Dunkerque, de la cité corsaire au grand littoral

Une nouvelle stratégie urbaine de renforcement du centre-ville, appuyée sur le schéma directeur défini par Joan Busquets, a été initiée pour redéfinir autour de la place Jean Bart un cœur de ville attractif répondant à l’attente d’une population de deux cent mille habitants.

L’ancienne gare d’eau de l’île Jeanty

Patrimoine historique de la Marine, elle constitue une enclave urbaine dans la ville de Dunkerque. Cet ancien nœud commercial, relié aux bassins du port par une écluse, a perdu son activité avec la mise aux normes du grand gabarit. Pour redonner vie à cet espace resté à l’échelle du gabarit Freycinet et en situation de polder, une convention d’occupation temporaire a été passée entre la ville et les Voies navigables de France. L’objectif, après diagnostic, consiste à créer les conditions de réappropriation du site par les habitants et à le relier au centre-ville par le pôle Marine. Des jardins vont occuper un tiers des treize hectares: cinq sur sept ont été aménagés dès cette année selon une thématique et une gestion différenciée. En 2011, les jardins sont prévus sur les barges qui viennent à la rencontre des habitants des quartiers du Carré de la Vieille, du Jeune Mail ou de Basseville. Ils seront conçus dans un souci de dialogue social et de biodiversité. À terme, huit jardins flottants seront rassemblés sur la gare d’eau. Une intervention artistique engagée à l’automne à l’entrée de la gare d’eau, près du jardin extraordinaire, sert de signal à l’opération. La sculpture réalisée par Richard Scott à partir d’éléments fournis par les Phares et Balises, dénommée Spoutnik, est le prélude à de prochaines installations sur le canal exutoire ou petite Synthe. Cette volonté d’introduire l’art dans la ville pour remailler Le tissu urbain répond à l’action du LAAC entreprise sur le territoire : établir un dialogue vivant entre habitants et les artistes.

Deux pôles d’attraction ont été arrêtés: le secteur Marine gare et le Théâtre.

L’aménagement de la première zone devrait modifier l’ensemble du réseau de circulation ; le second prévoit une vocation culturelle renforcée de l’est de l’agglomération. Un axe structurant ouest/est reliera désormais par une coulée verte le canal de l’Exutoire à la place du Général de Gaulle revue et corrigée. Cette voie achèvera le lien amorcé par le centre commercial entre les bassins portuaires et le centre historique.

Ce projet urbain réconcilie le pôle universitaire, le centre administratif et les quartiers résidentiels, les enseignes commerciales et les équipements culturels assurant la mixité sociale recherchée. Il a pour objectif de réconcilier la ville avec l’eau, de remédier à l’évasion commerciale et de redensifier le cœur de l’agglomération.

Cette volonté de fluidifier les espaces se traduit notamment à travers un projet original sur l’ancienne gare d’eau. En effet, bien que les quartiers soient proches les uns des autres, l’eau a provoqué de nettes coupures géographiques et isolé les fonctions.

Une ville éclatée

Le centre-ville actuel, issu de la Reconstruction, a été tracé par Théodore Leveau selon quatre zones. La première, construite au cordeau, s’étend au centre et au nord. La seconde concerne les terrains libérés de l’emprise des fortifications. La troisième définit la zone industrielle à l’écart. Enfin, la zone portuaire s’attache aux emprises du domaine maritime. À l’intérieur d’un cadre de voirie traditionnel, les flots s’ouvrent par des passages sur la rue, générant des cheminements piétonniers de traverse, rendant les cœurs d’îlots accessibles. Les références au nord se manifestent dans la faible hauteur des constructions et la prédominance de la brique. Cependant, la modernité transparaît dans les toitures terrasses, les éléments préfabriqués et la relative homogénéité de l’espace public.

Insufisamment vivant et d’aspect plutôt monotone, le centre-ville nécessite une revitalisation que le projet Neptune n’a pas su lui redonner en dépit du dynamisme du tracé de Richard Rogers. Depuis la crise industrielle, la reconquête du site des chantiers navals et des docks représente un potentiel de développement économique et urbain important et cohérent. Le projet défini par Richard Rogers & Partnership et l’agence d’urbanisme locale (AGUR) s’est traduit par l’implantation, en 1991, de l’université multipolaire du Littoral Côte d’Opale à la Citadelle, la création de bureaux et de logements, l’émergence du pôle Marine, du port de plaisance et la réalisation du Grand Large entamée par Nicolas Michelin sur le site des chantiers navals fermés en 1988. L’architecte a repris les toits pointus, typiques de la région, mais dans un matériau de construction radicalement novateur. L’équipe Lacaton & Vassal va poursuivre sur ce mode l’urbanisation du front de mer prévue pour rejoindre Malo-les-Bains.

L’eau, principe d’urbanisme

La nouvelle équipe est constituée du promoteur Multi Corporation, de l’architecte urbaniste Joan Busquets et du paysagiste Michel Desvigne. Ils ont remporté le concours sur leur vision urbaine :

« Le centre-ville de Dunkerque a une morphologie urbaine spécifique : manque de densité, espaces urbains assez indéfinis, voitures omniprésentes… Mais ce centre-ville a une potentialité extraordinaire. Il est au croisement des voies et liaisons urbaines, au cœur des systèmes d’eau. Il concentre des fonctions urbaines essentielles (université, gare TGV, services publics, commerces…). Il nous faut compléter la reconstruction du centre qui nous semble un projet non achevé, qu’il faut réinterpréter et terminer, réaménager le rapport avec l’eau, les bassins et les systèmes d’eaux douces, avec l’ambition d’y retrouver et reconnaître l’histoire matérielle de la ville… »

Les contours du centre-ville d’aujourd’hui sont dictés par les bassins et les canaux. De nouveaux bâtiments doivent venir le densifier et accroître l’offre de logements (mille trois cents) et de commerces (trente cinq mille m2). Ainsi, l’ancien lycée Benjamin Morel donnera la priorité à la restauration et l’alimentation. La création d’une médiathèque, de commerces culturels et de loisirs et la rénovation du musée des Beaux-Arts modiferont définitivement la place Charles De Gaulle, équipée d’un parking souterrain une fois les fouilles archéologiques achevées. Enfin, une Maison du Monde et de l’Europe est envisagée derrière la façade des anciens bains mauresques en cours de réhabilitation.

Dans son renouveau, la ville ne peut oublier sa vocation maritime, industrielle, portuaire ou balnéaire. La réussite de son projet de centralité reste intimement tributaire de l’équilibre avec son passé.

Propos recueillis auprès de Aude CORDONNIER et Patrick LE BELLEC

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