Édito - Quel souvenir gardons-nous de la ville de la fin du XIXe siècle ?

Changement d’usage et transformation, place des Terreaux à Lyon. © Ph. C
Changement d’usage et transformation, place des Terreaux à Lyon. © Ph. C

La seconde moitié du XIXe siècle est un moment particulièrement prospère pour l’architecture et l’urbanisme. Durant cette période, l’essor économique a eu entre autre comme conséquence, l’agrandissement des villes et leur embellissement. Un nombre considérable de projets d’aménagements urbains ou paysagers, ainsi qu’une très grande quantité de bâtiments publics et édilitaires virent le jour à la gloire du monarchisme finissant ou de la république naissante.

Ainsi, chaque préfecture ou sous-préfecture s’est équipée des hôtels de préfecture, mairies, tribunaux, banques, théâtres et autres bâtiments publics repérables au premier coup d’œil. Ces équipements ont souvent été réalisés avec des aménagements urbains tels que des places, avenues, boulevards, fontaines, jardins publics… bref, tout le vocabulaire urbain qui structure encore la majorité de nos paysages urbains et qui ont transformé leur physionomie.

Ils furent produits en de telles quantités, qu’inévitablement ils devinrent répétitifs faute de temps, d’imagination suffisante ou encore parce que la puissance de l’académisme a dominé la commande freinant ainsi la production de modèles plus originaux. Malgré de nombreuses transformations et remplacements durant le XXe siècle, la quantité de vestiges subsistants banalise encore les paysages urbains de cette époque au point que ce patrimoine, encore omniprésent dans notre environnement quotidien, passe très souvent inaperçu.

Aux destructions causées par les conflits mondiaux, les rénovations urbaines drastiques ou les aménagements routiers se sont rajoutées plus récemment, celles des changements d’usages et de l’évolution des normes qui a fait notamment disparaître une bonne partie du mobilier urbain qui accompagnait ces projets. Cependant, avec plus de recul par rapport à l’époque, une conception du patrimoine qui s’est élargie et une approche plus « économe » du développement et de l’aménagement, l’intérêt porté aux empreintes et aux traces de cette époque a augmenté et de nombreux projets urbains ou architecturaux prennent maintenant largement en compte les configurations ou les constructions les plus importantes de cette période.

Esprit des lieux préservé à Nîmes lors de la requalification de l’avenue Jean-Jaurès. © Ph. C.

On peut observer que les interventions sur ces vestiges présentent une gradation importante dans la façon de considérer l’existant, allant de la restauration stricte au palimpseste le plus total. La question du changement d’usage est centrale dans les choix opérés car il transforme beaucoup. Ainsi, quel regard faut-il porter sur la restructuration de la place de la République qui en a fait un lieu populaire et symbolique, au prix de la disparition d’un archétype qui reproduisait le principe de la place Navone de Rome ? Le résultat est le même, à Lyon, place des Terreaux où le déplacement de la statue de Bartholdi du centre vers le bord a escamoté la composition d’origine. À Nîmes, par contre le réaménagement de l’avenue Jean-Jaurès, magnifique perspective du XIXe perpétuant la tradition d’un urbanisme classique a conservé l’esprit d’origine tout en le modernisant. À Rodez, il est intéressant d’examiner de quelle façon la perspective de l’avenue Victor-Hugo, aménagée au XIXe siècle entre la cathédrale et l’ancienne caserne Foch a été complètement transformée par touches successives. Ainsi, à une extrémité, la place d’Armes, au pied de la façade fortifiée de la cathédrale, a été dépouillée de sa statue, replacée dans le jardin public il y une trentaine d’années. Puis, plus récemment, la caserne a disparu et le musée Soulages est venu occupé le vide du champ de foire où un demi-siècle auparavant avait lieu le marché aux bestiaux. Cette nouvelle organisation de l’espace correspond mieux aux usages d’aujourd’hui mais elle est moins bien composée et a gommé le séquençage et sa symbolique.

Dans le cadre de ces aménagements, il est aussi une manie bien ancrée chez nos édiles de vouloir supprimer les grilles de clôture ou de fermeture. Les ABF et les conservations régionales arrivent généralement à convaincre de les maintenir, mais pas toujours. Il s’en est fallu de peu qu’elles disparaissent autour de la cathédrale de Bordeaux, autour de la statue de la Loi, place du Palais-Bourbon à Paris ou encore devant le musée d’Amiens. Autour de la Basilique Saint-Sernin à Toulouse, elles ne seront finalement que déplacées… Dans chacun de ces exemples les grilles ont pourtant un rôle spatial et symbolique important.

Bien évidemment, le propos n’est pas de verser dans le conservatisme systématique. La plupart de ces espaces doivent évoluer mais gardons tout de même un peu de l’esprit des lieux et de l’époque ce qui, sauf exception, est toujours possible si l’on s’en donne la peine.

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