L’aménagement, la recomposition

Atelier 4

Rapporteurs-Animateurs
Yves BELMONT
École d’architecture - Lyon
Michel LOUNA
SEATM 71

Du quantitatif au qualitatif

L’aménagement a été soumis, à compter de la Reconstruction, à la double exigence de la quantité, en raison de l’ampleur des travaux engagés, et de qualité, en raison des bouleversements de l’économie. Cette double exigence n’a pas été sans influence sur la recomposition urbanistique et paysagère du territoire. Les opérations les plus importantes, affranchies des contraintes foncières, ont donné lieu à la réalisation de grandes infrastructures, bien circonscrites dans l’espace et dans le temps, et accomplies sur le plan de la forme. L’urbanisme a pu s’y illustrer. Mais elles ont été critiquées pour leur démesure et taxées, par la suite, d’inhumanité.

Les effets de la modernisation ont affecté pour leur part en profondeur la plupart des tissus urbains et ruraux. D’échelle variable et peu planifiées, circonstanciées et tributaires de leur contexte, les opérations de modernisation ont néanmoins contribué à modifier, et ce, d’une manière durable, les paysages et elles ont été critiquées, en conséquence, comme facteur de désintégration d’une œuvre que la “patience des siècles” avait pu -ou su- constituer.

Ces critiques, formulées, pour les premières, dans le courant des années soixante et, pour les secondes, dans celui des années soixante-dix, ont provoqué un renouvellement des conceptions de l’urbanisme.

Elles sont à l’origine d’un substantiel investissement de la recherche, tant pour ce qui concerne la connaissance de la morphologie et de la genèse des tissus bâtis et du parcellaire, qu’en ce qui concerne les pratiques sociales avec leur cortège d’usages, de représentations ou d’appropriations. Ces recherches se résument en une redécouverte de l’histoire et cette histoire est aussi bien celle des événements, que celle du temps long ou celle des conflits et des tensions, que celle des décisions et des actes.

Ces critiques ont suscité de nouvelles manières de faire, attachées à l’idée d’une qualification ou d’une requalification des sites, à comprendre comme autant de lieux et non plus comme autant d‘“espaces”. Elles ont visé à assurer la coordination de l’action, à l’échelle d’un ou de plusieurs territoires, et selon une durée qui s’efforce de rechercher l’équilibre entre le court terme et le long terme. Les urbanistes ont eu à apprendre les vertus, les potentialités, mais aussi les limites des contextes, aussi bien physiques que sociaux, en même temps qu’ils ont eu à prendre conscience de leurs responsabilités et de leurs limites. Ils ont aussi eu à apprendre le prix et le poids politique de toute intervention dans le domaine de l’aménagement.

La confrontation avec l’histoire a permis de revenir sur la question de la composition, saisie à travers la “ville héritée” et comprise, non seulement en termes de résultat, mais encore en termes de processus et de genèse. Il s’en est fallu de peu que l’on apprenne que l’urbanisme de Lumières, expression du pouvoir central s’il en est, a été, bien souvent, bien avant Haussmann, l’œuvre des surintendants et des voyers et si la redécouverte des fondements de l’esthétique pittoresque ne s’est pas produite, le sens de la composition, formelle ou non-formelle, est venu s’imposer pour rappeler que la ville, avec toute la complexité de son épaisseur historique, pouvait être source de plaisir et objet de désir.

Du rôle de l’État

L’urbanisme est affaire de gestion autant que de projet. L’État y intervient en premier lieu en édictant la loi. Il intervient ensuite en tant qu’agent, pour son propre compte, lorsqu’il est maître d’ouvrage, ou en liaison avec les collectivités. Il intervient aussi dans le cadre régalien de la protection du patrimoine. Il agit par l’intermédiaire de ses services.

Toute opération d’aménagement participe d’un contexte, qui doit être pris en compte, comme cela vient d’être rappelé, à plusieurs niveaux de complexité. La qualité de la composition en fait partie. Elle repose aussi bien sur la prise en compte de l’antériorité que sur la juste appréciation du devenir propre à ce contexte, ce qui laisse entendre qu’un site puisse, au regard de l’aménagement dont il fait l’objet, être valorisé, ou, tout au contraire, dévalorisé. Ceci ne préjuge ni du problème de la définition de cette valeur, ni de celui de la décision.

Il va de la responsabilité de l’État, et donc de ses agents, de savoir s’assurer de cette valeur, ce qui ne va pas sans requérir l’exercice d’une compétence professionnelle spécifique. Cette compétence ne concerne pas que le discernement, la faculté d’analyse, ou le sens de la composition ; elle requiert tout aussi bien le sens de l’action commune que la faculté de savoir trancher.

La qualité de la composition n’appartient pas qu’à la virtualité des projets, fussent-ils très liés à leur contexte. Elle nous est aussi donnée, avec le patrimoine paysager, bâti ou non bâti, dont nous avons hérité. Il est, pour ce qui concerne le patrimoine protégé, délimité dans l’espace, mais il transcende le temps. Il peut devenir, au sens propre, monumental : il permet alors de se souvenir. Lié à des représentations et confirmé par son statut, il nous concerne autant par son inactualité que pour son actualité. C’est pour cela qu’il ne peut pas être séparé de la transmission de la culture, dont il constitue le support tangible. C’est pour cela aussi qu’il n’a pas, en soi, à être valorisé : il se donne, avec cette transmission et en lui-même, comme une valeur.

Qu’il s’agisse enfin de se projeter dans le futur ou de recueillir l’héritage du passé, qu’il s’agisse d’exercer une responsabilité ou de savoir la partager, l’action qui s’applique au territoire ne peut se concevoir sans une solide formation professionnelle. Tout ce qui concerne, en particulier, l’art de la composition ne peut se développer sans que soit constitué un savoir et ouvert un débat. L’académisme de la formation initiale doit se nourrir de l’ouverture de la formation permanente, alimentée à son tour par le terreau fertile et inépuisable de la formation sur le tas qui ne peut, en retour, s’enrichir que si elle accepte de se structurer, et ce, non pas pour clore la discussion, mais pour la rendre possible.

Débat

Le débat a été très vif. La question principale a tourné autour de la définition de l’histoire et de l’esthétique. En effet, certains AUE considèrent que l’esthétique urbaine n’est pas une priorité, et même, qu’elle n’est pas nécessaire. D’autres, plus nombreux, mettent au contraire cette esthétique au premier rang des objectifs de l’aménagement, et ce, non pas au détriment des objectifs socio-économiques, mais dans une optique humaniste, à même de repenser l’aménagement comme une totalité, que l’État doit rester en mesure de garantir.

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