Un atout pour le développement touristique des régions 1/2

Le patrimoine historique militaire et fortifié recouvre en fait trois catégories différentes de patrimoine : les citadelles, enceintes bastionnées et ouvrages fortifiés modernes, les musées militaires et historiques ainsi que les collections d’armes et de matériels terrestres, navals et aériens des Armées et, enfin, les champs de bataille et autres lieux de la mémoire militaire.

Ce patrimoine reçoit actuellement en France métropolitaine environ quinze millions de visiteurs par an et, ceci, sans aucune véritable promotion touristique, au contraire de ce qui est consenti pour d’autres patrimoines. Il n’est pas douteux qu’avec un effort de promotion et de professionnalisme dans l’accueil, ces patrimoines pourraient devenir pour les collectivités territoriales qui en ont la charge, une source non négligeable de séjours touristiques et, donc, de retombées économiques.

Toutefois, pour que cette potentialité se concrétise véritablement, il apparaît indispensable qu’un certain nombre de conditions préalables soient réalisées. Nous les présenterons ci-après pour chacune des catégories de patrimoine que nous avons distinguées.

Le patrimoine fortifié

La France est l’un des pays où ce type de patrimoine est le plus important et le plus diversifié. D’une histoire mouvementée au cours de laquelle ses frontières ont très souvent changé, notre pays a en effet hérité d’un nombre considérable de fortifications de toutes époques. Ainsi, à chacune des étapes majeures de l’évolution de cet art, on trouve dans toutes les régions frontières et sur les côtes de notre pays, des exemples remarquablement conservés des différentes solutions architecturales élaborées en réponse aux évolutions successives de l’artillerie qui, de tous temps, règla le nombre d’or de la fortification.

Du nord au sud du pays, on peut aujourd’hui encore visiter une trentaine de fortifications du XVIe siècle, œuvres des prédécesseurs français, espagnols ou italiens de Vauban. On peut ainsi admirer les enceintes fortifiées de Gravelines, Montreuil-sur-Mer, les citadelles d’Amiens, de Sisteron, de Rocroi, de Perpignan, de Saint Tropez, le fort Carré d’Antibes le fort du Mont Alban, la citadelle de Villefranche et les citadelles génoises de Calvi, de Corte, de Bastia, de Bonifacio et d’Ajaccio, en Corse.

Vauban nous a laissé à son tour une bonne centaine de forts, de citadelles et d’enceintes bastionnées comptant parmi les plus belles et les mieux conservées d’Europe. Lille, Arras, Montdauphin, Belle-Île, Blaye, Mont-Louis, Bayonne, Besançon, Belfort, Verdun, Saint Martin-de-Ré, Montmédy, comptent parmi les plus belles d’entre elles. De même, les enceintes urbaines de Belfort, Besançon, Toul, Le Quesnoy, Bergues, Villefranche-de-Conflent, Maubeuge, Marsal, Entrevaux, les forts de Briançon, Givet, Camaret, Saint-Malo, Collioure, Salins, Bellegarde-au-Perthus, Libéria et Lagarde dans les Pyrénées-Orientales constituent des exemples remarquables de la fortification à l’époque classique.

Les successeurs de Vauban au XVIIIe siècle continuèrent son œuvre. Cormontaigne nous a laissé, à Metz et à Bitche, des ouvrages intéressants et Asfeld à Briançon le plus bel ensemble fortifié de montagne qui se puisse voir en Europe.

Toutes ces fortifications sont dans un assez bon état de conservation et peuvent être visitées. De cette période, seule la citadelle de Doullens semble rester à l’abandon, ce qui est d’autant plus regrettable que celle-ci constitue l’un des rares exemples de citadelle complète du XVIe siècle, commencée par l’ingénieur Antonio de Castello et complétée ensuite par Errard de Bar-Le-Duc. En terme de protection, on peut considérer que la quasi-totalité du patrimoine des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles est aujourd’hui protégé soit au titre de la loi de 1913 sur les monuments historiques, soit quelquefois au titre de la loi de 1930 sur les sites.

En revanche, le patrimoine fortifié des périodes ultérieures n’est pas du tout ou très ponctuellement protégé. Pourtant le patrimoine fortifié de la première moitié (Haxo) et de la seconde moitié (Séré de Rivière) du XIXe siècle est, en France, à la fois considérable et très intéressant. Pour la première moitié, notamment, on citera les ceintures fortifiées de Paris et de Lyon, les forts remarquables voire spectaculaires de l’Écluse près de Genève, de Tournoux dans la vallée de l’Ubaye, les ensembles fortifiés de Cherbourg, de Belfort, de Toulon et les nombreux forts et réduits de batteries qui parsèment toutes nos côtes, notamment aux abords de nos grands ports militaires, dont, bien sûr, l’un des plus célèbres d’entre eux : le fort Boyard.

Pour la seconde moitié du XIXe siècle, l’héritage de Séré de Rivière est encore plus considérable avec le double rideau fortifié construit de 1874 à 1885 entre Belfort et Épinal et entre Toul et Verdun. Toutes les places déjà fortifiées par ses prédécesseurs furent également renforcées par lui, ainsi que les ceintures fortifiées de Paris et de Lyon et les abords de nos ports militaires. Si beaucoup de ces forts ont été détruits lors des combats de la première ou de la seconde guerre mondiale, nombres d’entre eux sont bien conservés et certains modernisés au début du XXe siècle offrent de très intéressants exemples de tourelles et de coupoles d’artillerie cuirassées comme à Uxegney ou à Villey-le-Sec.

Restaurés par des associations de bénévoles, qui ont consacré leur temps et leur argent, depuis parfois plus de vingt ans sans aides publiques, ces forts sont aujourd’hui visitables et mériteraient d’être protégés au titre des monuments historiques. Surtout, constituant un but de visite très intéressant, ils mériteraient d’être mieux promus comme produits touristiques par les régions et les départements.

À cet égard, le problème posé par le patrimoine fortifié du XXe siècle est très préoccupant. Il s’agit pour l’essentiel des ouvrages de la ligne Maginot. On peut considérer que sur les cinquante trois gros ouvrages d’artillerie construits de 1930 à 1940, pour moitié dans le nord-est de la France et pour l’autre moitié dans les Alpes et sur la Côte d’Azur, ce que l’on sait moins, on peut actuellement en visiter une douzaine dans le nord-est, et moins d’une dizaine dans le sud-est.

Le problème spécifique que posent ces ouvrages de la ligne Maginot est lié au caractère très particulier et très fragile de leurs équipements électromécaniques : ascenseurs, petits trains électriques à voie étroite, usines électriques, tourelles à éclipse
actionnées électriquement.

Construits il y a maintenant près de soixante dix ans par des sociétés aujourd’hui disparues, il reste peu de temps pour les sauver de la rouille et surtout, de pannes électriques qui seront devenues irréversibles, lorsque les derniers ouvriers du Génie qui entretenaient jusqu’à ces dernières années quelques-uns d’entre eux, seront décédés ou dispersés dans leurs lieux de retraite.

Très peu de ces ouvrages sont aujourd’hui protégés au titre des monuments historiques ou de la culture scientifique et technique dont ils relèvent incontestablement. Leur dégradation sera irréversible dans très peu d’années et ce système de fortification très original qui accueille chaque année environ trois cents mille visiteurs dont de nombreux étrangers, disparaîtra tout au moins dans ce qu’il offre de plus intéressant, c’est à dire précisément ses équipements électromécaniques et ses armements déjà très sophistiqués pour l’époque.

Le ministère de la Défense qui est encore pour l’essentiel propriétaire de ces ouvrages cherche actuellement à s’en défaire. Cette circonstance vient encore aggraver la menace qui pèse sur eux, si un marché de ferraillage, avant merlonnage, venait en démantelant les armements et les équipements, leur retirer tout intérêt.

C’est pourquoi il est urgent, avant toute mise en vente de ces ouvrages, d’en faire un inventaire exhaustif, d’en rassembler les plans détaillés, et notamment ceux des installations électriques, et de constituer à partir des anciens ouvriers du Génie qui savent encore les faire fonctionner une équipe de “conservateurs techniciens” pour leurs systèmes électromécaniques. De même, il serait nécessaire de constituer d’urgence à partir de ceux de ces ouvrages que l’on ne souhaitera pas conserver, un stock de pièces détachées qui permettront à moindre frais d’entretenir pendant longtemps encore les armements et les équipements des ouvrages que l’on aura décidé de conserver. Pour ce faire, on ne peut plus se contenter d’une politique du coup par coup, laissant quelques associations sans moyens aux prises avec les problèmes souvent très difficiles de la réparation, de la maintenance et de l’entretien des ouvrages qu’elles ont, souvent, dans l’indifférence générale, entrepris de sauver.

En ce qui concerne la vente de ces ouvrages dont l’estimation par les domaines peut s’avérer très élevée, il conviendrait de trouver avec les associations qui ont entrepris de les sauver des accords d’amodiation ou de mises à disposition pour des périodes de longue durée, afin que l’essentiel des moyens financiers que ces associations ou les collectivités locales intéressées pourraient consacrer à ces ouvrages, ne soient pas gravement hypothéqués par la nécessité de les acheter au prix fort.

Dans le passé, plusieurs exemples ont précisément montré que des forts de la ligne Maginot, achetés trop cher, n’ont pas connu le développement touristique que leurs acquéreurs pouvaient en espérer, précisément parce qu’il ne leur restait plus les moyens financiers nécessaires à l’aménagement de circuits de visites commentés et à la muséographie qui les auraient rendus plus attractifs pour le public.

Ces mesures revêtent un caractère d’urgence et supposent qu’une politique cohérente de protection de ce patrimoine fortifié soit rapidement mise en place.

Au plan national, le patrimoine fortifié demeure encore trop souvent méconnu. Il intéresse pourtant un public de plus en plus nombreux qui atteint aujourd’hui environ cinq millions de visiteurs annuels. Il mériterait assurément une politique globale en faveur de sa sauvegarde et de sa mise en valeur touristique et culturelle, compte tenu de son intérêt historique.

C’est indéniablement un des atouts de notre développement touristique, notamment dans les régions de l’est de la France ou des Alpes, moins biens partagées que d’autres en matière de patrimoine, de soleil ou de plages.

Enfin, et des expériences sont actuellement en cours, certains de ces ouvrages fortifiés pourraient être réutilisés comme gîtes ou refuges de haute montagne. D’autres forts, de qualité architecturale plus grande, pourraient faire l’objet, après restauration, d’une reconversion comme hôtels de caractère ou résidences de tourisme.

Alain MONFERRAND
Agence française de l’ingénierie touristique (AFIT)

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