Grande singerie de Chantilly

Grand domaine princier de l’Ancien Régime, Chantilly est relevé par le duc d’Aumale, qui le lègue à l’Institut de France.

Maître d’ouvrage : Institut de France
Maître d’œuvre: Pierre-Antoine Gatier, ACMH
Entreprises : Arcanes, Fancelli. Garnier et Mariotti
Restauratrice : Cinzia Pasquali

Il est aujourd’hui restauré grâce à la Fondation pour le Domaine de Chantilly et au mécénat du World Monuments Fund Europe. En le léguant à l’Institut de France, le duc d’Aumale spécifie bien que les dispositions qu’il lui avait données devraient être maintenues. C’est donc dans son état des années 1880 que la demeure nous est parvenue, notamment les appartements du Prince de Condé réaménagés dans l’aile du petit château de Bullant, témoin du goût, mais aussi des améliorations de confort qui détermineront d’autres altérations que le vieillissement.

Un registre original

La Grande singerie, située dans le Petit château réaménagé par le prince Louis-Henri de Condé, duc de Bourbon, au début du XVIIIe siècle, est un document unique, que ce soit pour son décor de lambris blanc et or aux panneaux ornés des célèbres mises en scène mêlant singes et chinoiseries, ou pour son intérêt dans l’histoire de la restauration. Les décisions prises lors de l’étude ou sur le chantier éclairent des points de doctrine, conduisant à les moduler.

Ce qui fait la singularité de la Singerie est la succession, au XVIIIe siècle, de deux commandes espacées de quinze ans, l’une d’esprit encore classique, d’un décor de lambris au panneautage rectiligne à motifs sculptés rehaussés de dorure, l’autre commandé en 1737 au peintre de chevalet Christophe Huet, qui représentera sur les panneaux de lambris les activités des hommes tournées en dérision et exécutées par des singes. Il faut noter la finesse de l’insertion des motifs, et les passages entre éléments sculptés et éléments peints -notamment les motifs de dorure en peinture répondent au même répertoire, en dorure peinte. Ce dialogue entre sculpture et peinture dorées n’existe qu’à Chantilly, et ne se trouve dans aucune des autres “singeries” confiées plus tard au même Christophe Huet. La recherche d’harmonisation dans les différentes dorures va même plus loin, que ce soit dans le détail des éléments du XVIIIe siècle comme ceux du XIXe siècle, quel qu’en soit le matériau, bois, stuc, peinture, bronze, et leur mise en valeur sera l’un des soucis principaux du chantier mené en 2007.

La restauration des dorures

Leur répartition sur le lambris pose l’une des premières questions, et il semble évident que les lambris initiaux étaient plus dorés qu’ils ne le sont aujourd’hui, puisque les fonds de résille à fleurettes étaient dorés en plein. L’observation de ces zones aujourd’hui rechampies en blanc dans les angles des motifs, prouve bien la répartition des dorures, mais il a été décidé de conserver l’harmonie légère des fonds de différents blancs, s’accordant à la mise en place des peintures de Huet. Les choix de la technique originelle des dorures de la Singerie doivent également être soulignés, puisqu’il s’agit, comme pour la Galerie des actions de Monsieur le Prince qui lui est contiguë, d’une dorure à l’eau, technique rarement utilisée à l’époque à l’échelle d’une salle de château, mais plutôt réservée aux bordures et pièces précieuses. Ce n’est pas la première fois que l’on note la qualité des dorures des décors de Chantilly, et les prescriptions pour leur traitement en conservation allaient de soi -mais, là encore, il a fallu moduler puisque les dorures appliquées au pinceau et à l’huile ont été nettoyées et retouchées ponctuellement alors que les autres, celles des motifs sculptés des lambris, ont été refaites selon la technique ancienne, avec apprêts de blanc de Meudon et reparure, assiette et application de feuilles d’or à l’eau.

Les leçons du chantier

L’autre élément déterminant de la composition, le fond blanc par lequel les motifs respirent, a suscité encore plus de débats et de mises au point à partir du parti initial de conservation des témoins de la restauration du XIXe siècle. Nous pensions en effet nous trouver devant un décor cohérent, dont l’harmonie apparente se trouverait conservée par le respect d’un traitement en conservation. L’étude préalable avait mis en évidence le rechampi généralisé des fonds blancs et proposé la conservation de ce dernier. Pour les lambris, ce parti a pu être tenu, au prix cependant d’un travail méticuleux de retouches ponctuelles pour harmoniser les nombreux accidents révélés par les nettoyages. L’aspect esthétique final est bien conforme au parti envisagé, et met en valeur l’esprit du décor du XVIIIe siècle, celui d’un décor historié très polychrome sur des fonds blanc et or, que la restauration du XIXe siècle avait tenu à conserver. Pour le plafond en revanche, ce parti s’est avéré impossible à tenir puisque la dernière restauration, dans les années 1975-1980, avait introduit des matériaux vinyliques incompatibles avec les mises en œuvre anciennes dans les conditions climatologiques de la pièce. Sur la base d’une argumentation technique et de conservation préventive, une dérestauration complète a été réalisée, et a finalement restitué au décor peint son équilibre chromatique, tout en maintenant l’harmonie avec les blancs des murs. Cette dérestauration massive s’est imposée, car elle correspond à une volonté de parvenir à un équilibre esthétique aux limites fixées en cours de chantier, et notamment à la lumière des effets artistiques des blancs des lambris. Si le parti théorique d’intervention a déterminé le motif initial de conservation de l’état du XIXe siècle, la matérialité des œuvres et l’évidence de leur valeur esthétique n’ont pu empêcher que soient introduites en cours de chantier des variations.

Colette di Matteo
Inspecteur général des Monuments historiques

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