Aménagement de la presqu’île de Caen

Le projet pour la Bibliothèque-médiathèque à vocation régionale (BMVR) d’OMA (Rem Koolhaas), récent lauréat du concours organisé par la Communauté d’agglomération Caen-la-Mer, marque une nouvelle étape dans la reconquête de la presqu’île de Caen.

Maitrise d’ouvrage : Communauté d’agglomération Caen-la-Mer, présidée par Philippe Duron (projet fondateur de priorité 4, objectif stratégique n° 10)
Maître d’œuvre : cabinet OMA, directeur de projet Clément Blanchet, architecte associé.
Entreprises associées : IOSIS Centre Ouest (ingénierie), IOSIS Concept-ELIiOTH (développement durable), DHV (acoustique) et Ducks (scénographie)
Coût : 51,141 millions d’euros TTC, hors foncier et hors informatisation
Chantier prévu : second semestre 2012
Ouverture : programmée printemps 2015

Après l’École nationale supérieure des arts et médias et la salle de concert “le Cargo”, c’est un projet emblématique attendu comme le nouveau signal urbain de l’agglomération caennaise.

Implanté sur d’anciennes friches industrielles entre l’Orne et le canal de Caen à la mer, cet équipement culturel majeur à l’échelle de la région fait inévitablement penser au Guggenheim de Bilbao. Voici donc venu le catalyseur architectural qui va provoquer la régénération post-industrielle de la ville dans le périmètre et champ de visibilité de l’abbaye aux Dames.

Je me permets ce raccourci volontairement caricatural pour exprimer une situation, pas toujours confortable, où l’on pressent l’apparition d’un conflit entre un enjeu patrimonial, que l’architecte des bâtiments de France doit légitimement faire valoir, et un enjeu politique qui le dépasse. Cependant, la présence de l’eau évite toute confrontation brutale car elle crée une distance entre la ville existante, classique, et la ville à venir, conquérante, qui s’observent d’une rive à l’autre sans jamais s’affronter.

À l’origine du site, l’eau

L’Orne a creusé son lit dans un plateau calcaire. Les sites dominant la vallée alluvionnaire, qui se resserre au niveau de Caen, ont été très tôt occupés par des édifices majeurs rive gauche, le château et l’abbaye aux Dames, et rive droite, l’église Saint-Michel-de-Vaucelles. Entre les deux pôles, s’est installé un quartier commerçant qui fut longtemps ceinturé par l’Orne et ses affluents, aujourd’hui canalisés. Si ces rivières ne sont plus visibles aujourd’hui, la toponymie en conserve toujours la mémoire. Ce quartiel s’appelle l’île Saint-Jean.

L’abondance d’eau entraîne des inondations fréquentes et redoutées. Deux ouvrages ont été réalisés pour lutter contre les caprices de l’Orne. En parallèle du fleuve est creusé un canal et un bassin relie les deux : le bassin Saint-Pierre en limite nord-ouest de l’île Saint-Jean. C’est ainsi qu’est née la presqu’île, entre l’Orne, le canal et le bassin Saint-Pierre. À l’âge d’or de l’industrie métallurgique caennaise, une activité portuaire notable s’y est développée, qui n’est plus aujourd’hui franchement lisible. La reconstruction ne modifie pas ce schéma. Bien au contraire, elle le précise au niveau de l’île Saint-Jean en créant un front bâti, continu et homogène, le long du bassin Saint Pierre. Ainsi, de la pointe de la presqu’île, l’horizon urbain a des limites bien cernées sur trois côtés. Au sud, un épais rideau d’arbres souligne le cours de l’Orne ; vers l’ouest, l’alignement des immeubles de l’île Saint-Jean vers le nord, enfin, sur les coteaux au-delà du canal, la longue horizontale de l’abbatiale et des bâtiments conventuels domine la massive tour de croisée de l’église. Vers l’est, en revanche, l’espace s’ouvre vers un horizon vague et lointain.

Études préalables

L’aménagement de la pointe de la presqu’île a fait l’objet d’études parmi lesquelles il faut citer celle de Philippe Panerai. Ces réflexions ont abouti à la définition d’une trame urbaine qui résulte de la superposition du tracé viaire existant avec un nouvel espace urbain traversant la presqu’île dans un axe nord-sud, destiné à matérialiser un cône de vue vers le chevet de l’abbaye aux Dames. Il en résulte un découpage en flots de forme trapézoïdale, dont celui qui occupe une position centrale sur le quai du bassin Saint-Pierre a été choisi pour accueillir la future bibliothèque.

Le parti proposé par OMA s’accroche aux quatre angles de l’îlot et tend deux volumes sur les diagonales du trapèze pour former un bâtiment en croix. On retiendra de cette implantation le respect de la trame urbaine proposée qui, de simple tracé géométrique, devient une forme tangible, capable de donner corps à un nouvel espace urbain en lui dessinant des limites claires.

Autre caractéristique intéressante du projet, la disposition sur toute sa hauteur des espaces qui accueillent le public : café à rez-de-chaussée au niveau des quais du bassin Saint-Pierre, salles de lecture au niveau intermédiaire, coiffées au niveau supérieur par un restaurant panoramique. Le principe structurel adopté permet d’ouvrir largement les façades sur l’extérieur.

Ainsi, l’ascension à l’intérieur du bâtiment offrira des vues toujours renouvelées sur la ville ancienne qui s’étend sur les rives opposées du canal et du bassin, en attendant que les extensions programmées sur la presqu’île ne transforment cette dernière en un spectacle urbain.

Il y a un demi-siècle, les fumées des bateaux, les flèches des grues du port animaient les quais du bassin Saint-Pierre d’une vie intense et extraordinaire, difficile à imaginer aujourd’hui. Le temps, aidé par l’homme, a effacé toute trace de cette agitation passée. Il ne reste que les eaux calmes et apaisées du bassin Saint-Pierre où, d’une rive à l’autre, la ville existante et la ville future s’observent.

Dominique LAPRIE-SENTENAC
ABF, chef du STAP Calvados

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