite du Centre Raymond Lemaire à Louvain, l’Observatoire de l’architecture de la Chine contemporaine, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, a organisé le webinaire intitulé “Tourisme, patrimoine et approches intégrées” avec ses partenaires à l’Université Tongji à Shanghai et à l’Université de Tianjin, ainsi qu’avec l’association des Petites Cités de Caractère et avec l’appui de l’INALCO. Il fait partie d’un ensemble de vingt-six séminaires sur le tourisme mis en place par OurWorldHeritage en février 2021.

Cet article reprend les interventions de SHAO Yong, professeur à l’université Tongji et vice-présidente du Comité scientifique de l’Icomos sur l’architecture vernaculaire ; HU Lian, professeur associé à l’université de Tianjin ; ZHANG Chunyan, professeur, à l’université de Tianjin et de ZHOU Jian.

OurWorldHeritage est une plateforme internationale qui encourage la protection du patrimoine, avec la conviction que la Convention du patrimoine mondial doit s’adapter à un monde multidimensionnel et multiculturel, en protégeant un patrimoine qui reflète la diversité des sociétés et de leurs besoins, en respectant pleinement les droits de l’homme et en adoptant les technologies modernes pour favoriser la transparence et la participation.

Le webinaire a regroupé six intervenants pour partager leurs expériences sur une approche intégrée et territoriale de la protection du patrimoine et du tourisme culturel en Chine et en France. De l’université Tongji à Shanghai, les urbanistes et praticiens ZHOU Jian et SHAO Yong, de l’Université de Tianjin, ZHANG Chunyan paysagiste et HU Lian économiste, ainsi qu’Alain Marinos et Roger Bataille respectivement délégué national et vice-président de l’association des Petites Cités de Caractère de France (PCC).

Shao Yong a présenté trois études de cas : Pingyao, la région du Wannan (le sud-est de la province de l’Anhui) et les routes postales de l’ancien royaume de Nanyue (fondé en 204 avant J.C., il comprenait les actuelles provinces du Guangdong, du Guangxi et du Yunnan), avec une attention spécifique portée au développement durable, aux ressources naturelles et culturelles dans des sites à forte valeur patrimoniale. Elle développe une approche intégrée de la planification, pluridisciplinaire et à différentes échelles spatiales, de l’espace bâti, au grand paysage et au territoire.

Approche exploratoire à Pingyao, ville du Patrimoine mondial de l’Unesco

La ville de Pingyao, classée pour son patrimoine et son habitat, est caractérisée par des “valeurs universelles exceptionnelles” et porteuse de valeurs locales aux multiples facettes. Séparer les éléments matériels du patrimoine de son environnement social et économique, des résidents qui le créent, le possèdent et l’utilisent est impensable pour Shao Yong. © Françoise Ged.
Les artisans locaux ont progressivement élargi leurs horizons grâce aux échanges internationaux, aux incitations à l’innovation ; ces dispositions ont permis de créer des emplois pour les jeunes revenus habiter dans leur ville natale.

Pour protéger le patrimoine culturel et améliorer les conditions de vie des habitants, trois stratégies ont été mises en œuvre, visant la protection, l’habitabilité et le développement économique des services et des industries créatives. Toutefois, la plupart des sites patrimoniaux dont le tourisme est la seule ressource, font face à une grave crise économique dès que le tourisme est touché comme l’a révélé la pandémie. Pingyao avait déjà développé de nouvelles industries culturelles, avec le Festival international de la photographie et le Festival international du film, installés dans l’ancienne usine de moteurs diesel désaffectée qui apportent une vitalité et renforce l’équilibre économique pendant la basse saison touristique.

Un aménagement du territoire et un développement du tourisme basés sur le patrimoine naturel et culturel

En Chine, le système actuel de protection du patrimoine naturel et culturel remarquable présente de multiples limites : le mode de protection selon un classement par “points” laisse une grande partie du patrimoine rural ordinaire en dehors du système de protection et isole le patrimoine remarquable de son attache culturelle profonde. De plus, le dissociant du développement local, cela entraîne une homogénéisation des sites et des concurrences néfastes entre sites pour attirer les touristes.

Pour élaborer le plan de gestion sur la protection du patrimoine du sud de l’Anhui, un cadre régional explorant l’environnement naturel et l’évolution culturelle du territoire a été construit comme un écosystème global. Le plan comprend trois niveaux associés, que l’on peut présenter ainsi : des points, des lignes de connexion, des parcelles agglomérées. Les “points” renvoient aux ressources historiques ponctuelles telles que les villes, les villages, les quartiers et les bâtiments ; les “lignes” renvoient aux itinéraires culturels tels que les rivières et les cours d’eau ou les anciennes routes postales ; et les “parcelles” renvoient à la topographie, la géomorphologie et à la base de la culture régionale.

Ainsi, le pays de Wannan, au sud de l’Anhui, doit évoluer d’un mode de développement favorisant la concurrence et les monopoles locaux, pour s’orienter vers une gestion territoriale différentiée, tournée vers le partage et l’usage coopératif des ressources culturelles et naturelles. Le modèle actuel de gestion sectoriel, avec des frontières inter-administrations, devrait être rompu, pour mettre en place un système de protection à long terme, basé sur la transversalité des institutions, ayant pour fondement des ensembles culturels.

L’exploration des anciennes routes postales au sud du Guangdong (l’ancien royaume de Nanyue) constitue une opportunité précieuse pour développer une approche intégrée sur la protection et l’usage des ressources naturelles et culturelles, avec une perspective régionale, dans le but de proposer un chemin viable pour un développement éco-responsable des territoires urbains et ruraux
Le développement du tourisme culturel est à même de constituer un modèle pour les activités de loisirs en prenant appui sur ces anciennes routes, sur les villages, sur les ressources naturelles et culturelles qu’ils recèlent. Il apporte l’exemple d’un tourisme de proximité dont les citadins sont devenus avides depuis la pandémie.

Jusqu’en 1913, les anciennes routes postales du royaume de Nanyue, utilisées pour transmettre des documents, pour le transport des matériaux et des personnes étaient des voies importantes pour les échanges économiques et culturels. Traversant différents territoires géographiques, les paysages naturels qu’elles donnaient à voir étaient diversifiés. Tout au long de ces axes de circulation, une multiplicité de villages s’est formée avec leurs propres cultures et produits, révélateurs des échanges et des métissages. Dans des contextes géographiques différents, ces établissements humains présentent des caractéristiques diversifiées et constituent des exemples remarquables de sites patrimoniaux, d’habitats populaires.

La dislocation entre modes de transport modernes et traditionnels, à laquelle les anciennes routes postales de Nanyue ont été confrontées, a provoqué l’appauvrissement des villages et des villes situés le long de ces axes et la disparition d’un grand nombre d’architectures vernaculaires et de patrimoines immatériels. Depuis 2016, la province du Guangdong mène un programme de protection et de revitalisation des “anciennes routes postales de Nanyue”. Elle a déjà restauré plus de mille kilomètres d’anciens tracés et établi un cadre de protection intégrant « le substrat naturel, la trame des voies, les carrefours culturels et les ressources du patrimoine immatériel ». Peu à peu, les autorités provinciales explorent un mode de développement holistique intégrant la protection du patrimoine, le développement du tourisme, la revitalisation des territoires ruraux et l’héritage culturel.

Tout d’abord, il s’agit d’adopter une approche diversifiée en terme de revitalisation, à même de combiner la protection et le développement des routes anciennes, intégrant par exemple la pratique du sport, la culture, l’éducation, l’agriculture dans les hameaux et les villages ; il s’agit aussi de promouvoir un développement régional global de l’économie, de la société et de la culture en faisant appel aux ressources culturelles et naturelles. Ensuite, il s’agit d’apporter un appui ciblé et concret aux villages pauvres en les intégrant dans des itinéraires culturels. 

Hu Lian et Zhang Chunyan, professeurs à l’université de Tianjin, ont présenté deux études de cas, portant sur le village de Xijingyu dans la municipalité de Tianjin et sur le quartier de Wudadao (ou des Cinq avenues) dans la ville historique, en analysant comment le tourisme peut contribuer à façonner les politiques locales.

Localisation du village de Xijingyu et du quartier Wudadao ou des Cinq avenues, dans la municipalité de Tianjin

Xijingyu 西井峪

Xijingyu, village traditionnel en pierre sèche construit sous la dynastie Qing (1644-1911), est un exemple remarquable d’utilisation des ressources locales. Le bâti est bien conservé, le dialecte et les coutumes locales sont restés vivants. Le théâtre d’ombres avec ses marionnettes en cuir travaillé ou le tissage, ont une portée large, qu’il s’agisse d’études académique, historique ou artistique. En 2010, il devient un “village historique et culturel”, un label décerné conjointement par le ministère du Logement et du Développement urbain et rural et par l’Administration nationale du patrimoine. © TIAN Tian.

Ces dernières années, la valeur du patrimoine culturel de Xijingyu a retenu l’attention du gouvernement local et une série de mesures de protection a été appliquée, par voie hiérarchique de la province au village. Mais le résultat n’a pas répondu aux attentes et aux problèmes tels que l’exode des habitants, la faible productivité, la concurrence entre villages voisins, l’homogénéisation des constructions neuves et le faible soutien des villageois. En 2010, le gouvernement local proposait aux villageois de louer des maisons à cour restées vides, mais leur incapacité à investir ne leur permettait pas d’y répondre. En 2014, le gouvernement local a alors signé un contrat avec une société de tourisme pour mener un développement conjoint de Xijingyu. Mais, d’une part, l’apport de capitaux extérieurs ne profitait pas aux villageois et ne répondait pas à leurs attentes et, d’autre part, les motivations de ces derniers restaient faibles face aux initiatives du gouvernement local orientées vers le profit de la société de tourisme plus que vers le bien-être des habitants. Au final, le tourisme n’a pas décollé non plus.

En 2015, le gouvernement local a changé son propos et ajusté sa politique, en se concentrant sur un plan d’action mené avec la population, afin de définir une planification d’ensemble pour le village. Les infrastructures ont été améliorées, des toilettes publiques construites, un centre d’activités pour les villageois et les touristes édifié sur la place centrale. Le processus administratif a été simplifié pour les villageois construisant leur maison et des événements culturels ont été organisés pour sensibiliser les habitants à la valeur du village.

De telles transformations sont bien accueillies, le village est devenu une destination prisée par les touristes d’âge moyen venant en week-end. En trois ans, le nombre annuel de touristes est passé de trente mille à cent quatre-vingt mille (multiplié par six) et le revenu moyen des villageois a augmenté de vingt-cinq mille à cent quatre-vingt-quinze mille (multiplié par près de huit). Xijingyu a considérablement gagné en valeur historique, culturelle et économique. L’ensemble du village a été revitalisé et redéveloppé et les jeunes choisissent de revenir au village pour créer des entreprises ou chercher un emploi.

À Tianjin, le quartier des Cinq avenues 五大道

Cinq avenues est un quartier historique et culturel réputé de Tianjin, qui fait face à des problèmes similaires.

Tianjin, située à une centaine de kilomètres de Pékin, est devenue une ville ouverte aux Occidentaux en 1860, suite à la seconde guerre de l’Opium. Neuf pays se sont installés dans des concessions qui longent le fleuve Hai, une superficie totale de mille cinq cent cinquante-sept hectares. © Entreprise de restauration et développement des architectures historiques de Tianjin.

En 2000, la société Tianjin Historic Landscape Architectural Renovation Company Limited (THARD) participe à la restauration, à la protection et au développement du quartier principalement composé d’habitations et de services où les visiteurs ne venaient guère. En 2014, alors que le tourisme s’intensifie, la valeur historique et culturelle du quartier des Cinq avenues n’est pourtant guère prise en compte. Plusieurs raisons y concourent : des financements pour le tourisme isolés, des thématiques confuses pour les visiteurs et des mesures pour le tourisme peu professionnelles. La projection d’un documentaire sur CCTV qui a été visionné de multiples fois a changé la donne, avec le relais populaire des plateformes telles que WeChat, Tudou, Youku où chacun présentait la beauté de son environnement. Cela a déclenché un véritable intérêt pour Wudado. Mais les problèmes étaient pluriels : une image encore déficiente auprès des touristes, un manque de lieux où séjourner, s’arrêter, une accessibilité réduite et une majorité d’édifices publics fermés à la visite, enfin, l’absence d’un réel travail sur les mémoires à même de créer une image spécifique du quartier.

Une approche gouvernementale a d’abord été instaurée, avec plusieurs programmes menés par THARD, sur l’ancienne résidence du prince Qing, oncle du dernier empereur, construit en 1922 et transformé en hôtel de luxe en 2011. Un petit ensemble de maisons à cours, ancien lotissement des années 1920, Xiannong courtyard, a été restauré, dans lequel cafés et petits commerces ont ouvert en rez-de chaussée, contribuant à l’animation des lieux. THARD a mis en avant les caractéristiques architecturales occidentales des édifices et présenté Wudadao comme une destination propice à la détente et aux loisirs. Le stade Minyuan a été restauré en permettant aux habitants d’avoir un vaste espace dédié au sport, à des équipements commerciaux et culturel, dont un petit musée. Des initiatives privées se sont greffées à cet effort de mise en valeur des lieux, en réaction aux destructions alors nombreuses. Ainsi, de jeunes diplômés de l’Université de Tianjin ont restauré des habitations anciennes, cherchant ainsi à préserver la mémoire de la ville, tout en offrant une résidence originale aux visiteurs.

En conclusion, quelques remarques et propositions, si la voie hiérarchique, “top-down”, permet d’atteindre des objectifs rapidement, de présenter une image unifiée et des retours sur investissements calculés, elle manque de flexibilité face aux changements rapides de l’économie et de la société. Les projets portés par les habitants, directement orientés vers le marché, s’avèrent propices à l’amélioration de la vitalité du quartier, mais ont aussi tendance à générer des situations difficiles à contrôler, avec des projets dont la rentabilité peut être hasardeuse. Une meilleure synergie entre le tourisme et la protection du patrimoine, nécessiterait une gouvernance associant en amont les habitants et les politiques à mener au niveau local et municipal.