Lantic paré de neuf

Sur la côte du Goëlo, en Bretagne-Nord, à une dizaine de kilomètres de la petite cité balnéaire de Saint-Quay-Portrieux, Lantic forme un modeste bourg éclaté. Des hameaux épars avec, ici, de rares bâtisses -jetées au hasard- dans un paysage champêtre que domine orgueilleusement la chapelle Notre-Dame-de-la-Cour.

Voilà Lantic, un bout de terroir avec une richesse séculaire, faite de strates dont on ne sait trop comment elles se sont formées. L’origine du sanctuaire demeure, d’ailleurs, obscure et sa construction relève de deux époques distinctes. Rien d’exceptionnel dans tout cela, juste le ciel, des prés et ce bel édifice aux voûtes de pierre, si ce n’est qu’il s’agit d’un de ces multiples lieux, où le présent doit être éclairé du reflet du passé, à moins de détruire la qualité, mais aussi la patine, que seul le temps procure.

De la pertinence des choix

À côté du sanctuaire se trouve une modeste bâtisse qui abrite la mairie. C’est une construction de type IIIe République qui, par égard au monument voisin, adopte
quelques ornements moyenâgeux. Au début des années 80, le conseil municipal se trouve à l’étroit et décide de construire une nouvelle mairie plutôt que d’agrandir l’existante. Pierre Monerie, chef du Service départemental de l’architecture des Côtes d’Armor, partage la décision prise alors. « L’ancienne mairie, tout en enduit, ne correspondait plus aux besoins. Elle était formée d’un pavillon, haut et étroit, voulant s’affirmer comme le pendant laïc de la chapelle. Son échelle, son aspect n’apportaient rien au site. Alors, fallait-il faire une extension qui soit un pastiche ou faire quelque chose de résolument contemporain ? »

La seconde solution fut retenue et le projet confié, sans concours, compte tenu du volume des travaux d’un édifice de cent cinquante m2, à L. Dunet de l’agence rennaise Debulois, Guervilly, Dunet. Jeune architecte, formé à l’École spéciale durant les années qui suivirent 68, il revendique avant tout un travail sur l’intégration urbaine et c’est sur cette base qu’il s’est attaqué à ce projet. « La mairie a donc été un peu décalée pour mieux recomposer la place devant la chapelle. La nouvelle construction est caractérisée par deux voiles parallèles surmontés (dans la partie centrale) d’une toiture traditionnelle à deux pentes. La modernité est affirmée par le travail sur la volumétrie, sur les percements et sur les pignons. »

Le nouvel édifice apparaît, en fait, le fruit de volontés contradictoires, une architecture du volume, de la masse et une architecture du plan, de la muralité. La toiture participe de la première idée et renvoie l’image d’un pavillon, d’une remise. D’ailleurs l’intérieur ne forme qu’un seul volume où la charpente reste apparente. Ensuite, deux murs extérieurs enserrent cet ensemble et se prolongent, à chaque extrémité, par des portiques. Ces deux effets combinés procurent une curieuse impression de deux
constructions l’une dans l’autre. Le principe de la dualité qu’il faut vraisemblablement prendre pour de l’irrésolution, se retrouve dans l’emploi des matériaux. Le granit gris des parois verticales est constitué de petites plaquettes fines en tout point similaires à du carrelage. Mais ce sont surtout les erreurs de proportions qui trahissent la dichotomie inhérente à cette réalisation. Le volumineux pignon mime, de manière évidemment postmoderne, un fronton classique. Pour autant cet emprunt ne constitue qu’une des multiples références ici convoquées…

« Il s’agit d’une architecture sobre, sage, pas du tout d’une grande audace, commente Pierre Monerie, mais le toit fiche tout par terre ! Il est en trop comme d’ailleurs le traitement des pignons. Sinon l’idée est bonne, celle d’un bâtiment allongé, quoiqu’on puisse regretter que les portiques construits ne soient pas prolongés par des charmilles afin de former comme un enclos paroissial. De même, la couleur du granit n’est pas assez blonde en regard de la pierre de la chapelle. »

À l’heure du constat

La nouvelle mairie de Lantic, à l’évidence, n’est pas née sous les meilleures auspices mais, les maladresses de cette réalisation ne sont rien au regard de l’absence totale d’interrogation sur sa juxtaposition au sanctuaire, situé à moins de quinze mètres. Cette
question de la confrontation entre deux constructions d’époques différentes et deux styles, a créé quelques remous et a vraisemblablement coûté sa place au maire. Voici déjà quelque temps, Charles Bourély, rappelant la mission des architectes des bâtiments de France quant à l’épineuse question des abords des monuments historiques, indiquait qu’il convenait « d’éviter qu’une construction parasite ne vînt occulter ou altérer la vue que l’on pouvait avoir sur le monument, depuis un angle usuel, par son volume, sa structure ou son épiderme »1 ,

Voilà donc posée la difficile et délicate question d’apprécier l’opportunité, l’échelle, le style mais, au-delà, celle de la valeur architecturale intrinsèquement ajoutée par toute nouvelle construction.

Deux extrêmes semblent jouer de repoussoir dans la présente querelle, en apparence sans solution, soit la tabula rasa et la revendication d’une modernité aux aspects universels, soit la copie ou la soumission à un régionalisme bon teint. Naturellement, tout bon dialecticien opterait pour une tierce solution, celle d’une architecture d’accompagnement, mais cette dernière se révèle souvent si étrangère à toute forme d’art et surtout si vide de signification qu’elle tend à se disqualifier d’elle-même. Aussi c’est plutôt à une attitude éthique que nous convie justement Antoine Grumbach (auquel le Centre Georges Pompidou consacre cet été une exposition). « L’art de bâtir est une contribution anonyme à un discours sans origine et sans fin, un refus passionnel de la mode, une revendication de l’exigence. »2

Lantic constitue donc un cas d’école qui conduit à une série de constats. Le premier qui s’impose est que “ce cher XIXe siècle” n’a toujours guère le droit de cité, au vu du jugement péjoratif porté sur l’ancienne mairie. Deuxième constat, le refus du mimétisme impose d’affronter une situation hétérogène et de concevoir un travail fondé sur le collage. Troisième constat, ne pas chercher à se tromper de contexte comme travailler sur une urbanité inexistante. Quatrième constat, l’humilité face au monument reste la meilleure parade contre l’erreur. Cinquième constat, le premier et seul véritable travail consiste, tout de même, à mettre en valeur le monument.

Ce n’est donc pas tant la fausse audace plastique de la mairie de Lantic qui pose problème que son côté anecdotique, dérisoire et déplacé. Tant pis si elle se veut une allégorie de l’art contemporain mais n’en possède pas la vivacité.

Cet édifice semble dire que si l’on ne peut s’empêcher de construire et si l’on ne peut le faire bien, acceptons le médiocre. Mais une telle résignation laisse dans l’ombre la question de l’absence de lien, de dialogue, que l’emplacement qu’elle occupe impose. De quelle manière s’enracine-t-elle dans le lieu en vue d’assurer une inscription en quelque sorte naturelle dans le paysage ?

À la lueur de cette expérience bien évidemment malheureuse, sans doute faut-il méditer la leçon que propose Yves Lion pour son lycée tout proche, à Saint-Quay-Portrieux. « Je ne propose pas tant un bâtiment qu’un paysage construit car je me méfie des bâtiments bavards qui perdent tout sens en quelques années. »

Marc BÉDARIDA
architecte

  1. Charles Bourély, Le métier d’architecte des bâtiments de France, Monuments Historiques, n°5, 1975, p.3.
  2. Antoine Grumbach, « Rêveries », AMC, n° 52-53, juin-septembre 1980, p.35.
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