Les Halles “V3”, la disparition de la lumière

« Ah, les Halles, les Halles, les Halles… ! », cette complainte du jour me rappelle celle de
ce grand homme, s’exclamant « Ah, l’Europe, l’Europe, l’Europe !… »
tant il est vrai que les grands projets ne peuvent se réaliser le temps de deux générations…

En comparant le projet de l’architecte en chef des Halles, titre dont s’était proclamé le premier maire de Paris en 1979, et le nouveau projet en chantier, au-delà des multiples critiques dont celui-ci fait l’objet aujourd’hui (abattage d’arbres, mort du “jardin Lalanne”, nuisance des démolitions, puis du chantier, pour combien d’années encore… ?, une Canopée qui s’assombrit), force est de reconnaître que nous rejoignons la belle vision de Napoléon III : « Ce sont de vastes parapluies qu’il me faut, rien de plus. » Après deux décennies de propositions en tous sens (1960-1970), le “projet Chirac” s’était peu à peu figé en une mosaïque d’effets juxtaposés, aux antipodes du grand geste unitaire laissé par l’empreinte des pavillons de Baltard.

Autour du Forum, conçu dès 1972 par Vasconiet Pencréac’h, resté immuable avec ses prolifiques racines souterraines, s’étaient greffées autant d’entités qui ont démontré leur malfaisance à l’usage. Les Corolles de Willerval, pourtant nées d’un beau rêve, sont devenues des entrelacs de passages pisseux et de recoins dégradés ; le Jardin des Petits dessiné par les Lalanne, belle œuvre en soi, s’est révélé aussi introverti que parfois dangereux pour les enfants (surfaces en béton brut…). La dominante d’une diagonale reliant les rues Berger et Montmartre, par l’intermédiaire d’un parvis en forme de conque, seul lieu dessiné par mon vieux maître Arretche, et qui fut apprécié de tous jusqu’à sa récente démolition. Face à l’inévitable “décomposition des usages” dont pâtissaient la plupart des aménagements aujourd’hui démontés, je vois deux grands mérites au projet actuel.

Il dégage une vaste esplanade plantée recadrant l’espace public face à la Bourse du Commerce, alors que le projet précédent dissolvait cet axe en juxtaposant des détails peu justifiés (maladroite présence de l’eau…), à l’exception de la place René-Cassin. Il ouvre le réseau souterrain vers la lumière de la ville, ce qui était l’enjeu majeur de la consultation de 2003, par deux gestes complémentaires : d’une part, il fait émerger la principale liaison avec le sous-sol au travers du nouveau Forum, en la basculant côté jardin, sur une esplanade qui en devient le seuil ; d’autre part, il encadre cette nouvelle liaison “dessus/dessous” par deux ailes qui assurent clairement la transition entre rues et jardin, transition symbolisée par la fameuse Canopée. Engendrer ainsi un nouveau dialogue entre les deux nappes superposées (les échanges ferroviaires et la vie d’un quartier) par l’intermédiaire d’un pôle commercial ouvert relève d’une belle ambition que certains aspects du projet actuel ne devraient pas contredire. À ce jour, alors que le rêve de Jean Willerval achève de se dissoudre dans le grignotage des démolisseurs, à la grande joie de tous, s’annonce la Canopée, dont l’exploit, d’abord graphique, et maintenant technique, fait couler beaucoup d’encre. En me limitant à l’appréhension future de ces lieux au niveau du sol, j’émets des réserves : la volumétrie paraît justifiée par la volonté de ramener la façade périphérique de l’ensemble à la seule hauteur du rez-de-chaussée, en contrepoint du “Carreau” de Mandgin qui s’élevait à treize mètres.

Pour absorber les deux niveaux supérieurs, tout en débouchant sur un vaste auvent tourné vers le jardin, le concept d’une enveloppe courbe permet de gérer, en un seul geste, la couverture des deux ailes, au pourtour soigneusement arrondi, et son prolongement pour abriter le nouveau forum : la Canopée. Cependant, à l’usage, comme ce fut le cas précédemment, il est à craindre un important appel d’air, un effet “Venturi” résultant de la forme d’entonnoir face aux vents d’ouest glissant sur le jardin.

La structure de cet auvent, qui travaille à l’opposé des principes structurels (effet d’arc inversé), s’avère si difficile à construire que l’ajout, non prévu, de nouvelles pièces de charpente risque d’en obscurcir la transparence annoncée…

L’animation des vitrines du rez-de-chaussée sera limitée par la proportion de façades aveugles (près de 30 %), dues aux multiples sorties de secours et locaux techniques. La grande sophistication de la peau, induite par la volonté de légèreté et de transparence, risque de rendre très onéreux l’entretien de ces ardoises et coques de verre. Sous l’effet conjugué de la foule quotidienne et des petits vandalismes, de la pollution et autres pigeons… Ainsi, courrons-nous le risque de subir la même érosion pour cet ambitieux projet dans quelques années ? Dans quelques années, le développement du Grand Paris va resituer ce projet dans une logique urbaine beaucoup plus vaste, mais perdurera le fait que ce quartier des Halles « doit aussi cette place à un phénomène mystérieux et permanent d’appropriation par l’ensemble des habitants de la cité, car il est sans doute peu d’endroits dans Paris où le plus grand nombre de Parisiens (Franciliens aujourd’hui) paraissent se sentir aussi facilement, aussi spontanément dans la ville ». Nous adhérons pleinement à cet optimisme, clamé dans l’introduction de Paris Projet n° 25/26 pour l’« achèvement d’un projet, les Halles » où, en 1985, l’APUR titrait un prémonitoire.


Sauver la place René-Cassin

Fin 2010, postérieurement hélas à l’enquête publique, je suppliais les concepteurs actuels
d’intégrer cette “conque”, qu’ils considèrent incompatible avec leur projet, en leur opposant les arguments suivants :

  • son remplacement par de vagues gradins “en zigzag” (une constante chez eux), qui vont annuler cette placette au profit d’un banal alignement sur la rue Rambuteau, gommera toute respiration face à l’église ;
  • le regard du passant, face au transept, passera d’une profondeur de trente à dix mètres à peine ;
  • disparaîtra ce lieu en retrait, seul endroit de méditation dans ce « parc promis au grouillement » prédit par François Chaslin dès 1979 ;
  • l’émouvante tête d’Henri de Miller, qui n’avait de sens, appuyé par la main, que par sa subite position en équilibre sur cette conque, sera désacralisée au point que son hypocrite récupération, perchée sur un de ces zigzags, sera tout juste capable de distraire les petits ;
  • enfin, disparaitra un lieu théâtral, lieu de l’éphémère, ambitions sans doute exclues du parc promis.

Pierre COLBOC
architecte riverain

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