Petites Cités de caractère : origines et enjeux du label

En 1966, le terme de “petite cité de caractère” me venait spontanément à l’esprit pour qualifier des communes telles que Monpazier, Saint-Cirq-Lapopie, Rocamadour, Conques, jamais celui de “village”. Son contenu n’était pas pour autant clairement arrêté dans ma tête, pas plus a fortiori que l’idée d’un réseau entre ces villes reliques. L’indignation ressentie devant le délabrement de la ville de Turenne en 1968, au moment où l’État développait
la politique des secteurs sauvegardés engagée par Malraux, mais axée principalement sur les villes d’une certaine importance, m’a donné à réfléchir.

En octobre 1969, alors que j’étais chargé de mission tourisme rural dans le premier comité d’expansion d’un pays à dominante rurale, le Comité de coordination pour l’aménagement du pays de Redon et des pays voisins (COCAPAR), le patrimoine vint à ma rencontre. Au coœur de la couronne urbaine constituée par les agglomérations de Nantes/Saint-Nazaire, Vannes, Ploërmel, Rennes et Châteaubriant, les villes reliques ne manquaient pas : La Roche-Bernard, Malestroit, Rochefort-en-Terre, Lohéac, sans compter Josselin à proximité immédiate. Très rapidement, dans la politique de développement expérimental du tourisme rural que j’engageai, la plupart des acteurs de ces villes s’impliquèrent, tant dans la mise en place du premier pays touristique de France (1970) et de sa promotion que dans l’animation du territoire (festival des Pays de Vilaine en 1972 et 1973).

Dans ce contexte émergent du tourisme rural en Bretagne, la formation devait jouer un rôle essentiel, notamment par le biais de voyages d’études en moyenne montagne et dans le Sud-Ouest, que je commençais à bien connaître. Ainsi, la réhabilitation du patrimoine du secteur sauvegardé de Sarlat, ville de la même taille que Redon, associée à un festival des Arts du théâtre, avait créé une dynamique touristique exceptionnelle dans ses environs, stimulant à la fois initiatives privées et publiques, valorisant la Dordogne et la Vézère et promouvant des communes alentours : Domme, Beynac-et-Cazenac, La Roque-Gageac, Belvès, Monpazier. L’idée était alors d’inciter la ville de Redon à suivre la même voie en réhabilitant son patrimoine exceptionnel (quartier du port, ville close, abbatiale, faubourgs…) en exploitant ses multiples voies d’eau et le potentiel bâti environnant. Si les villes reliques du territoire furent, comme Rochefort-en-Terre ou La Roche-Bernard, souvent au rendez-vous, il faut bien avouer que les élus redonnais se montrèrent beaucoup plus frileux en ce domaine.

Le premier réseau des Petites Cités de caractère©

En 1975, à l’occasion de l’Année européenne du patrimoine architectural, l’occasion d’intervenir me fut donnée alors que depuis un an j’avais pour tâche de développer le tourisme rural en Bretagne. J’avais organisé des filières spécitiques (auberges, accueil personnalisé, village de vacances à partir de l’habitat ancien…) et des pays touristiques sans intervenir sur les petites villes au potentiel touristique plus concentré.

Pour positionner la Bretagne sur le plan européen autrement que par ses thématiques patrimoniales récurrentes, tant rurales (chapelles, calvaires et enclos, manoirs…) que littorales (port de pêche, phares et balises…), le moment était venu de valoriser ces communes au manteau patrimonial somptueux, que j’appelais depuis 1966 « petites cités de caractère », et de profiter de l’événement pour les organiser en réseau. Le terme “cités” rappelle leurs origines et leur patrimoine urbain, “de caractère” exprime leur singularité, leur puissance d’évocation et leur splendeur architecturale souvent indicibles, enfin “petites” évoque la faiblesse de leur population et donc de leurs moyens. Il s’agissait de qualifier et faire reconnaître ces communes rurales atypiques par leurs ensembles architecturaux d’exception, d’intérêt régional, national, voire européen. Ces anciennes villes ayant perdu leur statut avaient l’ardente obligation de conserver et d’entretenir un patrimoine hors de proportion avec leurs capacités financières.

C’est sur ce constat que les premières communes intéressées, et agréées par un groupe d’experts du patrimoine bâti, de l’environnement et du tourisme, se constituèrent officiellement en 1976 en association régionale à Glomel pour mettre en œuvre, autour d’une charte de qualité, une politique de restauration et d’exploitation du patrimoine pour atteindre un tourisme culturel de qualité. L’aide de l’Établissement public régional dès 1978, puis de la Région dans les années 1980, fut déterminante.

Extension du réseau et ambiguïté des notions de villages associés

L’élargissement du label à l’échelon français, imaginé dès l’origine via le niveau régional, pour constituer à terme une structure fédérative nationale légère et éviter tout centralisme à la bretonne, fut engagé dès 1979, avec le concours des CAUE des Landes et du Lot-et-Garonne, aboutissant à la reconnaissance de trois communes : La Bastide-d’Armagnac (homologuée), Hastingues et Casseneuil (homologables), à charge pour elles de créer une association régionale. Celle-ci resta dans les limbes en raison de la tentative concomitante de création d’un réseau “Bastides”. En revanche, le maire de Collonges, Charles Ceyrac, se montra intéressé par l’idée et entraîna la région du Limousin. En fait, il avait des ambitions nationales et dès 1980 fondait une association nationale portant le même nom. L’exploitation de cette appellation nouvelle par quelques élus désireux de reprendre le concept breton à l’échelon national pour se faire un nom en a détourné le sens.

En regroupant, sous le terme générique de “village”, des communes d’origine, tantôt rurale, tantôt urbaine, la raison première de l’association fut occultée, à savoir l’impérieuse nécessité de regrouper sous une même bannière les anciennes villes, que les aléas de l’histoire ont privées de leurs moyens de conserver et valoriser leur patrimoine. La confusion créée par le terme “village” est aussi renforcée par le fait que son usage est à la mode. La multiplication et la médiatisation forte des réseaux et labels touristiques incluant ce terme en sont la parfaite illustration : Village de charme, Village d’artisans d’art, Village de caractère, Village de pierre et d’eau, Plus Beaux Villages de France. Enfin, la notion ne recouvre pas la même réalité urbanistique d’une région à l’autre de l’Hexagone. En Bretagne, l’appellation “village” est représentative des écarts, le terme “bourg” étant réservé à l’agglomération principale, celle où l’on trouve les services de centralité (mairie, commerces, église…).

En terme démographique, la commune rurale se définit comme un territoire ayant une population agglomérée de moins de deux mille habitants. Au-dessus de ce seuil, l’agglomération est assimilée à une ville. En revanche, en terme patrimonial, les communes rurales, particulièrement leur agglomération centrale, peuvent connaître une faible population et un patrimoine de type urbain fort, évocateur de leurs fonctions antérieures. Peut-on qualifier ces agglomérations de villages, alors qu’elles ont la même histoire, le même type de patrimoine que des villes d’importance et qu’on les qualifie toujours de “ville” en Bretagne, même quand leurs populations ne dépassent pas six cents habitants ?

Dans ce contexte, et pour éviter toute ambiguïté, la Bretagne a constitué deux réseaux de communes rurales au sens démographique : l’association des Petites Cités de caractère© (1975-1976) regroupant d’anciennes villes, des villes reliques et l’association des Communes du patrimoine rural (1988) rassemblant des bourgs et villages (les écarts) ayant un intérêt patrimonial remarquable, déterminé par un collège d’experts. Selon cette logique, les Petites Cités de caractère© se sont rapprochées de l’union des Villes d’art et d’histoire (1984) et Villes historiques (1997), pour communiquer depuis sur la destination urbaine bretonne, sous l’appellation Cités d’art.

De l’urgence d’une définition claire de la destination urbaine

Le terme “cité”, étymologiquement approprié (civitas), proche de son équivalent anglo-américain city, est compréhensible par une bonne partie des touristes étrangers. Il n’est pas non plus galvaudé, puisqu’il n’est utilisé que pour ce seul label touristique de qualité et permet, sans problème, le rapprochement de ces petites communes avec leurs grandes sœurs Villes d’art et d’histoire et Villes historiques, dont elles partagent l’histoire et la typologie patrimoniales. Lui préférer pour des raisons de communication l’appellation “village” ne se justifie pas. Ainsi, l’émission Les Villages préférés des Français sur France 2 mélange allègrement bourgs ou villages et anciennes villes, sans se soucier de la raison première de l’association, au risque de faire oublier l’impérieuse nécessité d’aider ces anciennes villes à préserver et à faire vivre leur patrimoine.

Il m’apparaît urgent d’obtenir de l’État, voire de l’Europe, une reconnaissance officielle de l’existence de ces villes reliques, au même titre que celle donnée aux Villes d’art et d’histoire. Encore faut-il que les réseaux territoriaux des Petites Cités de caractère©, et a fortiori leur fédération nationale, soient irréprochables dans la sélection de leurs communes membres, tant en termes d’origine urbaine que de densité et de qualité patrimoniale, voire de population agglomérée maximale. De ce point de vue, les temps forts de la charte de qualité de l’association nationale créée en 2009 vont dans le bon sens : six mille habitants maximum, présence d’une ZPPAUP ou d’une AVAP, bâti fort et homogène de type urbain, suffisamment dense pour donner l’aspect de cité, programme annuel de réhabilitation et mise en valeur du patrimoine.

L’absence de reconnaissance à l’échelon national des petites cités de caractère, des villes reliques, pose le problème de la définition de la destination urbaine sur le plan touristique. Malgré l’organisation, à l’initiative de l’Office de tourisme de Rennes, des premières assises nationales (1988) et européennes (1990) du tourisme urbain d’agrément et la commande qui m’avait été faite par le Conseil national du tourisme en 1989 d’un rapport sur le sujet, la définition de cette destination n’a toujours pas été arrêtée. Il faut dire que, dans l’esprit de nombre d’acteurs touristiques de la ville, le poids historique du tourisme d’affaires reste encore déterminant dans l’appréhension de la destination urbaine et de sa traduction économique et que plus une ville est grosse, plus elle est emblématique selon eux du tourisme urbain, amenant certains à considérer que ce dernier ne peut concerner que les communes de plus de trente mille habitants, éliminant des cités comme Dinan ou Sarlat, emblématiques en France du tourisme d’agrément en ville.

Sans doute est-il difficile pour l’Observatoire national du tourisme d’arrêter une définition de la destination urbaine. Une chose est certaine, cependant, le tourisme d’agrément en ville, qu’elle soit très petite ou très grande, a les mêmes caractéristiques : la découverte et la rencontre, par le visiteur, de l’essence, de la spécificité de la ville, du “génie du lieu” façonné au fil du temps par les hommes d’hier, à travers son histoire et son patrimoine urbain, et par les hommes d’aujourd’hui qui la revisitent et la remodèlent. Les Petites Cités de caractère© se révèlent être un véritable laboratoire pour la gestion et l’animation des flux touristiques dans les villes de plus grande importance, la Bretagne l’a démontré en les regroupant sous la bannière unique des Cités d’art !

Jean-Bernard VIGHETTI
Délégué général auprès des Cités d’art de Bretagne et maire de Peillac, commune du patrimoine rural


Port d’intérêt patrimonial

Le label “Port d’intérêt patrimonial” vient d’être créé. Élaboré par l’association du même nom rassemblant depuis deux ans les maires de communes littorales du Finistère, il a pour objectif de déclencher et de soutenir toutes les initiatives novatrices en matière d’urbanisme portuaire contemporain, fondées sur l’intégration la plus large possible du bâti historique existant ; et ce, dans tous les projets d’aménagement, de requalification ou de reconversion des territoires portuaires.

Ce label, assis et épaulé sur les travaux de l’Observatoire du patrimoine maritime de l’Université de Bretagne occidentale, est conçu d’emblée pour être de portée nationale. Peuvent postuler les communes littorales membres de l’association dont le conseil municipal a approuvé et signé la charte spécifique aux espaces portuaires qui engage lesdites communes à inscrire dans leur projet d’urbanisme la conservation, la protection et la modification raisonnée de leur bâti historique à caractère maritime. Le label cible de préférence -mais non exclusivement- les communes disposant d’un ou de plusieurs sites portuaires de taille moyenne ou petite, dans la mesure où ceux-ci sont rarement l’objet de protections spécifiques en ce qui concerne l’évolution de leur urbanisme portuaire, pas davantage que d’une réflexion scientifique et stratégique d’ensemble valorisant leur identité maritime.

Le jury du label, dont les membres sont désignés par l’association, est composé de personnes qualifiées dans ce domaine et dont les activités sont d’envergure nationale et internationale. Le jury sera particulièrement sensible à la qualité, l’originalité et le souci de développement local fondé sur le maritime des projets présentés. Les premiers labels seront attribués en décembre 2013.

Françoise PÉRON
Professeur émérite à l’Université de Bretagne occidentale, directrice scientifique de l’Observatoire du patrimoine maritime

Contact
Association « Port d’intérêt Patrimonial »
Observatoire du patrimoine maritime culturel
Faculté Victor-Segalen
29238 Brest Cedex 3
associationPIP@gmail.com - tél. 02 98 01 83 96
http://associationportdinteretpatrimonial.over-blog.com/

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