Haute-Maurienne, porte fortifiée de France

Les collectivités territoriales, les associations ont acquis les sites et casernes libérés par l’armée. La situation géographique, la dimension des emprises militaires exigent un ressort de l’imagination et le recours à des professionnels pour établir un nouveau programme.

Après l’exil de Napoléon Ier, le prince de Metternich, pour assurer les intérêts de l’Autriche et de ses alliés, organisa une barrière défensive destinée à protéger l’Europe. Dans les Alpes, entre le col du Mont-Cenis et Saint-Michel-de-Maurienne, une spectaculaire ceinture de forts se dresse, séparant la France du Piémont. Le plus étonnant ensemble se compose des quatre forts et de la redoute de l’Esseillon, élevés entre 1817 et 1834, selon le principe de la fortification perpendiculaire, cher à Marc-René de Montalembert. Après l’annexion de 1860, le système défensif du front des Alpes se prolonge selon les conceptions du général Séré de Rivières, avant qu’André Maginot ne constitue, dans les hautes vallées de Savoie, de 1931 à 1937, la ligne Maginot des Alpes.

Les fleurons de ce patrimoine fortifié s’élèvent sur les crêtes, au-dessus de Modane. Si le fort du Télégraphe qui défend le col du Galibier depuis 1885, vient d’être racheté par une association, en revanche le fort du Pas du Roc, véritable sous-marin terrestre (1931) et le fort de Ronce au plan circulaire (1877-1880) sont délaissés par les bataillons alpins depuis des années.

La reconquête de la barrière de l’Esseillon par les communes d’Aussois et d’Avrieux, dès 1975, montre toutes les difficultés de la réutilisation de ces bâtiments immenses, austères, isolés dans un site grandiose. Les relais fournis par l’État, le Département, la Région ou les associations permettent d’envisager un nouveau destin pour ce patrimoine, tourné à l’origine contre la France.

La barrière de l’Esseillon

Initiée par une association affiliée à Rempart, la restauration de la redoute Marie Christine est aujourd’hui achevée.

L’édifice est géré par l’association et le restaurant, ainsi que le refuge de quatre-vingt lits, cédés en gérance. L’aménagement de cet édifice hexagonal a été réalisé par l’architecte en chef des monuments historiques, Jean-Gabriel Mortam, et allie respect des dispositions originelles et vocation actuelle de porte du parc de La Vanoise. Dans les combles, il est envisagé d’aménager des bureaux et des archives.

Le fort Victor-Emmanuel pose un problème plus ardu, compte tenu de l’ampleur de l’ouvrage qui se décline en dix bâtiments sur un dénivelé de cent mètres. Le fort comprend deux casernes pour une garnison de mille cinq cents hommes, chapelle, hôpital, cuisines, un pavillon pour l’état-major, une entrée et deux batteries casematées. Une double circulation distribue les bâtiments : escaliers et rampes. Les casemates voûtées et superposées sur deux niveaux s’ouvrent par un porche majestueux sur les cours ou la place d’armes. Elles sont couvertes d’une terrasse remblayée en terre, par mesure de protection et leur toiture en lauze se démontait en cas d’attaque. Ces forts n’ont pas subi d’assaut, mais un pillage systématique depuis la dernière guerre : décor baroque italien, grilles et rampes, dalles de sol et de parement. Autant de matériaux de récupération pour les entreprises ou les brocanteurs !

Actuellement mis hors d’eau et en cours de consolidation pour un coût de dix-sept millions de francs sur six ans (dont un million et demi de francs à la charge de la municipalité qui, par ailleurs, n’hésite pas à investir dix huit millions pour ses canons à neige) il n’a pas encore un destin arrêté.

La redoute Marie-Thérèse, de l’autre côté de l’Arc, assure le verrouillage de la montée vers le Mont Cenis. Terminée en 1825, elle est bâtie sur un plan en fer à cheval et tournée vers le fort Victor-Emmanuel. Le rez-de-chaussée était réservé au stockage et aux chambrées, les deux autres niveaux à l’artillerie. Propriété de la commune d’Avrieux depuis 1977, elle est en cours de restauration et fait l’objet d’un projet de gîte du club alpin ainsi que d’un musée de maquettes militaires.

Ces opérations de mise hors d’eau des bâtiments de l’Esseillon s’inscrivent dans le cadre de la convention avec l’État pour l’étude et la mise en valeur du patrimoine fortifié.

Cependant, jusqu’à présent, seuls quatorze sites ont été retenus sur plus de cent cinquante répertoriés et les premières actions se limitent à des travaux de première urgence.

Le Conseil général est convaincu de l’intérêt pour la Savoie d’exploiter son patrimoine militaire, mais touristes et habitants ne sont pas gagnés à cette cause. Ceux-ci restent attachés à “l’or blanc” des années soixante et ne se sont pas impliqués dans cette nouvelle démarche. D’ailleurs, bien que le département ait fait appel à sa fondation pour l’action culturelle internationale en montagne (EA.C.IM.), aucun projet fort n’est sorti de l’inventaire mené depuis deux ans. De ce fait, on assiste à une restauration traditionnelle du bâti, classé, et à son ouverture saisonnière au public par le biais des guides des Villes d’art et d’histoire. La reflexion initiale sur le projet n’a pas été ouverte.

Si les propositions abondent en tous sens : musée de gravures rupestres, maison de la montagne, centre de formation des travaux acrobatiques, des métiers du bois, de la lauze, de la pierre, elles n’ont fait l’objet d’aucune étude préalable approfondie. Selon cette énumération à la Prévert, il paraît prématuré de vouloir réconcilier le site de l’Esseillon avec une vocation essentielle. En attendant, des animations théatrales cherchent à attirer sur le rocher des sportifs épuisés, mais la fortification dans les Alpes ne paraît pas vouée au même succès que les “chemins du baroque”. La plupart des édifices ont été
identifiés mais sans résultat considérés comme une charge inutile par les communes, ils ne bénéficient pas de protection MH et sont voués au pillage. Le discours global sur la stratégie militaire est perçu comme artificiel et n’a pas suscité de mobilisation.

Véra PROSZYNSKA
journaliste

Dans le même dossier