Les forteresses de Vauban

Le 7 juillet dernier à Québec, ville fortifiée pour laquelle Vauban visa des plans et qui, cette année, célébrait le quatre centième anniversaire de sa fondation, le comité du patrimoine mondial de l’Unesco a décidé d’inscrire douze des plus belles fortifications de Vauban.

Cette inscription fera date, non que ce classement soit une première, de nombreuses villes fortifiées étant déjà inscrites au Patrimoine mondial, comme Québec, Luxembourg, Essaouira au Maroc, Carthagène en Colombie, Suomenlina en Finlande, La Havane à Cuba, Portobello à Panama, la citadelle de Hué au Vietnam ou la ligne de défense d’Amsterdam. Ce qui représente un changement, c’est la reconnaissance de la valeur universelle du grand ingénieur de Louis XIV et celle d’un ensemble de fortifications constituant le florilège du véritable « conservatoire de la fortification classique », avec plus de cent soixante ouvrages fortifiés hérités de Vauban, sur le pourtour des frontières terrestres et maritimes de la France métropolitaine. Ce classement est aussi la reconnaissance de quarante années d’efforts financiers de l’État, des collectivités territoriales, des associations et d’acteurs privés pour protéger, restaurer et mettre en valeur ce patrimoine. Si l’Unesco a pu en France inscrire une douzaine de sites, ce qu’elle n’a pu faire dans d’autres pays, c’est bien en raison de cet exceptionnel effort d’investissement qui se voit aujourd’hui distingué au plan mondial.

Le succès d’un réseau

Les fortifications choisies l’ont été pour leur état de conservation et leur exemplarité dans l’oeuvre fortifiée de Vauban : citadelles de plaine comme Arras ou Longwy, enceintes urbaines comme Neuf-Brisach ou Besançon, citadelles de montagne comme Mont-Dauphin, Mont-Louis ou Villefranche-de-Conflent, enceintes fortifiées du littoral telles que Blaye ou Saint-Martin-de-Ré, batterie côtière comme Camaret, tours de surveillance comme Tatihou-Saint-Vaast-la-Hougue, ensemble de fortifications étagées en altitude comme à Briançon. La qualité du dossier préparé par le Réseau des Sites majeurs de Vauban, emmené par son dynamique président Jean-Louis Fousseret, maire de Besançon, a été unanimement saluée comme exceptionnelle par les ambassadeurs du comité du patrimoine mondial. Elle fut déterminante dans cette décision acquise finalement en un temps record, puisqu’il s’est écoulé moins de quatre ans entre la décision de constituer le réseau et la décision finale d’inscription.

L’association Vauban fondée en 1980 par Michel Parent, inspecteur général des Monuments historiques, ancien président d’Icomos International, et Serge Antoine, visionnaire dont l’action fut exemplaire, attendait depuis vingt-huit ans cette reconnaissance mondiale. Elle procéda à la création en 1971 du ministère de l’Environnement, des parcs nationaux, du Plan Bleu et du processus de Rio qui vit l’avènement des préoccupations de bonne gouvernance au niveau mondial en matière de développement durable et de lutte contre le réchauffement.

Pour tous ses membres, ce fut une grande joie de voir inscrit ce patrimoine à la suite de la célébration du tricentenaire de la mort de Vauban (1707) qui vit plus de mille cinq cents manifestations en France et dans le monde (Malte, Novossibirsk, Gdansk, Turin, Namur) ; une trentaine de colloques, autant de grandes expositions dont celle de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine au Palais de Chaillot, et la publication de plus de cinquante livres consacrés à Vauban et à ses œuvres architecturales et écrites ont célébré l’événement. Les Oisivetés, recueil de tous ses écrits, ont été publiées in extenso pour la première fois.

Une reconnaissance universelle

Ce classement est un tournant car, pour ce patrimoine plutôt méconnu, voire mal aimé, c’est une reconnaissance qui, au-delà de l’oeuvre de Vauban, s’attache à un témoignage historique, un surgissement d’histoire, un paysage bâti où l’urbanisation efface progressivement les traces du passé. Protéger à ce titre d’autres systèmes de fortifications en Europe et dans le monde devient désormais possible. Le comité du patrimoine mondial a demandé que, sur les cinq continents, les fortifications manifestement marquées par l’influence de Vauban soient dans trois ans associées sur une liste complémentaire.

En Europe, des sites similaires existent, même s’ils se trouvent en moins bon état de conservation et en moins grand nombre que les cent cinquante sites français. Dans l’Hexagone même, cette liste devra être complétée car un certain nombre de sites n’y figurent pas pour des problèmes qui pourraient être levés dans un autre contexte. Ainsi, la citadelle de Lille, premier chef-d’oeuvre de Vauban, et Bayonne, à la demande du ministère de la Défense, n’ont pas été retenues. De même, Le Quesnoy ou Maubeuge n’ont pas souhaité s’associer à la candidature, mais pourraient changer d’avis.

Les incidences touristiques

Avec ce classement, la France ajoute une corde, non pas à son arc, mais plutôt à la harpe de son offre touristique. Le patrimoine Vauban accueille environ cinq millions de visiteurs par an. L’inscription à l’Unesco représente un accroissement sensible, entre 25 et 30 %, de la fréquentation. Celle-ci peut à terme doubler si des actions de mise en valeur et de mise en réseau avec les cent cinquante autres sites fortifiés de Vauban sont entreprises, et une valorisation touristique cohérente bien conduite. En effet, une forteresse de Vauban n’est, pas plus qu’une cathédrale ou un château, un produit touristique en tant que tel. Pour le devenir, il faut y ajouter des équipements et des manifestations qui confortent et fidélisent une clientèle française et étrangère de plus en plus exigeante. C’est tout l’enjeu à terme du classement dans l’élite mondiale. Les paysages fortifiés de Vauban sont d’une fascinante beauté tant ils s’intègrent aux paysages dont ils soulignent les traits les plus marquants. Le classement Unesco va leur conférer une notoriété exceptionnelle qui ne produira ses effets que si tout est fait pour accueillir, informer ce public, ne pas le décevoir. Balisages, centres d’accueil, itinéraires de découvertes, aménagements de points de vue, modes diversifiés de visites pédestres, cyclistes… mais aussi expositions thématiques, spectacles animés, illuminations devront faire l’objet de programmes pluriannuels. À plus long terme, la requalification d’une offre de congrès et séminaires susceptibles de générer, hors la haute saison d’été, des séjours de tourisme d’affaire doit être envisagée, ainsi que le développement d’une hôtellerie de charme et de gîtes pittoresques pour favoriser des courts séjours et des week-ends découvertes. De ce point de vue, les douze sites distingués ne se trouvent pas dans une situation identique. Certains d’entre eux sont fréquentés par des centaines de milliers, voire un million ou plus de visiteurs en haute saison (Saint-Martin-de-Ré, Villefranche-de-Conflent, Camaret), et leur valorisation devra passer par un plan de gestion rigoureux pour éviter que le surcroît de clientèle ne devienne une menace pour le patrimoine lui-même. D’autres sites, en revanche, sont loin de connaître cette affluence (Longwy, Neuf-Brisach, Arras, Blaye, Mont-Louis, Mont-Dauphin et même Briançon et Besançon). Dans leur cas, une politique de valorisation doit être mise en place.

Le renouvellement touristique en France

Au-delà des problèmes de valorisation touristique, l’opportunité constituée par ce classement doit nous faire réfléchir au problème plus général du renouvellement de l’offre de tourisme culturel français. Depuis l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale, et l’émergence dans le monde de nouvelles destinations longtemps interdites à la visite comme la Russie, la Chine, le Vietnam ou le Cambodge et, en conséquence très attractives, la France, qui demeure encore le premier pays récepteur de touristes au monde, n’est plus le centre de gravité du tourisme européen. Face à une concurrence en forte augmentation et dont le rapport qualité-prix nous est plutôt défavorable, nous ne pouvons rester sur nos positions et nous contenter d’une offre culturelle qui n’a pas varié depuis cinquante ans, composée pour l’essentiel des grands musées et monuments parisiens et de quelques édifices phares en région (Mont Saint-Michel, châteaux de la Loire, Carcas-sonne, Avignon…). Le renouvellement de notre offre repose sur la valorisation de patrimoines moins connus tels précisément le patrimoine fortifié, mais aussi le patrimoine d’histoire et de mémoire, le patrimoine maritime, industriel, scientifique et technique, ainsi que les infinies ressources de nos parcs nationaux et régionaux, de nos sites et bio-topes et des produits d’élite de notre agriculture. Enfin, les centres anciens de nos grandes villes représentent une ressource considérable de séjours, dont des villes telle que Lyon ont montré la voie. Ils sont devenus des destinations très fréquentées tant par les Français que par les étrangers. Une centaine de centres anciens remarquablement restaurés depuis une trentaine d’années doivent s’engager résolument vers cette mise en tourisme. Nos richesses sont immenses et nous n’en avons jusqu’à présent valorisé qu’une part mineure. Il est désormais temps que les efforts des collectivités, consentis depuis des années pour leur patrimoine, produisent des retombées économiques qui seront en termes d’emploi le légitime retour de leurs efforts. Le concept de « tourisme durable » ne signifie pas autre chose. Ce développement équilibré, ce souci constant de tirer parti des ressources et de les mettre en valeur pour le plus grand bien de l’économie répond à l’enseignement du maréchal de Vauban.

Alain Monferrand
Président de l’association Vauban

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