Départ de l’armée : une aubaine en Île-de-France

Si le départ des garnisons peut être très mal vécu dans certaines régions de l’hexagone, ce n’est pas le cas dans l’ouest et le sud de l’Île de France, bien au contraire. La libération de vastes emprises à Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye ou Versailles, stimule l’imagination des maires qui rêvent d’aménager, sur ces terrains autrefois entourés de fils de fer barbelés, des nouveaux quartiers à la gloire du libéralisme économique, d’y créer des espaces verts ou des logements pour attirer de nouveaux habitants.

En France, le domaine militaire représente deux cent soixante-six mille hectares, soit 0,5 % du territoire national. Ce domaine est en expansion : en dix ans, l’armée a acheté quatre mille six cents hectares de terrains nus en zones rurales pour entraîner des unités blindées et mécanisées. Dans le même temps, elle a vendu deux mille six cents hectares d’emprises situées dans les centres urbains. Elle se défait d’une partie de son patrimoine urbain pour acheter de vastes terrains en plein champ où faire manœuvrer ses chars sans importuner ses voisins.

L’opération financière est fructueuse. Depuis 1987, la Défense a acquis pour six cent quarante millions de Francs des terrains. En même temps, elle a cédé pour une valeur de 2,9 milliards de Francs ses immobilisations, dont 1,2 milliard de Francs pour la seule caserne Dupleix. Évidemment, l’armée ne vend pas ses “bijoux de famille” : l’École militaire, les Invalides ou le Val de Grâce ne sont et ne seront pas cessibles, pas plus que la Cité de l’Air ou le musée de la Marine. Même si ces monuments historiques lui coûtent très cher, le ministère de la Défense tient à les conserver. Exception faite de la caserne Dupleix, une grande partie des terrains vendus ces dernières années se situent en banlieue. Le Fort du Haut Buc (78) vient d’être cédé au ministère de l’Intérieur pour y installer la logistique de la préfecture des Yvelines. Une partie des terrains militaires de Saint-Germain-en-Laye a été vendue au PSG (Paris-Saint-Germain) pour y entraîner les footballeurs, tandis que l’autre (cinq cents hectares !) a été consentie à l’Office national des forêts pour y planter des arbres. Pourtant, si les terrains à vendre en région parisienne ont tous une forte valeur ajoutée, ils ne se vendent pas comme des appartements de deux-pièces. En fait, 4/5 des emprises ne sont pas très intéressantes. L’armée cède ses bases aériennes, ses champs de manœuvre, ses anciennes arrières, ses voies ferrées, ses routes militaires et ses bâtiments classés, situés en zones non constructibles.

De château en château

À Versailles, cependant, l’affaire semble plus intéressante. À deux pas de l’autoroute, dominant le château de Versailles, deux cent quatre-vingt-quatorze hectares du plateau de Satory sont aujourd’hui occupés par l’armée et GIAT Industries. Le fabricant d’armes (qui accuse un sérieux déficit depuis quelques années), souhaite se défaire d’une quinzaine d’hectares sur les trente-trois qu’il occupe, tandis que l’armée cède un champ de manœuvres devenu inutile. Une aubaine pour la municipalité ! « Si on ne veut pas que Versailles devienne une ville musée, il faut que la ville se développe. Notre ballon d’oxygène, c’est Satory » reconnaît le maire, Étienne Pinte. Il est décidé à faire du plateau « le huitième quartier de Versailles » et à y faire aménager une technopole et des logements de standing.

À Fontainebleau, environ quatre-vingt-dix hectares sont également à vendre. Situés pour la plupart dans la forêt et à proximité du château, ces terrains sont à la fois magnifiques et bien encombrants, puisque certains bâtiments sont classés. Que faire de la Héronnière (qui date de 1645) et de ses vingt deux mille m2 de terrain couvert de vilains bâtiments des années 70, d’austères bâtisses XIXe et de hangars à l’abandon ? Pour l’instant, la caserne est occupée par le 602e régiment de circulation routière de la EAR (Force d’action rapide), soit huit cent cinquante hommes. Plus pour longtemps. Car le régiment va être transféré à Souges, près de Bordeaux, dans une caserne dont le régiment a été dissous. Un fabricant de rouge à lèvres a envisagé un moment de s’y implanter puis a renoncé. D’autres acheteurs se sont présentés mais pour l’instant rien n’est encore signé. « Ce site est idéal pour les entreprises qui veulent se donner une image environnementale » vante Paul Dubrule, le maire de Fontainebleau. « Nous voudrions créer une technopole, voire un “écopôle” d’entreprises travaillant dans le domaine de l’environnement ». Pour ce faire, Partners, une association intercommunale destinée à développer le pays de Fontainebleau, est chargée de « faire l’intermédiaire entre l’armée et l’acquéreur éventuel » et d’accélérer la vente. Des acquéreurs capables de reprendre un tel patrimoine ne sont pas aisés à décider. La libération effective des terrains de Fontainebleau devrait s’échelonner entre 1999 et 2002. Du coup, tous les responsables, depuis les civils jusqu’aux élus et aux militaires eux-mêmes, se sont mués en agents immobiliers et font volontiers visiter leur domaine. À Fontainebleau, l’armée vend aussi les terrains de l’École Interarmées des sports : une quarantaine d’hectares de piscines, de terrains de foot, de stands de tir. « Ces équipements ne sont pas à l’échelle d’une ville » explique Alain Villaret, le responsable de la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers du ministère de la Défense (MRAI), véritable agence qui diffuse largement des fiches signalétiques pour vendre dans les meilleures conditions ce patrimoine considérable. « Nous avons pris contact avec des organismes publics ou privés qui sont susceptibles d’être intéressés. Mais il faudra du temps ».

La situation est identique pour les terrains de Limeil Brévannes, de Pontoise ou encore des Mureaux. Ce dernier site servait “d’aéroport” pour les hélicoptères de l’armée de terre. Que faire des pistes d’atterrissage ? Et des hangars où l’on entreposait les avions ? L’Aérospatiale, qui assemble à proximité la fusée Ariane, pourrait se porter acquéreur d’une partie de ces terrains. Quant aux pistes, la direction de l’Aviation a bien quelques idées, mais le projet n’est pas prêt.

Autrefois néophytes au grand jeu de la spéculation, les militaires se sont rôdés à leur nouveau métier d’agents immobiliers. Depuis que le ministre de La Défense a commencé à signer les premières aliénations, ils ont eu le temps de réviser leurs stratégies pour dominer ce jeu de Monopoly…

Agnès FERNANDEZ
Journaliste

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