Melle-en-Poitou

Bibl. : P. POUVREAU, Melle, Deux-Sèvres, Poitiers : C.P.P.P.C., 1993, 64 pages, 192 illustrations. 130 F.

L’étude

Avant de laisser la parole aux personnes qui ont travaillé sur Melle, je voudrais dire rapidement quelques mots. Rapidement. parce que, d’une part, nous avons déjà rédigé moult rapports et comptes rendus qui ont été largement diffusés sur cette expérience -qui s’apparente un peu pour nous à de l’histoire ancienne, puisqu’elle s’est déroulée durant les années 90-91-92. D’autre part, ceux qui souhaitent en savoir plus sur Melle ont tout le loisir de prendre connaissance des panneaux qui, tout autour de cette salle, racontent comment le patrimoine monumental de cette ville a été étudié dans le cadre d’une étroite collaboration entre notre service et l’atelier Wagon. Et enfin, bon nombre d’entre vous nous accompagneront à Melle demain et il sera alors beaucoup plus intéressant de parler du patrimoine architectural et urbain de Melle sur le terrain que de le faire ici.

Je voudrais donc juste rappeler les circonstances dans lesquelles l’inventaire a été associé à la définition d’une zone de protection du patrimoine architectural et urbain et les modalités de son intervention. Monique Chatenet a opportunément rappelé tout à l’heure que nous ne disposions pas de budgets importants et que le problème d’un conservateur régional qui est censé venir à bout annuellement d’un programme, est toujours de trouver des moyens supplémentaires susceptibles de lui permettre d’en faire plus avec des moyens venus d’ailleurs. Cela a été mon cas voici cinq ou six ans.

Nous avions inscrit le Mellois à notre programme et, lorsque j’ai appris qu’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager allait être créée à Melle, l’idée m’est venue de proposer nos services pour cette inavouable raison que j’y voyais l’occasion de bénéficier de moyens supplémentaires. Le directeur régional des affaires culturelles de l’époque a soutenu ma proposilion, mais -oserais-je dire par bonheur ?- celle-ci n’a pas élé agréée et il m’a fallu aller chercher de l’argent ailleurs. À la même époque et pour la première fois, une certaine somme d’argent avait été mise à la disposition de l’Inventaire pour lui permettre de passer des conventions avec des collectivités locales. Mes collègues ne se précipitant pas sur cette manne, je n’ai pas eu grand mal à obtenir une somme assez modeste (deux fois cent mille francs) qui m’a toutefois ouvert la possibililé de négocier une convention avec la municipalité de Melle. Celle-ci étant persuadée de l’intérêt de mener de front un recensement de son patrimoine par l’Inventaire et le lancement d’une étude destinée à définir une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, convention a été passée entre elle et l’État, chacun des deux partenaires finançant 50 % de l’opération d’inventaire.

La convention a été signée en juin 90 et l’opération d’inventaire a commencé dès novembre 90. Elle était terminée en décembre 92, c’est-à-dire que, pour employer le jargon de notre service, l’archivage complet des dossiers établis sur les cent quarante édifices et les soixante-quatorze objets recensés dans la commune de Melle était achevé. Le microfichage de ces dossiers a été effectué en janvier 1993 et en mai 93, Jean-Marie Vincent pouvait venir inaugurer l’exposition qui accompagnait la sortie d’un ouvrage de la collection Images du patrimoine sur Melle.

J’ajouterai que la convention stipulait que la population -et en particulier la population scolaire- participerait à cette opération de recensement du patrimoine de la commune. Je pense que cela a été une chose importante, y compris pour Mme Wagon. En effet, Pascale Pouvreau et Gérard Lachaud, le responsable de notre service éducatif, ont mené une action de sensibilisation auprès d’une dizaine de classes de plusieurs écoles primaires, du collège et du lycée agricole, qui a permis à la fois de reccueillir des informations fournies par les élèves, sur leurs demeures et d’associer la population aux investigations poursuivies par les deux enquêteurs : Mme Wagon d’une part et Pascale Pouvreau de l’autre.

Je tirerai trois conclusions de cette expérience. La première est qu’une opération du type de celle que nous avons menée sur Melle est possible et même bénéfique à la seule condition de bien mesurer au départ les moyens qui seront nécessaires pour la conduire à bon terme.

Et je crois que si l’on n’est pas sûr d’obtenir les moyens permettant au moins de recruter un chargé d’études capable d’assumer seul son travail, sans obérer celui des membres du service qui poursuivent leurs enquêtes sur les terrains inscrits au programme, il est prudent de bien peser le pour et le contre avant de se lancer dans cette aventure.

Deuxième conclusion : je crois, comme Mme Wagon, qu’il faut que l’Inventaire démarre son enquête très en amont de l’étude de ZPPAUP. afin que son travail soit suffisamment avancé quand l’architecte chargé de la ZPPAUP commence lui-même la sienne ; il est bon que l’Inventaire ait alors déjà tiré les premières conclusions de ses investigations et qu’il puisse les soumettre à la réflexion de l’architecte.

Et puis, troisièmement, je crois que nous sommes tous les trois d’accord, Mme Wagon, Pascale Pouvreau et moi-même, sur ce fait que chacun doit demeurer dans son champ de compétence. Vous connaissez le vieux dicton « À chacun son métier, les vaches seront bien gardées ». Je crois que ce qui importe avant tout c’est que l’Inventaire recense selon ses méthodes, que l’architecte procède à son enquête selon les siennes et que tous deux confrontent sans cesse leurs points de vue qui ne peuvent que s’enrichir l’un l’autre s’ils demeurent différents.

C’est plutôt du dialogue entre les deux enquêteurs, les deux chargés d’études, que naissent les bonnes idées, je crois, plutôt que d’un douteux mélange des genres. C’est pour cette raison que je vous ai dit tout à l’heure que j’étais finalement tout à fait heureux que l’on ne nous ait point directement confié l’étude de la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager de Melle.

Je laisse maintenant la parole à celles qui ont accompli le travail.

Le site

L‘excursion du 25 mars a d’abord conduit ses participants à Melle, dont la visite, commentée par Pascale Pouvreau, a commencé par la découverte de l’église Saint-Savinien. édifiée en deux campagnes entre 1050 et 1150. Sa transformation en prison, entre 1801 et 1927, en avait considérablement altéré l’aspect original, qu’une habile restauration des années 1970 a en bonne partie restitué. L’édifice abrite aujourd’hui des manifestations culturelles. La partie la plus ancienne est la nef, constituée d’un vaisseau unique de cinq travées -la première plus courte que les autres- coiffée d’une simple charpente et précédée à l’ouest d’un portail rythmé par quatre hauts contreforts. La porte d’entrée, couverte d’un linteau en bâtière -disposition exceptionnelle en Poitou- est abritée sous un arc en plein cintre flanqué de deux étroites arcades aveugles. Ce linteau est orné d’un Christ en majesté inscrit dans un médaillon que portent deux lionnes. La corniche courant sous la fenêtre est ornée de curieuses métopes sur lesquelles on reconnaît un cavalier portant heaume, écu et lance, divers quadrupèdes, un poisson, un homme nu, deux personnages pourvus l’un d’une jambe de bois et l’autre d’un énorme maillet, un couple forniquant. Plus récents sont le transept et le choeur. Chaque bras du premier est couvert d’une voûte en berceau et était pourvu à l’est d’une absidiole (détruite au sud) ; au carré, couvert d’une coupole octogonale que surmonte un clocher reconstruit en partie en 1466, subsistent de très beaux chapiteaux sur lesquels ont été figurés, entre autres, Samson (ou David ?) et le lion et le martyre de saint Savinien. Les inscriptions accompagnant ces scènes permettent de dater ce décor des environs de 1100. À l’extrémité sud du transept a été disposée une porte surmontée d’une corniche dont le soffite est orné de superbes rinceaux. L’abside en hémicycle et la travée droite qui la précède sont éclairées par cinq fenêtres.

D’étroites ruelles bordées de murs en pierres sèches devaient nous conduire ensuite dans les jardins de l’hôpital, dont le maire de Melle, M. Jean Bellol, expliqua l’aménagement, puis devant une porte l’hôpital contre laquelle furent plaqués vers 1860 des vestiges du jubé de Puyberland, couvent fondé vers 1650 dans la commune limitrophe de Saint-Génard, superbe morceau de sculpture décorative des années 1660. Après avoir longé le front ouest de l’enceinte médiévale de la petite cité, dont subsistent quelques tours, nous empruntions la Grand-Rue pour jeter un coup d’œil à l’hôtel de Ménoc, construction de la seconde moitié du XVe siècle, que l’architecte Segrétain aménégea en tribunal du meilleur style néo-gothique dans les années 1840, avant que vingt ans plus tard, Pierre Murisson ne l’augmente côté ouest d’un corps de bâtiment en rez-de-chaussée.

Nous attendait ensuite, tout au nord de vieille ville, l’église Saint-Pierre, édifiée le premier quart du XIIe siècle. D’un plan classique -nef à trois vaisseaux de cinq travées couverts de berceaux brisés sur doubleaux, transept (légèrement désaxé vers le nord-ouest) voûté en berceau plein cintre sur lequel sont greffés le chœur en hémicycle et deux absidioles- celle-ci s’élève au fond d’une petite place ombragée, aménagée à l’emplacement de son ancien cimetière. Son ordonnance rigoureuse est valorisée par un abondant décor. Les chapiteaux de la nef sont tantôt garnis de motifs végétaux plus ou moins réalistes ou, au contraire, stylisés, tantôt peuplés d’oiseaux, de quadrupèdes ou de monstres, tantôt ornés de scènes profanes (tireur d’épine) ou religieuses (ange tenant un phylactère, scène d’ensevelissement). Le portail principal, au sud, dont la voussure et les chapiteaux sur lesquels elle retombe ont été radicalement restaurés au XIXe siècle, a conservé une intéressante corniche dont les modillons sont ornés des symboles des évangélistes, et les métopes, de centaures et d’animaux divers, parmi lesquels des poissons ; au-dessus, un arc aveugle abrite un Christ assis entre deux saints debout, dans lesquels on hésite à reconnaître la Vierge et saint Jean ou les saints Pierre et Paul. Les chapiteaux et voussures des onze fenêtres du chevet -cinq pour l’abside principale et trois pour chacune des absidioles- ont reçu un somptueux décor végétal et géométrique.

La visite de Melle s’achevait par une présentation de l’église Saint-Hilaire, dont la première mention date de 1080. En partie ruinée en 1679, restaurée puis abandonnée au cours du XVIIIe siècle, cette priorale fut totalement reprise à partir de 1840 par Segrélain, auquel Mérimée accordait toute sa confiance. Les élévations extérieures ont visiblement subi une restauration aussi poussée que dans l’ensemble réussie. Le plan est comparable à celui de Saint-Pierre, si ce n’est que la nef compte une travée de plus et que le chœur n’est pas constitué cette fois d’une simple abside, mais d’un sanctuaire à déambulatoire sur lequel ouvrent trois chapelles rayonnantes. Curieusement, l’organisation interne des murs gouttereaux de la nef est différente au nord et au sud : au nord, les piles adossées au mur se composent de trois colonnes, les externes recevant les arcs épousant la courbure du couvrement des fenêtres et la médiane portant un doubleau ou s’achevant par un amortissement conique ; au sud, les piles sont géminées. La façade occidentale, quadrillée par quatre faisceaux de colonnes et deux corniches, se compose d’un rez-de-chaussée percé d’une porte flanquée de deux grands arcs aveugles, d’un étage dans lequel s’ouvrent trois fenêtres -la médiane plus haute que les deux autres- et d’un fronton accosté de deux clochetons. Au nord, à hauteur de la quatrième travée, un portail, fortement restauré en 1872 puis en 1906, se compose d’une porte dont la voussure est ornée de nombreuses figures représentant Vertus et Vices, ainsi que, semble-t-il, travaux des mois et signes du zodiaque. Un autre portail s’ouvre également dans la quatrième travée, mais au sud cette fois, qui devait donner accès à des bâtiments conventuels, ce qui explique que l’essentiel de son décor ait été disposé à sa face interne, c’est-à-dire dans le collatéral sud ; son unique rouleau est orné d’un Christ assis entouré de trente personnages nimbés (sauf un qui tient une crosse mais n’est pas coiffé d’une mitre) et brandissant un livre, à l’exception de quatre d’entre eux qui tiennent l’un, un diptyque (les Tables de la Loi de Moïse ?), un autre, un linge (Joseph d’Arimathie ?). et les deux derniers, des clefs (saint Pierre) et un phylactère (un prophète ?). Le décor des innombrables chapiteaux que compte l’édifice est particulièrement remarquable. Aux piles de la nef sont représentées en fort relief, dans un style quelque peu naïf, plusieurs scènes mouvementées : centaure archer visant un cerf, combats de monstres, chasse au sanglier, etc. Dans le chœur se côtoient des chapiteaux romans -l’un d’eux porte l’inscription FACERE ME AIMERICVS ROGAVIT : Aimeri a demandé que l’on me fasse -et des chapiteaux refaits en 1856 parmi lesquels deux ont été signés par leur auteur, Antoine Tribert, que Mérimée fit complimenter pour la qualilé de son ouvrage. D’une facture infiniment plus élaborée sont les chapiteaux des fenêtres de l’élévation intérieure sud et surtout de l’élévation extérieure nord que leur qualité exceptionnelle incite à rapprocher des meilleures productions Saintongeaises : s’y déploient un goût immodéré du monstrueux, mais aussi une incroyable richesse d’invention et une rare délicatesse d’exécution.

Cette longue promenade dans Melle était émaillée de commentaires de Pascale Pouvreau sur les diffétents types de maisons qu’elle avait rencontrés au cours de son enquête : grandes demeures bourgeoises implantées au milieu d’un vaste jardin, aux façades ordonnancées à un ou deux étages, dont le vestibule central commande les pièces du rez-de-chaussée, ainsi que l’escalier menant aux étages : maisons plus modestes du centre ville, aux façades étroites, mais aux percemcents souvent réguliers, dont la porte latérale donne accès, via un couloir, aux pièces du rez-de-chaussée : petites unités d’habitation des faubourgs, dont la porte décalée sur le côté donne accès à l’unique pièce d’habitation et laisse place, dans l’angle, à un évier éclairé par une petite ouverture ouvrant du côté de la rue un modeste escalier où une échelle permettant de monter au comble à surcroît servant de grenier ou, éventuellement, de chambre.

Yves-Jean Riou
Conservateur Général, chargé de l’Inventaire général en région Poitou Charentes.

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