Brest : quel avenir pour le patrimoine fortifié ?

Port de guerre depuis le XVIIe siècle, Brest représente aujourd’hui, à l’instar de Toulon, un observatoire exceptionnel et privilégié de l’évolution de la fortification côtière.

Clef monumentale au débouché de la Penfeld, ce site a été ponctué d’ouvrages défensifs antérieurs au développement de la ville. Le château de Brest, siège actuel de la Préfecture maritime, dirigeant les forces atlantiques, constitue aujourd’hui, sur des structures du Bas Empire, la plus ancienne place encore affectée à des usages stratégiques. Par son caractère emblématique, il illustre parfaitement la continuité des systèmes de défense en un même espace stratégique. Dans ce contexte spécifique, a été élaboré un concept de défense de la rade et du goulet se traduisant par l’édification d’ouvrages fortifiés ponctuant régulièrement le littoral de la presqu’île de Crozon jusqu’au Conquet. En 1998, la Marine s’est engagée dans un processus de cession de ses ouvrages devenus sans objet sur le plan défensif.

Ce transfert de propriété permettant d’envisager la réapropriation effective des sites soulève un certain nombre d’inquiétudes sur le devenir des ouvrages fortifiés.

En effet, ces sites sont, pour le plus grand nombre, considérés prioritairement comme des espaces naturels à reconquérir, ils sont situés la plupart du temps dans des points stratégiques par rapport au rivage. Une approche au seul titre des “sites naturels” apparaît tout à fait insuffisante, voire dangereuse. L’intérêt des ouvrages n’apparaît alors que secondaire. Cette méconnaissance entraîne, de fait, une absence de reconnaissance de la part de la population qui conduit souvent à considérer ces ouvrages comme dangereux et insalubres, avant d’en voir les qualités intrinsèques et paysagères. De ce fait, dans le Finistère, en dehors de la tour Vauban de Camaret, aucun des soixante-treize sites répertoriés dans l’inventaire des fortifications de la rade, ne fait l’objet d’une quelconque protection juridique au titre des monuments historiques. Par ailleurs, ce patrimoine est d’un accès dangereux par sa situation côtière et la pollution pyrotechnique. De l’éperon barré aux grands ouvrages du mur de l’Atlantique, des batteries du XVIIe siècle aux tours modèles du Premier Empire, l’ossature défensive s’est mise progressivement en place dans un espace limité. Ce continuum permet d’entrevoir, pour chaque période, la stratégie de défense adoptée en mesurant comparativement les améliorations devenues nécessaires en regard des progrès de l’armement. Ainsi a-t-on la chance de pouvoir observer sous un angle privilégié, non un nombre de vestiges isolés, mais le système complet, logique et progressif de la mise en défense du littoral.

L’un des exemples les plus éloquents de cette idée est le couple constitué par la batterie de Cornouaille (sur la presqu’île de Crozon) et par son pendant la batterie de Léon (actuel fort de Mengan). Ce verrou à l’entrée du goulet, projeté au XVIIe siècle par Vauban, sera à son tour renforcé par la spectaculaire mise en œuvre de batterie de rupture en 1888 avant d’être réutilisé lors du dernier conflit par l’armée allemande.

Atout majeur en terme de développement, cet ensemble de points fortifiés constitue par ailleurs un potentiel touristique exceptionnel d’autant plus intéressant que, par son caractère diffus, il permet d’introduire une fréquentation répartie et donc respectueuse des sites sensibles. Une démarche pédagogique semble ici essentielle pour mettre en valeur l’unité de ce patrimoine dispersé sur plusieurs communes.

La Marine a cependant fixé des conditions à cette réappropriation : elle doit être publique, ce qui met un terme aux spéculations privées, et doit, par ailleurs, reposer sur un projet cohérent assurant le devenir du site dans les meilleures conditions. C’est à ce titre que les services déconcentrés de l’État, et particulièrement le Service départemental de l’architecture et du patrimoine, se doivent d’être particulièrement vigilants.

L’architecte des bâtiments de France, sur le terrain n’a, en l’absence de protection au titre des monuments historiques, théoriquement que peu de poids sur la discussion. Cependant, par sa connaissance du terrain et de l’histoire, il se doit de participer activement pour que ce transfert de propriété s’effectue dans les meilleures conditions, grâce à un partenariat réel avec la Préfecture maritime ainsi qu’avec les différents interlocuteurs que sont les collectivités et le Conservatoire du littoral.

Dans le cas, notamment, de cession à ce dernier, il serait bon de bâtir ensemble les projets de manière à ce que soient établies clairement les règles du jeu. Si la mission du Conservatoire du littoral est d’organiser la mise en valeur et la reconquête des espaces côtiers, se pose en effet immédiatement avec force la question du devenir des éléments architecturaux.

Il est souhaitable que chaque cession soit accompagnée d’une étude qui précise, d’une part, la nature des aménagements projetés, et d’autre part, des propositions quant à la gestion future des lieux 1 . Notre position de conseil doit être une aide importante à la décision nous incitant à participer activement au devenir des espaces fortifiés.

Quant à la réutilisation de ces sites, elle est souvent illusoire.

La “rentabilité” relative d’un ouvrage fortifié privé de sa fonction ne peut être conçue qu’au travers d’une exploitation touristique raisonnée. En dehors de gros ouvrages (somme toute peu nombreux), susceptibles d’abriter un programme spécifique, les autres vestiges ne seront toujours que des éléments architecturaux, certes essentiels dans la constitution du paysage, mais des éléments somptueusement inutiles. C’est ce qui les rend si précieux à nos yeux et qui doit justifier notre action en nous rendant convaincants auprès de nos interlocuteurs.

Philippe ROCHAS
SDA

  1. Une étude préalable a été confié à Christophe Garreta (architecte des bâtiments de France au SDAP du Finistère) et Bernard Le Moen, Architecte.
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