Cités à comparaître

Dans l’Entre-deux-guerres, Henri Sellier, maire de Suresnes rassemble dans l’Union amicale des maires de la Seine, les élus de la couronne parisienne prêts à une nouvelle politique d’aménagement des banlieues. Ils sont à l’origine des cités-jardins conçues sur le modèle anglais proné par Raymond Unwin et Ebenezer Howard. Les cités se développent autour d’un projet de vie collective conciliant hiérarchisation du territoire et logement social.

Le destin du logement social est aujourd’hui bien incertain. Si l’on apprécie parfois les qualités de la création architecturale, les normes contemporaines de confort et de sécurité s’opposent le plus souvent au maintien de l’authenticité de ces grands ensembles. Dissociés de leur environnement immédiat ont-ils encore droit de cité ?

Peut-on les intégrer dans la ville contemporaine, doit-on les sacrifier et sacrifier une époque ? Les exemples restent peu convaincants vis-à-vis d’un état d’esprit moderne. En général, les habitants menacés en première ligne luttent pour conserver leur toit. La détermination des élus et des associations apparaît moins efficace. Si entre nostalgie et vandalisme, le politique prône une amélioration du cadre de vie, une reconquête urbaine, il s’agit en fait d’une revalorisation du foncier. Les Hauts-de-Seine en font en cette fin du XXe siècle l’apprentissage.

Et vogue la Caravelle

À Villeneuve-la-Garenne, mille six cent trente logements ont été édifiés sur neuf hectares entre 1959 et 1968. Aujourd’hui, un quart de la population y habite soit six mille personnes. Un projet global de rehabilitation a été confié à Roland Castro et Sophie Denissof, voici cinq ans. L’architecte de l’opération, Jean Dubuisson, est toujours en vie. Deux conceptions s’opposent. Peut-on parler de deux sociétés à trente-cinq ans de distance et donc à moins de deux générations !

D’un côté, un discours ultra rationaliste et une production de cellules à l’identique, avec une seule forme et une seule échelle. De l’autre, une volonté d’identifier et d’enraciner dans des quartiers.

Prix de Rome en 1945, Jean Dubuisson participe activement à l’urbanisme des temps nouveaux et à la production de masse lancée à l’initiative de Pierre Sudreau. Son agence est appréciée pour sa “capacité à intégrer les contraintes financières ou réglementaires comme des critères appartenant au processus de conception de la même façon qu’elle intègre l’évolution des techniques”. Il réalise cet énorme chantier en utilisant l’industrialisation du bâtiment. Il peut ainsi affranchir la façade de la réelle distribution des appartements traversants. En mathématicien rigoureux, il conçoit une composition totalement abstraite, une véritable carte perforée. Le plus long linéaire se déroule sur quatre cents et dix étages de haut.

Les appartements sont répartis dans cinq barres orientées nord sud et est ouest. Ce bref descriptif est révélateur du sentiment d’impuissance et d’anonymat que peuvent éprouver les habitants ou riverains.

L’équipe Castro-Denissof a travaillé à partir du plan masse pour anihiler la notion de gigantisme et faire entrer dans la ville cet îlot.

Il s’agit de le doter d’une structure urbaine, à une autre échelle, en reconstruisant des rues en délimitant des espaces publics ou semi-publics et en instaurant des quartiers : en faire une cité-jardin tournée vers le parc des Chanterelles.

Pour les architectes, si la nécessité “d’embourgeoiser” le bâti est évidente, la recherche d’harmonie avec la conception d’origine demeure indispensable. Tout le travail graphique sur le socle, les corps, le ciel respecte la base d’origine, les textures, les épidermes, les proportions d’ouverture. Ce n’est pas une question de maquillage mais plutôt une détermination d’arracher ce lieu à sa fonction inhospitalière.

Les propositions sont séduisantes tant dans le découpage des barres que dans les nouveaux tracés de voiries, mais un certain scepticisme plane sur le bien fondé d’une opération aussi coûteuse. Castro et Denissof sont persuadés d’apporter un supplément d’âme. L’adjonction de jardins d’hiver, de mails, de balcons, va prolonger la vie d’un grand ensemble qui aurait eu le mérite d’être remplacé par des logements plus adaptés à notre nouveau millénaire.

Adieu guinguettes

La cité-jardin du Plessis-Robinson, composée de la cité haute et de la cité basse, séparées par le parc Henri Sellier, a été construite en 1924 par l’architecte Payret Dortail. Elle est protégée dans son ensemble au titre des Sites depuis 1986.

Les immeubles de quatre étages ont reçu un traitement différencié en façade, selon que cette dernière donnait sur rue ou sur jardin. Ils sont organisés autour d’un espace public central paysagé et chaque logement dispose d’un jardin potager. Cet aménagement permet à l’architecture d’aspect sévère d’échapper à la monotonie des cités-dortoirs.

Depuis 1992, la municipalité, dans un souci de mixité sociale, a entrepris une rénovation de la cité haute. Pour des raisons de salubrité et des problèmes structurels trop onéreux à résoudre, mille deux cent soixante logements ont été détruits et reconstruits, soit sur place, soit dans un autre quartier. En revanche, l’ensemble du tissu pavillonnaire a été préservé. Les immeubles neufs élevés par Alluins et Mauduit, après concours n’ont pas donné satisfaction à la municipalité. Ils ont été jugés trop hauts et trop répétitifs. L’attrait pour la nature, qui avait présidé à l’essor de la ville à la fin du XIXe siècle et contribué à la création des cités-jardins, a complètement disparu. En dépit de l’engagement de préserver les immeubles, situés rues Kellog, Briand et Raye Tortue et vieux de 70 ans, le maire souhaite procéder à une seconde opération de démoliton construction pour revenir à un style dit traditionnel et créer de nouveaux équipements communaux.

La position de la commune revient à mettre en cause le plan masse de la cité-jardin, plan qui constitue son originalité, afin de le faire coincider avec l’aménagement du centre-ville réalisé par François Spoerry. Ayant mis le doigt dans l’engrenage en autorisant une démolition partielle, elle se trouve prête aujourd’hui à abandonner, sous prétexte de visées sociales la cité haute. À l’issue de cette opération, la cité basse se verra-t-elle, elle aussi, promise à la démolition, en dépit des lourds frais de réparation engagés ces dernières années ? L’équilibre initial entre les deux cités disparu, la survivante pourra-t-elle éternellement maintenir sa position ? Sans doute, la création d’une ZPPAUP sur l’ensemble du tissu urbain en mutation aurait-elle permis de réfléchir globalement et d’harmoniser les projets. L’inadéquation de la protection au titre des Sites a rendu ce débat caduc.

Véra PROZYNSKA
Journaliste

Dans le même dossier