Le jardin des Deux Rives : projet unificateur, artistique, paysager et transfrontalier

L’essor des régions passe, en ce début du troisième millénaire, par l’institution de nouveaux pôles, à l’échelle de l’Europe, dont les villes frontalières constituent les premiers atouts.

C’était un rêve un peu fou, qui fut dès l’abord, soutenu par Catherine Trautmann, alors maire de Strasbourg. Et avec un sens du service public, une parfaite perception du rôle d’une administration municipale et des organismes spécialisés qui accompagnent la réflexion d’aménagement, le maire, les fonctionnaires municipaux, communautaires, les services de l’Agence d’Urbanisme se sont investis pour qu’une idée utopique devienne un projet défendable.

Un espace unitaire

Si, en termes d’urbanisme, la prise en compte d’un développement vers l’est de Strasbourg est un enjeu stratégique pour le XXIe siècle, en termes d’identité, il est, non pas un horizon nouveau, mais tout simplement la reconquête d’un espace de pensée qui a fait de nous, en tant qu’Alsaciens, en tant que Rhénans, ce que nous sommes. Plus encore, ce projet, parce qu’une ville est allemande et l’autre française, revêt une dimension européenne hautement symbolique. D’abord parce que c’est un projet urbain, et que l’Europe est urbaine. Elle l’est depuis le milieu du Moyen-Âge et c’est autour des villes que s’est construit cet espace de circulation des idées, d’échanges qui a privilégié petit à petit une civilisation des flux par rapport à une civilisation des territoires. Une civilisation empreinte d’urbanité, une civilisation qui, en quelques siècles, a modelé son paysage urbain, mais aussi son environnement.

Par l’ouverture et la mise en réseau, nous voulons, en surmontant la notion de frontière-coupure, la faire évoluer vers une ligne qui soit un trait d’union. Ainsi, le jardin, qui se trouvera au cœur d’une ville encore à imaginer, une ville rhénane traversée par son fleuve, traversée mais non pas coupée, irriguée au contraire, enrichie, fertilisée par ce que le Rhin charrie de cultures, de diversité linguistique, sera précisément un lieu de rencontre, un lieu où l’on pourra prendre le temps de découvrir l’autre, de penser et l’autre et soi-même.

L’Allemagne est profondément marquée par les idéaux de la Révolution française, quand bien même elle s’est soulevée contre ses déviances. Comment imaginer être Français, être pleinement Français sans Mozart, Nietzsche ou Thomas Mann ? Créer un jardin dans une ville, c’est y refaire la place de l’espace et du temps que notre société tend à comprimer et à restreindre. C’est reconquérir, précisément, cet espace-temps qui est le terreau de la liberté de la pensée.

Ce jardin sera donc un lieu de réconciliation. La réconciliation entre deux peuples, deux cultures. La réconciliation de ces deux peuples avec leur identité, mais non pas une identité d’enfermement, mais bel et bien cette identité d’ouverture qui a fait le rayonnement de la zone rhénane. Une identité pleine, à 360°, et non pas une identité de repli, nécessairement agressive.

Un projet paysager

Du point de vue écologique, il présente deux aspects. Le premier vise à installer au cœur de ce qui sera la future grande agglomération rhénane Strasbourg-Kehl des espaces de végétation, une respiration pour l’espace urbain minéral. Le paysage devient alors l’élément fédérateur du développement urbain de la ville.

L’art du paysage s’exprime aujourd’hui par une nouvelle et forte créativité en France et dans d’autres pays. Elle prend en compte l’évolution de nos besoins d’espaces verts, liés à la progressive disparition de nos ressources naturelles, ce qui donne à la notion de jardin une force symbolique croissante.

Il s’agit d’abord de retrouver de la perspective en donnant sa place prépondérante et centrale au Rhin. C’est l’une des ambitions du projet : organiser cet espace pour que ce “fleuve-frontière” devienne au contraire un élément de liaison, un espace de centralité, de rencontre et de communauté. Ainsi, le recours au paysage et, plus particulièrement, celui des bords du Rhin, n’aura rien d’un retour nostalgique en arrière. Il permettra de renouer les liens qui nous unissent à notre environnement.

Un projet artistique

Ce ressourcement doit, avant tout, être la chance d’un renouvellement. Ces lieux seront lieux de promenade, de repos, de méditation mais aussi lieux de connaissance, d’échange, ouverts sur un savoir, qui sera, là, mis à la portée de tous. Ce seront aussi des points d’où le regard prendra son envol dans des perspectives offrant du sens.

Ces lieux, par définition traversés par l’art, ne seront pas fermés sur une acception un peu parnassienne d’un jardin idéalisé. Ils seront naturellement intégrés à une circulation normale, dans des espaces qui comporteront aussi des espaces économiques, des équipements divers, des aires de jeux, d’interprétations libres et singulières, lieux étranges ou simples.

Au philosophe allemand Hans Magnus Enzensberger, qui définissait le luxe de l’avenir
comme renoncement au superflu et recherche de l’essentiel, à savoir le temps, la sollicitude, l’espace, le calme et l’environnement intact, on pourrait proposer le jardin comme dernier luxe de notre époque. Il exige en effet ce qui dans notre société est devenu le plus rare et le plus précieux : du temps, de l’attention, de l’espace.

Le jardin des Deux Rives placera Strasbourg sous le feu des projecteurs, tant sur le plan national qu’international, car le projet a été retenu par la mission An 2000, comme l’une des réalisations marquantes du passage au XXIe siècle.

Michel KRIEGER
Conseiller municipal de Strasbourg


CONCOURS EUROPÉEN

Le jardin des Deux Rives Kehl-Strasbourg comprend un projet urbain et paysager de parc transfrontalier et la réalisation d’un festival sur l’art du paysage en 2004. Les grands objectifs visent à :

  • redonner une identité au secteur fluvial en estompant l’effet de frontière et en symbolisant la Paix.
  • proposer des solutions d’aménagement innovantes pour réintroduire la nature en ville.
  • créer des espaces susceptibles d’accueillir des manifestations éphémères.
  • prendre en compte la spécificité rhénane tant au niveau de la régulation du fleuve que sur le plan de la botanique et du contexte actuel (jardins familiaux, activités industrielles et portuaires.)
  • Définir une thématique permettant de valoriser le site par une réalisation écologique et artistique.

Le concours est financé sur les fonds INTERREG et porte sur une superficie de cent cinquante hectares selon l’axe ouest/est-Strasbourg-Kehl, dont le pont de l’Europe. Côté français, le jardin s’étend sur quatre-vingt-dix hectares, et côté allemand sur soixante hectares, avec un investissement respectivement estimé à 88 MF et 7,8 MD. Le festival d’art, d’un côté comme de l’autre, occupera une surface de vingt hectares.

Près de trois cents agences ont demandé le dossier de concours.

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