Le front de Seine, modernisation de Paris

En 1824-1825, en retrait des bords de Seine, un entrepreneur Léonard Violet avait loti des terrains maraîchers et appelé Beau Grenelle un nouveau quartier constitué de parcelles rectangulaires à peu près parallèles à la Seine.

Dans années 50, le site est occupé par un quartier industriel dont les usines obsolètes ferment peu à peu se déplaçant en périphérie sur des terrains plus favorables à leur expansion. Le Front de Seine fait alors partie des opérations de rénovation de Paris, comme Italie ou encore Maine-Montparnasse qui incarnent la volonté de transformation du Paris du XIXe siècle en une capitale moderniste. L’opération a été prévue par le plan d’urbanisme directeur de Paris dit plan Lafay, dressé en 1959 par l’architecte Raymond Lopez qui sera chargé du plan de masse de l’opération. Ce dernier accorde une attention particulière au fleuve qu’il veut mettre en scène par la construction d’une dalle en terrasse sous laquelle passerait le trafic automobile et ferroviaire.

Le modernisme du Front de Seine

Raymond Lopez, Michel Holley, Henri Pottier et Michel Proux sont les architectes du plan masse pour les deux premiers et les architectes d’opération pour les derniers. Le programme est mixte car, pour les promoteurs de l’opération, la SEMEA XV, il s’agit de conserver sur place des emplois et des activités du secteur secondaire et tertiaire et de construire des logements de plusieurs catégories, ainsi que des équipements et un hôtel. Sur le plan urbain, les architectes décident de répartir des bureaux et des logements selon un principe de “zoning vertical”. Le sol naturel est affecté à la circulation et au stationnement lourd, le tracé des rues est conservé, un niveau réservé au stationnement ; enfin à sept mètres du sol, une dalle est dévolue aux piétons pour leur permettre d’atteindre les commerces, les équipements et les lieux de détente sans avoir à croiser des voitures.

Au-dessus de ce niveau artificiel jusqu’à une hauteur de 10 mètres sont installés les immeubles de bureaux qui constituent une première référence dans la composition des volumes. Ensuite, s’élèvent les tours de logement dont la base est resserrée en “taille de guêpe” pour limiter leur impact visuel depuis la rue et assurer une transition entre les étages et le rez-de-chaussée. Des treize tours prévus, neuf ont été réalisées par les architectes d’opération et une se détache, la tour Totem conçue par l’agence Andrault et Parat, la plus célèbre d’entre elles. L’ensemble ordonnancé se caractérise par un usage architectonique prédominant du béton. Les halls étonnent par leur surface limitée et leur ambiance intime alors que les tours culminent toutes à cent vingt mètres. La dalle, à l’origine, était décorée de carreaux en céramique. Ces dessins, destinés à être vus d’en haut, ont disparu au profit d’un aménagement paysager.

Même si Michel Holley a pu prétendre qu’il ne s’agissait pas d’une recherche esthétique mais d’une volonté pour conserver la densité des logements et des activités sur une surface identique à celle de la ville ancienne, on est aujourd’hui frappé par la richesse de composition de l’ensemble. Il se dégage une véritable harmonie entre les immeubles bas et les tours et la cohérence stylistique fait écho à la variété des points de vue offerts.

Le rapport à la Seine devait s’organiser pour les piétons sous la forme d’un large balcon comme le pont d’un navire à sept mètres au-dessus du niveau du fleuve. En ce qui concerne les occupants des tours, ils bénéficient du paysage parisien et de son panorama de collines. Il s’agissait pour les architectes de procurer un nouveau cadre urbain à l’échelle de la vie moderne du XXe siècle, cadre ouvert sur le ciel à l’image du nouvel aéroport d’Orly.

Le fleuve et Paris

À Paris, la Seine a très largement façonné le paysage et l’organisation urbaine, au cours des diverses périodes de formation de la ville. Le site fluvial sera dans les années 60 exploité comme une voie d’accès au centre avec la construction de la voie rapide rive droite et rive gauche qui met en scène l’entrée en voiture. En 1975, à l’élection de Valery Giscard d’Estaing et la nomination d’un maire, la ville va décider de « réaliser une meilleure exploitation de l’atout que représente ce plan d’eau pour la valorisation de l’espace parisien, comme une des actions majeures d’amélioration du cadre de vie  ». Le front de Seine est maintenant dénoncé comme symbole des erreurs de la période antérieure.

Opération d’urbanisme / projet urbain

Dès lors, on tente de faire disparaître les caractéristiques les plus saillantes de l’opération en renonçant par exemple à la construction de la terrasse sur la Seine, remplacée par un aménagement au sol de type néo-haussmannien mis en oeuvre par l’APUR. On autorise aussi la construction d’une tour d’une esthétique différente, la tour Cristal située au niveau du sol naturel. Enfin, on aménage un centre commercial, actuellement en cours de rénovation, le long des emmarchements, pour tenter d’effacer la différence des niveaux .En quelques années, les principes modernistes de l’opération sont abandonnés et s’instaure le projet urbain à grande échelle qui traite de la forme de l’îlot et de la rue. Il est temps de reconsidérer la question, notamment en ce qui concerne la qualité des espaces et de reconnaître les mérites de cette expérience urbaine.

À LIRE :
Bernard Rouleau, Le lotissement de Léonard Violet, in Gilles-Antoine Langlois, Le XV° l’étendue de la réussite. DAAVP 1996

Jean Milliex, Le nouveau quartier Citroën in opus cité

Le grand dessein parisien de Georges Pompidou, Ouvrage collectif Somogy 2010

Homme de culture sensible au progrès, Georges Pompidou a su organiser la modernisation de la capitale avec l’appui de Maurice Doublet, dernier préfet de la Seine. La réforme administrative est suivie de l’aménagement des villes nouvelles, de l’amélioration de l’habitat dans une vision prospective insistant sur un urbanisme maîtrisé et un réseau de voiries moderne. Bien avant le Guggenheim, cet homme d’État a su mesurer l’effet Beaubourg avec en plus une véritable réflexion sur le contenu.

Virginie PICON-LEFEBVRE
Architecte-urbaniste, École nationale des Ponts et Chaussées

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