À propos de renouvellement urbain, Clichy-Batignolles

Institués depuis 1993, les ateliers “projet urbain” sont des lieux d’échanges et de débats qui visent à constituer un savoir sur les enjeux, les concepts et les méthodes des projets urbains, à toutes les échelles du territoire. Ils invitent deux fois par an la diversité des acteurs de l’aménagement des villes à venir présenter et débattre de leurs expériences.

Pour moi, les plus importants de ces projets apparaissent comme des aventures collectives, dont le déroulement est très étroitement lié aux particularités d’un lieu précis et à celles de notre époque. Il semble que les changements de la ville et le travail, qui parfois les accompagnent, débordent le champ des appréciations qualitatives habituelles ; celles qui privilégient soit les références et inventions de théorie urbanistique, soit les enjeux sociaux et économiques de la programmation, soit les aspects formels de la création d’un paysage bâti. Ce que désigne le terme de “projet urbain”, cette opération, au sens chirurgical, qui bouleverse de manière accélérée un pan de territoire, donne nécessairement suite au cours d’une histoire antérieure, à des facteurs locaux d’où émergent une attente de ville, des besoins et des désirs. La conception de tout projet devrait rechercher et libérer ces forces latentes, sous-jacentes, dans la perspective d’un état des lieux actualisé, d’un être encore en devenir ; sans démonstrations artificielles, sans préoccupations d’auteur.

Infrastructures, limites et enjeux urbains

Aux Batignolles, au milieu du nord-ouest parisien, secteur le plus minéral et le plus dense du Grand Paris, les quartiers restent associés au chemin de fer de Saint-Lazare, mais ils sont aussi encombrés, séparés par les obstacles des grandes infrastructures ferroviaires. De la même façon, l’ancienne enceinte des fortifs, devenue limite institutionnelle, renforcée par l’obstacle du boulevard périphérique, sépare les quartiers intra et extra muros.

Ce type de situation de “confins intérieurs” offre souvent de nouveaux lieux de projets contemporains permettant d’importants développements urbains sans extension de périphérie. Le but est alors de resserrer l’emprise des infrastructures et de mieux les intégrer dans le système urbanisé.

Dans l’optique d’une économie maximale de l’usage des sols, à Clichy-Batignolles, les fonctions logistiques sont redéployées sur place, et une part importante des composantes du projet est superposée à des activités ferrées (préparation des locomotives, base travaux, RER C, fret…). Cependant, le premier choix de notre équipe consiste à maintenir le sol horizontal du remblai ferroviaire des ingénieurs anglais du XIXe siècle. Il s’avère que ce choix topographique initial retentit beaucoup sur l’organisation et le déroulement du projet.

Pour dépasser et oublier les limites accumulées, l’ouverture d’un grand parc, envisagé comme un vaste espace de rencontre, est installé à la convergence des quartiers existants et des édifications nouvelles, à l’entrecroisement de contextes et de publics très différents. Équipement exceptionnel (dix hectares), il rayonne sur tout le nord-ouest parisien. Ce parc d’aujourd’hui répond à une volonté d’être pleinement en ville, prolongeant le système des rues et des îlots. Ses particularités consistent à cultiver les thèmes de l’exercice du corps pour tous les âges, de la gestion et du spectacle des eaux, de la part du temps, des saisons et de la biodiversité.

Ces quelques options prépondérantes qui se déclinent presque d’elles-mêmes entre les disponibilités recherchées et les contraintes de toute nature mériteraient un large développement.

Le changement qui change

À la force constante des lieux s’opposent de profondes variations de la programmation des réalisations, au cours du déroulement des études et des procédures d’aménagement.

Le projet de village olympique pour la candidature de Paris 2012 a été intégré en 2003 à la conception des projets en concurrence au stade des études de définition. Les attentes programmatiques précises du Comité olympique ont conduit à calibrer la quantité globale des surfaces à construire (environ quatre cent cinquante mille mètres carrés shon).

Les enjeux du logement à Paris affichés en 2005 comme la priorité commune de l’État et de la Mairie ont défini les conditions de construction de trois mille cinq cents logements, dont 50 % sociaux et huit cents étudiants et jeunes travailleurs. La ville habitée peut s’étendre en continuité jusqu’à Clichy-La-Garenne, dépassant les traces de l’ancienne zone de l’enceinte.

Le futur Palais de Justice de Paris finit par trouver, en 2008-2009, un site d’implantation accepté par l’ensemble des acteurs en limite de Paris, Porte de Clichy, entraînant à ses côtés la Police judiciaire et les avocats (cent cinquante mille mètres carrés shon au total). Dans un secteur de l’agglomération qui comprend peu de repères, ce monument de la Justice adjoint au nouveau parc Martin Luther King peut déterminer une forme de centralité.

Un déplafonnement des hauteurs maximales de construction est en même temps envisagé, puis autorisé, jusqu’à cent soixante mètres pour le Palais de Justice et cinquante mètres pour les logements de certains îlots. Ceci provoque un très vif débat public dans le XVIIe arrondissement. En dépit de tous ces changements, c’est toujours le même projet urbain qui avance et absorbe des demandes qui bougent, contribuant chaque fois à son enrichissement et à l’approfondissement de sa démarche.

Dans le déroulement des transformations urbaines, quel est le rôle de l’architecture, des architectures ? Ce sont elles qui, finalement, donnent corps au projet de ville et le rendent palpable. Quelles que soient leurs modalités de production, il reviendra aux formes construites d’exprimer concrètement la société de notre temps, avec ses incertitudes et surtout son pluralisme. Enfin, il convient de s’interroger sur l’aboutissement du projet urbain. Sa réalisation est-elle plus intéressante que son élaboration et son déroulement ? Il s’agit d’opérations immobilières tendues vers leur conclusion. La ville ne peut pas connaître d’état final. Dans mon travail, je tiens à prendre en considération le mouvement de la ville qui bouge, les histoires et les tendances qui précèdent le projet, et les perspectives à ménager pour ses transformations ultérieures sur lui-même ainsi qu’au-delà de ses périmètres et autres limites.

François GRETHER
Architecte urbaniste

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